Attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray : les trois accusés condamnés à des peines allant de 8 à 13 ans de prison
Par Ariane Griessel
La cour d'assises spéciale a prononcé, ce mercredi, des peines de 8 à 13 ans de prison à l'encontre des trois accusés jugés pour "association de malfaiteurs terroriste", dans le cadre de l'attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray, en juillet 2016.
La cour d'assises spéciale, à Paris, a prononcé, ce mercredi 9 mars, des peines de 8 à 13 ans à l'encontre des trois jeunes hommes qui comparaissaient pour "association de malfaiteurs terroriste", dans le cadre de l'attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray, le 26 juillet 2016, au cours duquel le prêtre Jacques Hamel avait été assassiné dans son église, et un paroissien gravement blessé.
Les deux terroristes, Adel Kermiche et Abdel-Malik Petitjean, ont été tués en sortant de l'édifice, ce sont donc trois membres de leur entourage qui ont comparu pendant plus de trois semaines dans la salle Voltaire du palais de justice à Paris. Un quatrième accusé, Rachid Kassim, le seul poursuivi pour "complicité", a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Présumé mort en Irak, "le fantôme du procès", "l'ombre noire", selon les mots des avocats, était jugé en son absence.
A Yassine Sebaihia, 27 ans, qui a rendu visite aux assaillants à Saint-Etienne deux jours avant l'attaque, le président Franck Zientara assène : "Vous avez sombré dans l'idéologie radicale et violente de l'Etat islamique (...). La cour n'a nullement été convaincue par vos protestations d'innocence". Pour le magistrat, l'explication du jeune homme selon laquelle il a traversé la France pour prendre des cours d'arabe à Saint-Etienne-du-Rouvray auprès d'Adel Kermiche, futur assaillant, "n_e résiste pas à l'analyse, compte tenu des capacités cognitives dont vous disposez_". L'accusé a notamment été diagnostiqué "à haut potentiel" intellectuel. Sa peine de huit ans de détention est plus lourde que les sept années requises.
"Vos écrits trahissent votre volonté d'action violente"
Farid Khelil, 37 ans, cousin du terroriste Abdel-Malik Petitjean, a, selon les motivations du verdict, également "consciemment et volontairement participé à cette association de malfaiteurs terroriste en ayant une parfait connaissance de la vocation terroriste du groupe" au travers des conversations sur la messagerie cryptée Telegram auxquelles il a participé. Le président dit retenir la "volonté régulièrement exprimée" par l'accusée "de commettre un attentat en France si l'accès à la Syrie vous était interdit". "Si vous niez, vos écrits trahissent votre volonté d'action violente", ajoute Franck Zientara, qui note également les "encouragements constants" de Farid Khelil à Abdel-Malik Petitjean. Les avocates générales avaient requis neuf ans d'emprisonnement à son encontre. Il écope de dix années de détention.
Jean-Philippe Steven Jean-Louis, qui a administré une chaîne de propagande et essayé de partir en Syrie avec Abdel-Malik Petitjean, et est également reconnu coupable de soustraction de mineur, écope de la peine la plus lourde : treize ans de réclusion, pour quatorze années requises. Le président explique cette peine par le fait que, selon la cour, le jeune homme de 25 ans, a "encouragé à la commission d'actes violents", de manière "opiniâtre": "Nous avons noté le rôle central dans la diffusion de la propagande" de l'accusé.
Les trois hommes ont également tous été condamnés à l'obligation d'un suivi socio-judiciaire de cinq ans, qui comporte l'obligation de trouver du travail ou suivre une formation, l'interdiction de port d'arme, ou une obligation de soin, sous peine de trois années d'emprisonnement.
Un procès d'une exceptionnelle humanité
Ce verdict vient clore trois semaines et demie d'une audience exceptionnelle par son humanité, au sens premier du terme. Chacun, accusés comme partie civiles, a reconnu ses failles, ses faiblesses, ses rancœurs et ses espoirs. Chacun a aussi écouté l'autre, s'est adressé à l'autre, occultant parfois la présence des magistrats.
