Art press, suite et fin: Catherine Millet, César et Arman

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Art press, suite et fin: Catherine Millet, César et Arman

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Catherine Millet
Catherine Millet
© Christine Siméone - Christine Siméone

Quelques semaines avant les 40 ans d'Art press, fin de la série d'entretiens avec Catherine Millet. Elle revient sur sa rencontre avec César au tout début de sa carrière.

César,l'artiste des compressions, et l'auteur des célèbres pouces géants est allé encore plus loin qu’Arman sur le terrain de la matière, avec les expansions, amas de matière synthétique, étalée généreusement au sol avant d'être figée.

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Les deux artistes étaient, on l’a souvent dit, frères ennemis, en compétition et collaboration. César avait parfois l’œil pour ajuster les bronzes d’Arman chez le fondeur. Ils ont décliné les mêmes gestes en tout cas au début de leur carrière. Ils ont partagé aussi le sud, le soleil, un sens très méridional de la vie, le goût de la plaisanterie. Ils différaient totalement dans leur rapport à l’argent. L’un était cigale, l’autre fourmi, tous les deux avec excés.

Dans votre discours le nom de César revient souvent. Il est très important pour vous

Catherine Millet : Ma carrière professionnelle je l’ai commencé en mai 68 et j’avais tout juste 20 ans mais c’était mes tout débuts, et en fait quand même ce que j’ai commencé à faire d’important c’était dans les années 70 bien sûr avec la créations d’Art Press. Mais à propos de César et pour amener comme ça une petite anecdote, j’étais en effet très proche de César et César me taquinait toujours peut-être sans le vouloir sans doute ! D’ailleurs ça lui arrivait de me dire souvent « mais Catherine tu sais bien comment s’appelait cette galerie où on a tous exposé, Klein tout ça… Ah oui Colette Allendy ! » J’étais obligée de lui dire "écoute c’est bizarre Colette Allendy non moi je n’ai pas connu le milieu des années 60, moi je suis arrivée après, à la fin des années 60",et de lui rappeler à l’époque que j’étais plus jeune que lui.

César
César
© Radio France

César c’était un grand ami, l’un des premiers artistes je crois que j’ai connu dans le milieu artistique. Avant la création d’Art Press j’ai travaillé pour un magazine édité par la Galerie Maeght, l’Art Vivant, qui a été sans doute avant Art Press le magazine très ouvert sur les formes les plus contemporaines.

Le rédacteur en chef à l’époque m’avait demandé un reportage sur les fonderies d’art donc naturellement j’avais pris contact avec César. Je lui avais dit " Bonjour monsieur, est-ce que je peux vous rencontrer, je dois faire un reportage sur les fonderies d’art? ". Il me répond:"Mais qu’est-ce que vous avez à me parler de fonderie d’art ? je pars demain au Creusot " . Il allait faire fondre le sein de Rochas qui est ce moulage, cette agrandissement à l’échelle quasi monumental d’un sein de femme.

Pour une sculpture de cette dimension la fonte se faisait dans l'environnement industriel du Creusot. Et donc en fait de fonderie d’art je suis allée au Creusot là où on fabriquait les locomotives et j’ai assisté comme ça à la séance de travail de César avec les fondeurs sur place.

Je me souviens qu’il avait voulu impressionner la petite débutante que j’étais et César ne pouvait pas mieux s’y prendre qu’en m’enmenant comme ça dans ces fonderies du Creusot qui étaient une sorte d’enfer.

J’ai le souvenir de César extrêmement touché, préoccupé, par le contact des hommes avec les hommes là-bas parce que finalement il retrouvait sans doute des hommes d’un milieu social dont plus ou moins il était issu – les origines sociales de César sont plus ou moins modestes. En même temps ça l’impressionnait, ça le touchait parce qu’il s’interrogeait sur qui étaient ces hommes; ils auraient pu être ses copains s'il était resté dans son milieu social. Il aurait pu être lui-même un ouvrier fondeur comme ça, enfin il était fils d’un tonnelier après tout ce n’est pas si éloigné que ça, il y a aussi un gros partie du travail du fer. C’est comme ça que j’ai connu César, on est resté très proche, et après je l’ai un peu perdu de vu.

