Antilles : comment une campagne pour la vaccination se développe "indépendamment des autorités politiques"
Par Julien BaldacchinoLa Guadeloupe et la Martinique sont débordées par l'épidémie de Covid. Invité ce jeudi sur France Inter, le généticien Serge Romana, signataire la semaine dernière d'une lettre ouverte appelant à la vaccination, explique comment ce mouvement pro-vaccin rassemble désormais 500 praticiens, sans l'aide des autorités.
"Il y a manifestement une défiance vis-à-vis de tout le monde, que ce soit le pouvoir central, que ce soit le directeur d’hôpital, que ce soit l’ARS, les médecins… tout le monde" : c’est le constat dressé ce jeudi matin, sur France Inter, par le professeur en générique Serge Romana, qui exerce à l’hôpital Necker mais est originaire de Guadeloupe.
Sur l’île ainsi que sur le territoire voisin de Martinique, la situation de l’épidémie de Covid explose, avec des taux d’incidence allant jusqu’à 2 000 cas pour 100 000 habitants et des taux de positivité jusqu’à 25%. Les deux îles subissent de nouvelles restrictions, et même un confinement déjà en vigueur à la Martinique, et qui commencera vendredi en Guadeloupe.
Sur ces deux îles, la couverture vaccinale est bien moindre qu’en métropole. Alors, pour inciter les populations à se mobiliser, c’est un véritable mouvement indépendant qui se met en place. À l’origine de cette initiative, une lettre ouverte publiée le 4 août dernier, signée par Serge Romana et 34 autres spécialistes : "Nous avons pris la décision de réunir des forces hospitalières universitaires, des chercheurs, pour faire un travail d’explication".
"La situation est très différente de la métropole, où il existe une autorité respectée, la parole médicale et scientifique, même si elle a été écornée. Chez nous, il y a un vrai problème", estime le Pr. Romana.
"L’autorité médicale et scientifique doit être rétablie, quand toute une série de fake news circulent"
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"Aujourd’hui, ce sont des syndicats qui disent quoi utiliser comme traitement, certains recommandent d’utiliser la chloroquine", déplore le généticien.
500 personnes autour de l’appel à la vaccination
Dans leur lettre ouverte, les 35 signataires lançaient un appel, en lettres majuscules : "FAITES-VOUS VACCINER ! C’EST LA MEILLEURE ARME POUR VAINCRE CETTE PANDÉMIE !" pouvait-on lire après de nombreuses explications détaillées sur les arguments scientifiques en faveur de la vaccination.
Dans le sillage de cette lettre, cette nécessité d'informer le public a donné lieu à la mise en place d'une organisation structurée : "Chez nous, il y a un vrai problème. Il faut, pour ce qui nous concerne, qu’on soit structurés. On est en train de monter une machine "de guerre" pour pouvoir faire de l’explication à tous les niveaux". Ainsi, selon Serge Romana, l'appel lancé dans la lettre ouverte réunit maintenant "500 personnes : il y a les médecins généralistes, qui sont au contact des patients, et nous organisons aussi des webinaires" (ndlr séminaire en ligne).
"On peut faire des webinaires avec le club de football, avec l’association de jeunes, avec les élus, avec le maire, etc."
La particularité de cette campagne pro-vaccination, c’est qu’elle se fait sans qu’aucune institution n’y soit liée : "Nous sommes obligés d’intervenir sur nos forces, et strictement sur nos forces, _pour que justement on ne nous reproche pas d’être associés à ceux-ci ou ceux-là__. Nous intervenons pour expliquer ce que c’est que ce virus, que cette maladie, que ce vaccin. Dans les plateaux que nous réunissons, il y a des urgentistes, des virologues, des réanimateurs_", explique le professeur.
"Indépendamment des autorités politiques"
Car c’est tout l’enjeu, contourner la défiance envers les institutions, entachées par plusieurs scandales sanitaires outre-mer, en particulier celui, majeur, du chlordécone, cet insecticide utilisé massivement aux Antilles à la fin des années 80 et qui a contaminé jusqu’à 90% de la population. "Il est très clair que le scandale du chlordécone joue un rôle dans la défiance au vaccin. Et c’est pour cela que c’est la parole des scientifiques et des médecins qui doit primer. C’est pour ça que nous faisons cette campagne indépendamment des autorités politiques", explique Serge Romana.
Même si, à court terme, seul le confinement peut désengorger les hôpitaux, comme le rappelait le ministre Sébastien Lecornu également ce jeudi matin sur France Inter, le vaccin est la solution à long terme : "Nous avons affaire à une épidémie de non-vaccinés (…) En réanimation il y a 100% de gens qui ne sont pas vaccinés", explique le chercheur, qui a tenu à conclure son interview par ce nouvel appel : "Je ne suis même pas dans l'espoir, je dis : aux Antilles, il faut se vacciner, massivement".