
Pierre avait 13 ans quand sa mère a été tuée à La Belle équipe. Emilie, elle, a survécu. Elle est devenue la marraine de Pierre. Ensemble, ils prennent soin l’un de l’autre.
Quand Pierre est né, sa mère avait à peine vingt ans. "Marie a désiré un enfant très jeune. C’était quelqu’un de très décidé, sûre d’elle", raconte Émilie, son amie depuis le lycée. Comme elle est alors la seule de son entourage à avoir un bébé, les soirées entre amis ont lieu chez elle, dans son appartement parisien. Et le petit Pierre grandit entouré de cette bande, très soudée, de “tatas et tontons” comme ils les appelle. “Il y a eu un lien très fort très vite”, raconte Émilie. C’est aussi, assez naturellement, parmi ces personnes qui forment son entourage quotidien, que Pierre s’est choisi un parrain et une marraine lorsqu’il a lui-même voulu se faire baptiser.
"Être à la hauteur de ce petit garçon"
Et puis il y a eu le vendredi 13 novembre 2015, cette soirée durant laquelle les balles de kalachnikovs visant la terrasse de la Belle Équipe ont fait voler en éclat ce groupe d’amis si proches. Et toutes les vies autour. Ce soir-là, Pierre, 13 ans, perd sa mère, son beau-père, sa marraine, et la majorité de ces tontons et tatas qui l'accompagnaient depuis sa naissance. "Toutes les personnes que je voyais le plus souvent et qui m’apportaient le plus sont parties", résume-t-il aujourd’hui.
Alors, le jour de la cérémonie d’enterrement de sa marraine, Pierre s’avance. Et demande à Émilie de prendre le relais comme marraine. “C’est ce qui me relève, carrément”, se souvient-t-il. Et vice-versa. Car pour Émilie, qui doit porter à la fois le traumatisme de cette attaque qu’elle a vécue et le deuil de ses amis les plus proches, "il faut tenir parce qu’il n’est pas question de le laisser tomber. Il a été hyper courageux. Et il fallait être à la hauteur de ce petit garçon".
Ce petit garçon n’a eu la confirmation de la mort de sa mère que le dimanche 15 novembre au matin. “En fait, tout le monde s’écroule, avec des cris. C'est comme ça que je l’ai appris. Et c’est l’une des scènes que je ne veux plus jamais revoir chez moi : voir tout le monde pleurer.” Tout le monde, sauf lui. Parce qu'il n’y “arrive pas”. “Je ne comprenais rien. Je tapais les murs, mais je ne pleurais pas”. Émilie, elle, se souvient d’un plat de tiramisu “que ce petit bonhomme de 13 ans avait préparé deux jours avant avec sa mère. Et il nous donnait une part à chacun, il disait : il faut le manger, il ne va plus être bon. Nous on était tous bouleversés et c’est lui qui était fort. Il nous a dit : maman était très forte, elle n’aurait pas pleuré. Elle voyait toujours le bon côté des choses, je vais faire comme elle.”
Renouer avec la vie quotidienne, la souffrance en plus
Dans les jours qui suivent, Pierre s’installe chez ses grands-parents. Mais dort aussi régulièrement chez sa marraine. "À l’époque, je vivais en coloc’. On dormait ensemble dans un lit", se souvient Émilie. Et puis Pierre reprend la route de l’école et sa classe de quatrième.
Quand je suis revenu, tout le monde me regardait dans la cour. Ceux qui me connaissaient sont venus vers moi et ça a été un mouvement d’amour, de câlins, de pleurs. Ça m’a fait du bien.
Du moins sur le moment. Car après, il faut renouer avec la vie quotidienne. La souffrance en plus. Une souffrance qui, pour Pierre, transparaît à l’école : “Je faisais n’importe quoi : je ne faisais rien en cours, je répondais aux profs, je me croyais tout permis”. Une souffrance qui devient agressive aussi : “je pouvais me mettre en colère contre ça, contre ce qu’il s’était passé et taper partout”. Une souffrance qui rend difficile la cohabitation avec sa grand-mère. "Ça se passait très mal au début. Je rejetais tout sur elle. Pour moi c’était impensable de vivre avec une dame de 75 ans. Ma mère, elle en avait 30. Je suis passé des grosses soirées à la maison aux dîners de famille avec trois fourchettes.”
Pierre recherche d’autant plus la compagnie de sa marraine chez qui “il y avait souvent beaucoup de monde”. Plus tard, lorsque Émilie s’installe avec son nouveau compagnon et devient maman, Pierre continue à venir régulièrement. Aujourd’hui, il est le parrain de ses deux filles. Et tous deux sont d'accord : c’est leur relation qui leur a “permis de tenir bon”. Même si, poursuit Pierre, “quand on vit quelque chose comme ça, on est tout seul. Dans ma tête, j'étais vraiment tout seul. Même encore aujourd’hui”.
Car à ses copains, sa petite amie ou l’ami toujours proche avec lequel il regardait le match de foot ce 13 novembre 2015, Pierre ne parle jamais de ces attentats. “À 13 ans, c’est impossible. Et même aujourd’hui, ils sont trop jeunes”. “C’est assez terrible la solitude dans laquelle ça place”, renchérit Émilie. “On se comprend et on se reconnaît dans nos solitudes respectives, mais on est seuls tous les deux.”
Tous nos articles sur le procès des attentats du 13 novembre 2015 sont à retrouver ici.