Après les révélations sur les Ehpad Orpéa, la parole se libère, la direction rejette les accusations
Par Julien Baldacchino, Thomas Giraudeau, Mathilde Dehimi
La sortie ce mercredi des "Fossoyeurs" de Victor Castanet met en relief les pratiques des Ehpad du groupe Orpéa. Si celui-ci nie les accusations (mais envisage une enquête interne), les témoignages de familles de résidents ou d'anciens salariés se multiplient.
Le livre n'est publié que ce mercredi, mais les bonnes feuilles des "Fossoyeurs" avaient été révélées dès lundi par Le Monde. Le livre de Victor Castanet révèle des maltraitances sur des personnes âgées "rationnées", abandonnées dans leurs excréments dans des Ehpad du groupe Orpéa. Des accusations graves, circonstanciées, avec des témoins qui ont travaillé pour le groupe et parlent à visage découvert. L'enquête pointe la maltraitance et une volonté d'enrichissement à tout prix, en rognant sur tous les budgets, et une accointance avec Xavier Bertrand, ministre de l'époque.
Pour les familles et les salariés - ou anciens salariés - du groupe, ces révélations ne sont pas une surprise. "J'ai ressenti une joie, peut-être une joie mauvaise, parce qu'enfin on parlait de ce qu'on a souffert", confie à France Inter Béatrice, fille d'une ancienne pensionnaire d'un Ehpad Orpéa. À la mort brutale de leur mère, elle hésite avec ses sœurs à attaquer l'Orpéa de Joinville (Val-de-Marne), elle renonce craignant la puissance du groupe. "J'arrivais à 11h du matin, maman errait dans les couloirs en chemise de nuit avec ses escarpins de ville, souillée jusqu'aux chevilles. Ces histoires de couches, c'était épouvantable, on ne la changeait pas assez", ajoute-t-elle.
De la part de la direction, ce n'était pas de l'inhumain, c'était du déshumain.
Guillaume, qui a travaillé 18 ans comme cuisinier dans un Ehpad Orpéa, espère un séisme après la sortie du livre : "Le tarif à l'heure actuelle dans les Ehpad Orpéa, c'est de 4,20€ par jour et par résident. J'ai toujours refusé de rentrer dans ce qui pouvait être pour moi de la maltraitance, c'est pour cela qu'il a fallu que je me syndique et que je me protège, sinon j'aurais été viré", raconte ce délégué CGT qui assure que tout le monde savait, et affirme avoir à plusieurs reprises prévenu les instances compétentes, jusqu'au ministère.
"Ces attaques sont illégitimes"
Mardi, le gouvernement a saisi Orpéa pour demander des réponses à ces accusations. Après avoir rejeté en bloc toutes les accusations contenues dans le livre, le groupe a annoncé mardi après-midi qu'il n'excluait pas de mener une enquête interne : "Bien sûr, il peut y avoir des dysfonctionnements. Nos établissements sont ouverts aux agences régionales de santé avec qui nous travaillons en collaboration étroite", a déclaré à France Bleu Paris Jean-Christophe Romersi, directeur général du groupe.
"C'est un métier humain, nous mettons toute notre énergie à ce que tout se passe dans les meilleures conditions, mais l'erreur est humaine"
Pour autant, le responsable rejette les accusations de maltraitance organisée : "Nous ne sommes pas parfaits, mais nous nous efforçons d'être le plus possible proches de cette perfection parce que c'est ce que nous devons aux personnes que nous accueillons", ajoute-t-il, affirmant que le groupe envisageait la possibilité de mener des poursuites judiciaires. "Ces attaques sont illégitimes parce que cela ne correspond pas à ce que nous sommes".
Le secteur pas menacé par les révélations
Orpéa, numéro deux du secteur des Ehpad en France derrière Korian, a vu son action dévisser de 30% à la Bourse de Paris après la publication des premiers extraits du livre-enquête. Mais l'avenir des deux géants du secteur n'est pas menacé, selon des analystes financiers, qui rappellent que des affaires de mauvais traitements dans des Ehpad ont déjà été relayées par le passé... sans jamais avoir affecté leurs bénéfices.
Avec le vieillissement de la population, Korian, Orpea et les autres gestionnaires privés et publics d'EHPAD vont aussi accueillir davantage de résidents : 100 000 de plus d'ici 2030 selon le ministère de la Santé, ce qui suppose la construction d'un millier de nouveaux établissements.