Après les ponts, les barrages privatisés vont-ils présenter des risques ?

La catastrophe du pont de Gêne ravive les craintes autour de la privatisation des barrages hydroélectriques en France alors que les concessions sont arrivées à échéance ou expirent prochainement pour dix barrages du parc français.
Après le drame italien de Gênes se pose la question de ces concessions faites au secteur privé. Comme en France où 9 000 km d'autoroutes sont gérés par des sociétés privées, le viaduc de Gênes qui s'est effondré était entre les mains d'une société privée concessionnaire d'autoroutes dont le gouvernement italien a d'ailleurs mis en cause la qualité des contrôles de sécurité. Si la situation des ponts hexagonaux semble sous contrôle, les responsables assurant livrer des audits réguliers et prévoir les réparations là où elles sont nécessaires, qu'en sera-t-il des barrages dont la concession sera confiée à des entreprises privées ?
Pressée par Bruxelles de privatiser une partie de son parc hydroélectrique, la France va céder la concession de dix barrages en France ces prochaines années. Une situation qui pourrait s'étendre. Le ministre de l'Écologie, Nicolas Hulot, a transmis à l'Europe fin janvier une liste de 150 concessions qui arrivent à échéance d'ici 2022 et qui pourraient échapper au contrôle d'EDF, sur les 433 infrastructures du parc hydroélectrique français.
EDF craint de devoir assurer la maintenance des sites les moins rentables, futur gouffre financier
La mise en concurrence du parc hydraulique français est un serpent de mer depuis l'annonce en 2010 d'une série d'appels d'offres pour dix barrages représentant 20 % de la puissance hydroélectrique française, conformément à des directives européennes, qui ne s'est jamais concrétisée.
Le processus fait aujourd'hui l'objet d'échanges réguliers entre la Commission européenne et l'État français, mais il suscite une levée de boucliers chez les syndicats et les élus locaux. Il pourrait intéresser des groupes étrangers tels que le suédois Vattenfall, l'espagnol Iberdrola, l'italien Enel, le norvégien Statkraft ou le suisse Alpiq, mais aussi le français Total qui est en train de se renforcer dans l'électricité en France avec le rachat de Direct Energie.
EDF est le premier exploitant du parc hydroélectrique français avec environ 80 % des capacités de production - soit 20 gigawatts répartis entre 433 centrales, loin devant Engie, numéro deux du secteur à travers ses filiales Compagnie nationale du Rhône (CNR) et Société hydro-électrique du Midi (SHEM). Le groupe stocke aussi 7,5 milliards de mètres cubes d'eau dans les 622 barrages qu'il exploite, soit 75 % des eaux de surface artificielle en France métropolitaine.
Pour le géant français de l'énergie, cette privatisation fait craindre de se séparer des sites les plus rentables aux dépens des coûts de maintenance des autres infrastructures, laissant envisager un éventuel gouffre financier pour l'électricien public.
"Nous demandons à ce que soit prise en compte la spécificité de l'hydraulique. Un barrage, ce n'est pas seulement de la production d'électricité, c'est aussi la sûreté de l'ouvrage, la gestion des crues et de l'eau [..]) et l'aménagement du territoire", rappelait mi-juin Yves Giraud, directeur de la production et de l'ingénierie hydraulique d'EDF. "Le risque serait que les concessions les plus rentables partent à la concurrence et qu'EDF se retrouve avec les concessions qui le sont moins et avec des missions de service public qui ne seront plus rémunérées."
Gérer un barrage hydroélectrique, c'est avant tout une mission de service public soutiennent les syndicats du secteur. Car un barrage, c'est de la production électrique, mais aussi de la gestion des ressources en eau, des crues éventuelles, et surtout de la sûreté de l'ouvrage. À ne pas mettre entre toutes les mains pour Fabrice Coudour, de la CGT Energie en charge de l'hydroélectrique : "Pour un opérateur qui serait assoiffé de dividendes ou de bénéfices, ça veut dire ne passez plus que le côté économique en premier et temporiser l'alimentation en eau potable, temporiser la sûreté nucléaire, temporiser la gestion des crues, parce que quand on temporise, on raréfie le produit, donc on fait monter le prix du marché, donc forcément on fait plus d'argent."
Et dans cette période tout particulièrement c'est la sûreté qui inquiète Fabrice Coudour : "Quand ce qui pilote un secteur ce n'est que la notion économique, forcément on fait des choix qui ne vont pas forcément dans le sens de la sûreté ou en tout cas qui peuvent temporiser cette sûreté . Typiquement, actuellement, il y a vraiment des images fortes de ce qu'est-ce que c'est privatiser un bien et quelles conséquences ça peut avoir."
Selon les syndicats, l'Europe aurait répondu en juillet, "trop peu, trop long" à la la liste, proposée par la France en début d'année, de 150 barrages pouvant être ouverts à la concurrence d'ici 2022.