Au bonheur de l'été, de Chagall à Hopper, de Victor Hugo à Borges
Par Christine Siméone

Le peintre américainEdward Hopper était très attaché depuis l'enfance à la mer, et plus tard il peindra plusieurs sujets marins. Dans ce**Ground Swell** , ( visible à la National Gallery) il met en scène une idée de fragilité du bonheur. Le temps semble paisible et ensoleillé, mais ce moment idyllique est fragile, instable, soumis à une possible lame de fond, par exemple. On pourrait lui adjoindre ce mot de Victor Hugo dans L'Homme qui rit : "Le bonheur, comme la mer, arrive à faire son plein. Ce qui est inquiétant pour les parfaitement heureux, c’est que la mer redescend ". Pour André Gide, le plus sûr moyen de répandre le bonheur et d'avoir l'air, et d'être, heureux**.**
Voici dix images, avec citations ou poèmes consacrés au bonheur, histoire de bien commencer l'été, pour faire comme Stendhal , collectionner uniquement, désormais, les moments de bonheur.
Le bonheur, pourquoi le refuser ? En l'acceptant, on n'aggrave pas le malheur des autres et même ça aide à lutter pour eux. Je trouve regrettable cette honte qu'on éprouve à se sentir heureux. Albert Camus
Picasso - La Maternité - 1905
Cette œuvre peinte pendant la période rose de l'artiste, représente une jeune mère allaitant son nourrisson. Elle le regarde avec tendresse. On ne sait pas qui est le modèle, elle est vêtue de rose, ce qui nous rappelle le temps de la "période rose" de Picasso, couleur assimilée à la tendresse, au bonheur. Le bleu de l'arrière plan vient renforcer cette impression.

Où donc est le bonheur ? disais-je. - Infortuné ! Le bonheur, ô mon Dieu, vous me l'avez donné. Naître, et ne pas savoir que l'enfance éphémère, Ruisseau de lait qui fuit sans une goutte amère, Est l'âge du bonheur, et le plus beau moment Que l'homme, ombre qui passe, ait sous le firmament ! [ ...]
Ainsi l'homme, ô mon Dieu ! marche toujours plus sombre Du berceau qui rayonne au sépulcre plein d'ombre. C'est donc avoir vécu ! c'est donc avoir été ! Dans la joie et l'amour et la félicité C'est avoir eu sa part ! et se plaindre est folie. Voilà de quel nectar la coupe était remplie ! Victor Hugo - Où donc est le bonheur ? - Les feuilles d'automne in Les Orientales
Paul Cézanne - Les Grandes Baigneuses - 1874-1875

Les Baigneurs, les Baigneuses sont le grand secret de Cézanne. Il se tait là-dessus, et d'ailleurs, vérifiez, tout le monde est embarrassé pour en parler. Ces figures sont trop «autre part », ni dans le passé ni dans le futur. Les Grandes Baigneuses, finalement sont les déesses énigmatiques de Cézanne. On ne les a jamais vues. Elles n'ont aucun trait d'identité d'époque, impossible de les identifier par la toilette, le caractère, l'anecdote biographique. Philippe Sollers in Le Paradis de Cézanne Gallimard, 1995
Marc Chagall - Le Paysage Bleu - 1949
Malgré les difficultés de notre monde, je n'ai jamais renoncé, en mon for intérieur, à l'amour dans lequel j'ai été élevé, pas plus qu'à l'espoir de l'homme dans l'amour. Comme sur la palette d'un peintre, il n'y a dans notre vie qu'une seule couleur qui donne un sens à la vie et à l'art, la couleur de l'amour. Marc Chagall

Celui qui embrasse une femme est Adam. La femme est Ève. Tout se passe pour la première fois. J’ai vu une chose blanche dans le ciel. On me dit que c’est la lune, mais
que puis-je faire avec un mot et une mythologie ?
....
Jorge Louis Borges , Le Bonheur - in Poèmes d’Amour
Edouard Manet - Le Déjeuner sur l'Herbe -1862-1863