Mes premiers contacts dans le milieu artistique ont été beaucoup avec les Nouveaux Réalistes dont César et d’autres. Après sont apparus les artistes conceptuels, c’était en France tout le groupe de Support Surface . Donc ça ça a été surtout les artistes avec qui je me suis liée intimement, avec qui je me suis associée dans ma recherche alors intellectuelle. J’ai donc commencé à regarder les Nouveaux Réalistes un peu plus comme appartenant à l’histoire. Ils étaient déjà vieux, même si ils étaient plus jeunes à l’époque que je ne le suis moi-même aujourd’hui**. Ensuite j’ai retrouvé César quand j’ai été nommée comme commissaire de la Biennale de Venise et là j’ai pensé que c’était le moment venu pour son pays de l’honorer** comme ça, et on a retravaillé ensemble. César a représenté la France pour la Biennale de 1995__

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blogcs a l etude
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© Radio France - C Siméone

Pourquoi avoir choisi César plutôt qu'Arman ou Villeglé par exemple pour représenter la France à ce moment-là?

Catherine Millet : Non, j’ai beaucoup de respect pour Arman, je trouve aussi que c’est un artiste formidable, j’ai fait des interviews avec lui pour Art Press, on a publié des articles sur son travail à plusieurs reprises. Pour moi peut-être qu’il y a aussi des raisons personnelles qui font que vous vous attachez plus à un artiste qu’à un autre. J’ai toujours été intéressée, curieusement, dans l’Art, par les contradictions. C’est peut-être comme ça que j’ai évité alors d'êtr eaussi dogmatique que les gens de ma génération (en tout cas je suis sortie de dogmatisme) car ce qui m’intéressait c’étaient les contradictions. C’était comment notre époque pouvait se reconnaître dans des formes d’art aussi disparates. Et ça je crois que je l’ai compris très tôt. Et je l’ai compris parce que l’actualité m’obligeait à le comprendre comme ça. J’étais à la fois – je disais ça à l’instant – intéressée par les artistes conceptuels qui étaient dans une tradition anglo-saxonne et qui reniaient complètement ce qui était l’objet, pour qui l’art c’était seulement dans l’idée de ce que l’on transmet à travers un télégramme ou une carte postale. Et puis en même temps les contemporains de ces gens-là, je les citais aussi les artistes ici de Support Surface qui eux au contraire s’attachaient beaucoup à l’objet tableau, à le déconstruire, à le décortiquer, j’ai envie de dire à s’interroger sur leur métier de peintres etc. et qui avaient des références théoriques qui n’étaient pas les mêmes que celles de l’art conceptuel mais en même temps pas si éloignées de ses préoccupations évidemment. Donc ça m’a confronté d’emblée à une contradiction. Je me disais mais comment tout ça peut coexister à la même époque ?

César, le pouce
César, le pouce
© Michael Rose

Alors revenons-en à César. Pourquoi César plutôt qu’Arman? Parce que je crois que César dans sa personnalité aussi bien que dans son œuvre symbolise, résume toutes ses contradictions : César c’était en même temps l’artiste très avant-gardiste capable d’un geste aussi radical que la compression et en même temps il continuait à faire ses sculptures à la soudure comme ça et à faire ses icônes absolument magnifiques que sont la Victoire de Villetaneuse, ou des sculptures comme ça. Et il a tout sa vie était écartelé entre les deux pratiques, et toujours en train de se demander est-ce qu’il était un artiste d’avant-garde ou est-ce qu’il était un grand classique ?

César c'est à la fois le boulon et le polyuréthane, vieil outil et matériau moderne.

Catherine Millet : Voilà exactement. Et qu’il n’a jamais réussi à trancher. Et j’ai envie de dire que moi-même je suis un petit peu comme ça, dans mes goûts, dans ma façon de travailler. Je vais être à la fois très radicale dans ma façon de travailler et mais je voudrais pouvoir tout intégrer. Etre à la fois baroque et minimaliste vous voyez. Et César vraiment a été pris dans ce dilemme jusqu’à la fin. Et c’est ça qui m’intéressait, ce qui est moins le cas pour Arman je crois. Si la question c’était pourquoi César plutôt qu’Arman, voilà pourquoi César oui .