C'est dans cette logique que les trois hommes dans le box ont réservé leurs derniers mots à la famille de Jacques Hamel, le prêtre assassiné, et celle de Guy Coponet, le paroissien gravement blessé. Agés de 25 ans, 27 ans et 37 ans, ils ont tous salué l'attitude - parfois la sollicitude - des parties civiles à leur égard.
Tous les jours j'essaye de mériter un peu plus votre compassion
Mais c'est Farid Khelil, le cousin du terroriste Abdel-Malik Petitjean, qui a le plus touché la salle d'audience, ce mercredi matin. Pendant plus de 15 minutes, il a plongé son regard dans celui de Roseline Hamel, 81 ans, sœur de la victime. Il lui avait déjà demandé pardon, elle lui avait dit à quel point ces paroles lui faisaient du bien, tout en précisant douter de leur sincérité. Ce matin, accusé et victime ont semblé oublier la salle d'audience. "Je sais que je vous ai déjà demandé pardon. Tous les jours j'essaye de mériter un peu plus votre compassion, merci Madame (…). Je retiens de votre témoignages l'espoir, je le garde en moi, j'essaye vraiment d'être un homme meilleur", déclare Farid Khelil. Roseline Hamel hoche la tête, visiblement émue.
Le jeune homme s'adresse également à la famille de Guy Coponet. Ce dernier, 92 ans, est absent, mais ses enfants écoutent, eux aussi hochent la tête aux mots de l'accusé : "Je voudrais aussi parler d'espoir un peu. Vous avez eu de l'espoir pour moi, M. Coponet aussi, vous vous êtes avancé vers moi". Farid Khelil se souvient que, après ses huit heures d'audition, dont il dit être ressorti "meurtri", "lessivé", "la famille de M. Coponet est descendue de son estrade, elle m'a apporté un mouchoir. Une partie civile m'a regardé avec compassion, ça m'a vraiment touché".
"Je sais que vous croyez qu'un homme peut changer. En six ans, j'ai vraiment pris conscience du poids des mots, je ne suis plus le même homme. J'ai eu peur de vous, de vos réactions, que vous gardiez une mauvaise image de moi, mais vous m'avez rassuré, vous m'avez donné de la force, je peux être meilleur, je sais être meilleur", assure l'accusé, pâle, qui admet qu'il ne peut "que demander pardon", "c'est que des mots".
"On aurait pu avoir des paroles de haine de votre part, mais on a eu tout le contraire"
Des mots qui semblent toutefois avoir porté. À la sortie de l'audience, ce matin l'une des filles de Roseline Hamel, Angélique Deleporte, s'est dite "heureuse" que les accusés aient été atteints par "cette humanité" que les parties civiles ont essayé de leur apporter "sans calcul, parce qu'on y croit". "Ce n'est pas simple, mais c'est fondamental", juge la nièce de Jacques Hamel. "J'étais assez amère hier soir, parce que je n'avais pas entendu ça. J'espère surtout que ça va les porter, eux, pour qu'ils ne soient plus non plus une menace dans leurs vies, pour leurs proches, et pour la société".
"_On ne pourra jamais leur demander assez pardon, mais je compte le faire encore aujourd'h_ui", juge, pour sa part, Jean-Philippe Steven Jean-Louis, administrateur d'une chaîne de propagande de l'État islamique. "On aurait pu avoir des paroles de haine de votre part, mais on a eu tout le contraire, et je vous remercie encore. Les 30 jours que j'ai passés avec vous m'ont marqué. Pour tout ce que vous avez fait pendant ce procès, tout ce que vous nous avez dit, tout ce que vous avez gardé en vous, je vous demande encore une fois pardon, et je vous dis merci."
L'accusé va, fait exceptionnel, jusqu'à remercier les deux avocates générales : "On dit qu'elles sont là pour accuser. J'ai retenu aussi la partie où elles ont dit 'c'est quelqu'un de fragile, pendant sa détention, il faut qu'il mette des choses en place'. C'est la première fois que j'entends ça en six ans de détention".
Angélique Deleporte a précisé ne pas avoir envie de se poser "la question de leur sincérité". "J'en sais rien, mais ça leur appartient"