Le Déjeuner sur l'Herbe est la plus grande toile d' Édouard Manet, celle où il a réalisé le rêve que font tous les peintres : mettre des figures en grandeur nature dans un paysage. On sait avec quelle puissance il a vaincu cette difficulté. Il y a là quelques feuillages, quelques troncs d'arbres, et, au fond, une rivière dans laquelle se baigne une femme en chemise ; sur le premier plan, deux jeunes gens sont assis en face d'une seconde femme qui vient de sortir de l'eau et qui sèche sa peau nue au grand air. Cette femme nue a scandalisé le public qui n'a vu qu'elle dans la toile. Émile Zola
Henri Matisse - Polynésie, la Mer - gouache découpée - 1946

Henri Matisse part à Tahiti à cause, dira-t-il, de la lumière :
J'irai vers les îles, pour regarder sous les tropiques, la nuit et la lumière de l'aube qui ont sans doute une autre densité. La lumière du Pacifique est un gobelet d'or profond dans lequel on regarde. Je me souviens qu'à mon arrivée, ce fut décevant et puis peu à peu, c'était beau, c'était beau, c'était beau !. Les feuilles des hauts cocotiers, retroussées par les alizés, faisaient un bruit soyeux. Ce bruit était posé sur le grondement de fond d'orchestre des vagues de la mer venant de briser sur le récif. Je me baignais dans le lagon. Je nageais autour des couleurs des coraux soutenus par les accents piquants et noirs des holothuries… Henri Matisse
Claude Monet - Les meules, effet du matin fin de l'été - 1890

Monet peindra une trentaine de fois les meules de foin qui se dressaient dans un champ à proximité de sa maison de Giverny, entre l'été 1890 et l'hiver 1891.
... il est toujours l'incomparable peintre de la terre et de l'air, préoccupé des fugitives influences lumineuses sur le fond permanent de l'univers. Il donne la sensation de l'instant éphémère, qui vient de naître, qui meurt, et qui ne reviendra plus, — et en même temps, par la densité, par le poids, par la force qui vient du dedans au dehors, il évoque sans cesse, dans chacune de ses toiles, la courbe de l'horizon, la rondeur du globe, la course de la terre dans l'espace.Gustave Geffroy
Auguste Renoir - Le Déjeuner des Canotiers ou Partie de Campagne - 1880-1881

Il s'agit de la dernière grande œuvre de Renoir dans le style impressionniste. Renoir a travaillé au Déjeuner des Canotiers d'avril à juillet 1881. L'œuvre a été peinte sur la terrasse de la Maison Fournaise à Chatou, guinguette typique à l"époque des bords de Marne. Quatorze personnages, amis et proches du peintre, sont rassemblés en plein air, sous un auvent coloré, lors d'une chaude journée d'été, avec cette lumière si chère aux peintres impressionnistes.
Vincent Van Gogh -La Nuit étoilée - 1889
A son arrivée à Arles, le 8 février 1888, la représentation des "effets de nuit" est une préoccupation constante pour Van Gogh. Qu'il écrive à son frère Théo, à sa soeur ou au peintre Bonnard, il manifeste sans cesse cette obsession :
Il me faut une nuit étoilée avec des cyprès ou, peut-être, au-dessus d'un champ de blé mûr.... Souvent, il me semble que la nuit est encore plus richement colorée que le jour.

Que l'avenir donne à d'autres que nous Même tendresse et même vie, Pour que leur sort, de notre sort, ne soit jaloux. Et puis, aux jours mauvais, quand les grands soirs Illimitent, jusques au ciel, le désespoir, Nous demandons pardon à la nuit qui s'enflamme De la douceur de notre âme.
...
Émile Verhaeren - Oh ! ce bonheur - Les heures claires
Pierre Bonnard - L'Atelier au Mimosa - 1939 et 1946
L'artiste a commencé cette toile en 1939 au Cannet puis l'a reprise en 1946 à Fontainebleau.En 1925, Bonnard avait acheté, au Cannet, une modeste villa aux murs roses, Le Bosquet. Il a peint ce tableau depuis la mezzanine de son atelier exigu. Le seul luxe est la verrière, où resplendit le paysage, la vue sur le jardin luxuriant, et sur les toits du village en contrebas.

Le plaisir est le bonheur des fous. Le bonheur est le plaisir des sages. Jules Barbey d’Aurevilly
Avec Catherine Barbry, Maria Contreras et Annelise Signoret de la Bibliothèque de Radio France