Cesar, expansion n°14, 1970
Cesar, expansion n°14, 1970
© Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Philippe Migeat

Que retenez-vous d'Arman humainement et artistiquement ?

Catherine Millet : Oh humainement c’était quelqu’un d’absolument merveilleux. Moi j’ai le souvenir d’avoir au cours d’un voyage, à Athènes, visité les musées en sa compagnie. Et visiter des musées en la compagnie d’Arman c’était mieux que d’avoir un guide ça je peux vous le dire parce que c’était quelqu’un qui avait une culture absolument encyclopédique et d’ailleurs il l’a prouvé aussi en tant que collectionneur. Son goût pour les objets d’art l’avait ouvert à beaucoup d’autres civilisations que la nôtre et il avait beaucoup de connaissances.

Arman, Eloge Maçonnique,1970 Contre-basse brisée dans du béton
Arman, Eloge Maçonnique,1970 Contre-basse brisée dans du béton
© Michel Nguyen/ arman-studio.com

Ce n’était pas du tout le même genre de personnalité que César, et dans son travail ce que j’aime beaucoup ce sont les bétons, les objets coulés dans le béton et puis exhumés comme ça. Je pense que ce sont des œuvres qui ont eu une force absolument incroyable, et là aussi le geste d’engloutir des objets dans le béton et puis comme un archéologue du futur en quelque sorte les faire ressortirje trouve que c’est un geste absolument magnifique et d’une très grande modernité, donc j’aime beaucoup l’œuvre d’Arman.

Et puis d’une façon générale je pense que tout ce groupe qui n’était pas vraiment un groupe des Nouveaux Réalistes était composé de gens vraiment exceptionnels et qui laissent des œuvres absolument exceptionnelles.

Le Nouveau Réalisme est l’un des grands grands moments de l’histoire de la modernité. Peut-être que même en France on n’en a pas conscience à quel point, je pense que les gens n’ont pas conscience.

Si on interroge des gens comme ça qui ne s’y connaissent qu’un tout petit peu en art pour avoir feuilleté de temps en temps un magazine, pour eux les années 60 ce sera le Pop Art (car il est plus accessible et adaptable) mais je pense que l’analyse des Nouveaux Réalistes sur la société de leur époque est beaucoup plus profonde. Il y a plus à en tirer aujourd’hui que chez les Pop Artistes, à l’exception peut-être de Warhol.

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Art press, 40 ans à la BnF: Les 13, 14 et 15 décembre 2012, le magazine art press fête ses quarante ans à la Bibliothèque nationale de France. Des rencontres, dialogues, débats, projections et concerts avec des invitésde renom qui ont marqué l’histoire du magazine sont au programme de ces journées.

Jeudi 13 décembre 2012 - 18h30 Michel HouellebecqProjection de « Rester vivant – méthode », pilote du film réalisé par Lieshout, Hagers et van Brummelen, scénario et dialogues de Michel Houellebecq, 12’Lecture et dialogue avec Catherine Millet

Vendredi 14 décembre 2012 - 18h30 Philippe Sollers, lecture

Clément Cogitore, « Visités », film (extrait)

Robert Ashley, « Answers and Other Songs », concert

Samedi 15 décembre 2012 - 14h30 Alain Fleischer, « Joseph Kosuth à Rome », film 20’ (anglais sous titré)Pierre Guyotat, lecture et entretien avec Jacques HenricTessa Joosse, « Plastic and Glass », film 9’

Dialogue entre la rédaction d’art press et son public Avec Régis Durand, Catherine Francblin, Jacques Henric, Christophe Kihm, Richard Leydier, Catherine

blogcs signature C Simeone
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© Radio France - C Siméone

Pour ce blog, Textes © Christine Siméone

Photos © Christine Siméone sauf indication

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