
L’UNESCO a déjà commencé son travail de recensement des destructions patrimoniales, en Syrie et en Turquie, après le violent séisme qui a fait des milliers de morts dans la région. En Syrie, la citadelle d’Alep, sur la liste du "patrimoine mondial en péril", a notamment été touchée.
"Jusqu’ici on se préoccupait des dégâts de la guerre. Et maintenant, il y a ce nouveau malheur, ce tremblement de terre." Maamoun Abdulkarim, archéologue, ex-Directeur des Antiquités et des Musées en Syrie, reçoit sur son téléphone portable des photos au compte-goutte. Aujourd’hui professeur aux Émirats arabes unis, celui qui est connu pour avoir sauvé de nombreuses œuvres du pillage et de la destruction, entre 2012 et 2017, est en contact permanent avec ses anciens collègues dans le nord de la Syrie. "J’ai passé près de 30 ans de ma vie dans cette zone. J’ai peur de ce que l’on va y découvrir", s'inquiète-t-il après les séismes qui ont frappé la Turquie et la Syrie, faisant plus de 7.000 morts. "On essaye d’entrer en contact avec les communautés locales pour connaître l’ampleur des destructions… Mais les gens cherchent leurs morts, leurs victimes, leurs blessés. Ils ont froid. Qui est libre aujourd’hui là-bas de travailler sur le patrimoine culturel ? On ne peut pas leur demander ça."
Des dégâts importants selon l’UNESCO
L’UNESCO a déjà, de son côté, entamé un travail de recensement des dommages et se dit dans un communiqué de presse "particulièrement préoccupée par la situation de l’ ancienne ville d’Alep, i**nscrite sur la liste du patrimoine mondial en péril". Des dégâts "importants" ont été constatés : "La tour ouest du mur d’enceinte de la vieille ville s’est effondrée et plusieurs bâtiments des souks ont été fragilisés."
"Il y a la citadelle d’Alep, mais il y a aussi des dégâts sur le site de Marrat Nouman", assure Maamoun Abdulkarim. Ce musée de la province d’Idleb, qui a déjà subi les assauts de la guerre, revêt une importance particulière pour le chercheur : "Pendant dix ans, il a été sous le contrôle de groupes armés mais nous avons réussi, avec les habitants, à sauver les collections." Aujourd’hui, l’archéologue assure que certaines de ses parois en mosaïques, "très riches, fantastiques", ont été endommagées. Il tremble aussi pour " les villes mortes", ces 700 villages anciens, désertés, témoignages des époques romaine et byzantine, dont 36 sont classés au patrimoine mondial de l’UNESCO. "Si la citadelle d’Alep est touchée. Si Marrat Nouman est touchée. Imaginez ce qui se passe plus près de l’épicentre du tremblement de terre."
"Nous essayons de confronter toutes les informations à notre disposition, nous sommes en contact avec différentes sources", explique à l’UNESCO Lazare Eloundou Assomo, directeur du centre du patrimoine mondial. "Nos pensées vont d’abord aujourd’hui aux familles, aux disparus, aux blessés, à toutes les personnes affectées."
Un recensement possible grâce aux images satellites ?
Face à l’urgence humanitaire, face au manque de moyens aussi, des chercheurs syriens qui ont, comme le raconte Maamoun Adbulkarim "tellement peu de ressources qu’ils n’ont parfois pas de quoi faire des trajets en voiture entre différents sites", est-il envisageable de lancer rapidement un travail de recensement grâce aux images satellites ? "C’est une méthodologie qui nous sert de plus en plus à l’UNESCO pour mieux analyser l’étendue des dégâts. Nous avons un partenariat avec Unosat - l’organisation des Nations Unies, basée à Genève, en charge des images satellites - et nous sommes déjà en contact pour commencer le travail."
"Il faut aller vite", insiste le professeur Maamoun Abdulkarim. "On ne peut pas attendre deux ou trois mois avant de faire cette évaluation, il faut bouger avant que ce ne soit trop tard. Il y a peut-être des choses qu’on peut encore consolider et sauver", assure-t-il. Il en appelle aussi au soutien de la communauté internationale : "C’est un peuple syrien. C’est un patrimoine syrien. C’est un patrimoine mondial. Ça suffit, ce malheur. Je parle au monde entier : s’il vous plait, il faut mettre en ce moment la politique de côté." Douze ans de guerre civile, de sanctions internationales, ralentissent énormément aujourd’hui l’arrivée de l’aide humanitaire dans ce pays exsangue.