Art press, 40 ans, suite

Publicité

Art press, 40 ans, suite

Par

Catherine Millet
Catherine Millet
© Christine Siméone - Christine Siméone

Après avoir expliqué que Bacon et Soulages étaient largement surestimées, avoir observées que les femmes ont gagné du terrain dans les institutions culturelles, Catherine Millet, fondatrice d'art press, explique sa méthode pour repérer ce qui est interessant dans le foisonnement artistique actuel.

L'interview automatique ... ou pas! suite et fin.

Publicité
blogcs interview automatique (ok)
blogcs interview automatique (ok)
© Radio France

Quelle est votre grille de lecture pour repérer les artistes à suivre? Le secret d’Art Press et de Catherine Millet ?

Catherine Millet: J’ai repris à mon compte je crois une phrase que j’ai entendu de la bouche de Rudi Fuchs, qui a beaucoup compté dans les années 80 pour l’Art contemporain. Il était conservateur de musée néerlandais et il avait la responsabilité de la Documenta de Kassel, et je me souviens l’avoir entendu dire: « Face à une œuvre que je vois pour la première fois, est-ce que j’ai déjà vu ça quelque part ou pas ? Et si la réponse est non c’est qu’il faut que je m’y intéresse. » Je crois que je suis comme ça. Ce qui me fait dire aussi que dans l’esprit je suis restée une avant-gardiste. Je pense vraiment qu’une pensée nouvelle engendre des formes nouvelles, et ses formes nouvelles nous font penser différemment.

Donc tout ce qui est remake, retour à la tradition, réutilisation de la tradition, tout ça, recyclage, ça m’intéresse un peu moins. Bien sûr tout est toujours très relatif, César avait un lien avec la tradition mais il était capable de s’arracher de cette tradition. Je pense que ce qui fait la qualité d’un artiste c’est son pouvoir d’arrachement à la fois à l’histoire dont il vient et à la société dans laquelle il est né, dans laquelle il est allé à l’école où il a appris ce qu’il sait. Il faut s’arracher à tout ça. Je crois que c’est un raisonnement assez avant-gardiste.

L’art du recyclage vous semble-t-elle être la dernière tarte à la crème dans le sillage du développement durable ?

Catherine Millet: Oh je ne sais pas, cette histoire de recyclage c’est quand même une notion que Nicolas Bourriaud mon jeune confrère avait déjà avancée dans les années 80 quand il a commencé sa carrière de critique d’art et ça c’était vraiment une notion très post moderne alors pour le coup. Et c’est curieux parce que bizarrement au bout du compte Nicolas a surtout été beaucoup attaché à des œuvres très modernistes en fait et beaucoup plus radicales que pouvait laisser prévoir cette notion de recyclage. Recyclage… oui on pourrait dire aussi que Picasso a recyclé, et même Velasquez mais enfin je ne sais si pas c’est l’écologie qui remet ça à la mode. Il me semble que dans le domaine de la théorie esthétique c’est un petite peu dépassé .

Qui sont les avant-gardistes d’aujourd’hui ?

Catherine Millet: Il y en a sûrement un peu moins qu’à une certaine époque mais je vais citer un peintre : c’est Vincent Corpet. Vincent Corpet il fait des portraits dans une technique que l’on pourrait presque qualifier de Beaux-arts, il y va avec son petit pinceau et il fait ses fonds et puis il pose les couches les unes après les autres, etc. et en même temps sa méthode de travail est complètement inédite et produit des figures humaines qui n’ont absolument rien à voir avec tout ce que vous voyez dans les galeries de portraits des musées.

Catherine Millet vue par Vincent Corpet, détail
Catherine Millet vue par Vincent Corpet, détail
© @ Gallimard - Christine Siméone

Ces portraits sont toujours à échelle 1, la plupart du temps ce sont des portraits en pied sans aucun effet de perspective, c’est-à-dire qu’il situe toujours son regard exactement face à la partie du corps qu’il est en train de représenter.

Au moment où il est en train peindre la bouche de son modèle il a le regard exactement face à cette bouche et puis il va balayer comme un scanner tout le corps de la personne ce qui donne des images à la fois extrêmement réalistes et un effet de vérité très grand et en même temps des étrangetés totales. Notre œil met en place tout de suite une vision perspectiviste tandis que lui en quelque sorte la corrige. C'est une invention, une manière de montrer la figure humaine qui n’avait pas encore été inventée depuis que la peinture existe en occident, et je ne vois pas d’équivalant en peinture chinoise ou autre de ce genre de technique.

Je pense que par ailleurs il y a beaucoup de choses vraiment innovantes, si le mot peut avoir encore un peu de portée, parce qu’il est quand même un peu trop employé à tort et à travers dans le domaine du cinéma et de la vidéo. Des gens comme Steve McQueen qui est passé du monde des arts plastiques au cinéma, apporte quelque chose de vraiment nouveau je crois au cinéma. Tout ce qui s’est fait depuis quelques années dans le domaine des arts plastiques avec la vidéo et la photo a changé la donne.

La vidéo est en train de pénétrer le cinéma, même le cinéma industriel. Il y a toujours une liberté, j’aime beaucoup le cinéma de Bertrand Bonello aussi pour cette raison. Il apporte une liberté dans le traitement narratif de ses films qu’il ne s’autoriserait pas s’il y n’était pas au courant de ce qui se passe dans le domaine des arts plastiques, s’il n’avait pas dans son enfance baigné là-dedans . C’est un peu comme si le domaine des arts plastiques avait été un laboratoire permettant de faire surgir des formes qui pénètrent aujourd’hui dans le cinéma.

Art press
Art press
© art press
blogcs signature C Simeone
blogcs signature C Simeone
© Radio France - C Siméone

Pour ce blog, Textes © Christine Siméone

Photos © Christine Siméone sauf indication

Ce blog se nourrit sur la toile

Pour les collections d’art présentes en France

Pour les collections aux Etats-Unis

Au sujet d’Arman, le site historique