Archéologie : les couleurs de l'idole de Pachacamac enfin révélées

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Archéologie : les couleurs de l'idole de Pachacamac enfin révélées

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La partie supérieure de l'idole Pachacamac aux rayons X
La partie supérieure de l'idole Pachacamac aux rayons X
- marcela Sepulveda / museo de sitio Pachacamac

Connu des Tintinophiles, le Pachacamac n'est pas un bateau mais un site archéologique occupé par les civilisations précolombiennes de 200 à 1 530 après Jésus-Christ. C'est aussi une divinité vénérée sur plusieurs siècles. Pour la première fois, des chercheurs datent au carbone 14 une statue et dévoilent ses couleurs.

C'est un mat de bois, sculpté dans sa partie supérieure de deux visages regardant dans des directions opposées. Haut de 2,30 mètres, d'un diamètre de 13 cm, il a été souvent déplacé, manipulé et son histoire est pleine de rebondissements. Longtemps considérée comme perdue, détruite par le conquistador Hernando Pizarro en 1533, l'idole de Pachacamac a par la suite été redécouverte en 1938 par un archéologue américain, Albert Giesecke, alors qu'il effectuait des fouilles sur le site du Pachacamac, à 30 kilomètres de Lima, au Pérou.

Rites cérémoniels

Cette statue dédiée au Dieu Pachacamac est associée, selon les archéologues, aux rites cérémoniels, sur un site majeur des civilisations précolombiennes. Occupé successivement par les Limas, les Huaris, Ychmas et plus tard les Incas (milieu XIIe s. - 1530 après JC) le Pachacamac couvre 465 hectares sur la côte centrale péruvienne.

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La Statue (entière et détail)
La Statue (entière et détail)
- Marcela Sepulveda et Rommel Angeles

La date de fabrication de l'idole a longtemps été estimée au VIIIe ou IXe siècle. Exposée à partir de 1965 sur le site puis au musée de la Nation à partir de 2005, la déité n'a que récemment retrouvé sa terre d'origine en revenant au musée du Pachacamac, sur les lieux du site classé au patrimoine mondial de l'UNESCO.  À l'occasion de travaux non invasifs et non destructeurs sur l'usage des couleurs sur ce site historique, la directrice du Musée a demandé à Marcela Sepulveda, chercheuse  au Laboratoire d'Archéologie Moléculaire et Structurale (CNRS-Sorbonne Université) si elle pouvait à nouveau examiner l'idole. C'est ainsi que l'analyse physico-chimique des traces colorées a pu être menée en profondeur.

Rouge, blanche et jaune, une idole peinte

Il est apparu alors que l'idole comportait non seulement du rouge mais aussi du blanc et du jaune. Et le rouge, seule couleur auparavant repérée, n'est pas du sang, contrairement à ce que supposaient jusque-là les archéologues. L'analyse au spectromètre à fluorescence X révèle qu'il s'agit de pigments minéraux et non organiques. "Le jaune est composé d'oxydes de fer, le blanc de gypse et pour le rouge, il ne s'agit pas de sang car on a identifié très clairement du mercure lié à du souffre, du cinabre", détaille Marcela Sepulveda. "C'est la première fois que du cinabre est identifié sur des divinités andines", ajoute la scientifique.

La couleur dans les civilisations pré-hispaniques

Philippe Walter, le directeur du LAMS précise que ce minerai n'était pas produit sur place. Les gisements les plus proches connus aujourd'hui se trouvent à 400 kilomètres, "ce qui prouve qu'il a été choisi, importé et appliqué uniquement dans certaines parties de la sculpture". Il poursuit :

"On redécouvre actuellement l'importance de la couleur. Que ce soit sur les statues des cathédrales du Moyen-Age en France, sur les marbres grecs ou romains, tous polychromes et à présent dans le monde Inca". 

Ce n'est pas forcément la vision que l'on avait et cela conduit à reconsidérer les coutumes de cette période de l'histoire pré-hispanique.

L'équipe qui s’intéresse à tous les usages de la couleur sur le site (murs ou textiles par exemple) indique que le site est recouvert de pigments. On y trouve aussi des témoignages de l'omniprésence de la peinture : des outils, des pinceaux, des contenants. Pour Philippe Walter, dans ces sanctuaires où les pèlerins venaient vénérer leurs dieux, "les couleurs étaient donc étroitement associées au pèlerinage et à ses rites".

Selon Marcela Sepulveda, le cinabre apparaît comme une couleur de grande valeur. Déjà apprécié par les Incas pour des peintures faciales ou corporelles - en particulier chez les élites, comme en attestent des écrits du XVIe siècle - ce minerai qu'on fait venir de loin est donc associé à des offrandes et rites funéraires. Toutefois, la signification précise des couleurs reste à ce jour inconnue.

À ce jour, ni bleu, ni vert, ni noir n'ont été identifiés sur la statue par cette équipe franco-péruvienne, qui publie la découverte dans Plos One. Elle a aussi, pour la première fois, daté la statue au carbone 14 en prélevant un petit morceau de bois dans son socle. Résultat : c'est en 731 que la statue a été sculptée, probablement par les Huaris, soit environ 700 ans avant l’apogée de l’empire Inca. Cela confirme que le site de Pachacamac avait déjà une importance rituelle locale avant l’arrivée des Incas, qui en feront par la suite l’un de leurs principaux centres de pèlerinage, au point d’abriter un oracle conseillant l’empereur lui-même.