Au procès d'un Youtubeur jugé pour harcèlement : raids numériques, influenceurs, et gros-bras

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Au procès d'un Youtubeur jugé pour harcèlement : raids numériques, influenceurs, et gros-bras

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Capture d'écran de la vidéo diffusée par Marvel Fitness la veille de son procès
Capture d'écran de la vidéo diffusée par Marvel Fitness la veille de son procès

Le Youtubeur Marvel Fitness, qui prodigue ses conseils en musculation à 147 000 abonnés, a été condamné lundi par le tribunal correctionnel de Versailles à un an de prison ferme avec mandat de dépôt pour avoir harcelé des "influenceurs", au terme d'un procès qui a révélé la part d'ombre des réseaux sociaux.

"Nous sommes à l'orée d'un nouveau monde", lâche un avocat de partie civile, lors de sa plaidoirie. Et l'on comprend vite que ce nouveau monde n'a rien d'enviable. Voilà trois heures que la justice et ses codes centenaires doit traiter de "raids numériques", de Twitch, de story Instagram, de Twitter, de YouTube, dans cette salle du palais de justice de Versailles, où les magistrats quinquagénaires font face à une salle remplie de jeunes d'une vingtaine d'années, biberonnés aux réseaux sociaux. Il faut dire que le prévenu est une sommité dans son milieu : Habannou S., connu sous plusieurs pseudos, notamment "Marvel Fitness", du nom de la chaîne qu'il anime sur YouTube, et sur laquelle il prodigue des conseils en musculation et nutrition à 147 000 abonnés (son avocat soulignera dans sa plaidoirie que le vrai nom de la chaîne est en réalité "Marvel Fitness Channel", espérant soulever un point de procédure, sans succès). Le jeune homme de 31 ans comparaît pour "harcèlement de meute", notion intégrée au code pénal en août 2018.

Côté partie civile, six femmes et trois hommes, dont une majorité d'"influenceurs", ces internautes qui gagnent leur vie en plaçant des marques sur les réseaux sociaux. Eux aussi gravitent dans le milieu du fitness. Tout comme une bonne partie des spectateurs, à en croire les biceps saillants, les épaules carrés, et les pectoraux qui se dessinent sous les T-shirt moulants. Ici, chacun a choisi son camp, et l'animosité virtuelle étant devenue réelle, un dispositif de sécurité a été mis en place à l'entrée du tribunal pour éviter que lesdits muscles servent à régler des comptes avant ou après l'audience aux abords du Palais de justice.

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Conséquences physiques et psychologiques

Car l'affaire, comme le souligne l'avocat Christian Charrière-Bournazel, "est d'une exceptionnelle gravité" : Habannou S. est accusé d'avoir, depuis trois ans, envoyé des milliers de messages de menaces et insultes aux parties civiles, et également appelé ses abonnés à participer à ce lynchage virtuel, aux conséquences tout ce qu'il y a de plus réelles. L'une des plaignantes explique ne plus pouvoir lire les messages qu'elle reçoit de peur d'y trouver des injures, y compris ceux venant de ses proches. Un autre décrit des troubles physiques et psychologiques, dit avoir perdu quatre kilos en un mois. Plusieurs affirment avoir perdu des contrats après que leurs sponsors ont également été pris pour cible par le YouTubeur et ses abonnés. Souvent un même point de départ provoque ce qu'un avocat appelle "l'étincelle": une critique négative sur une vidéo de Marvel Fitness, et la machine est enclenchée. 5 000 pièces sont portées au dossier. "J'aimerais que cette affaire fasse comprendre que c'est beaucoup plus grave que ce que ça en a l'air" insiste l'un des plaignants.

Le jeune homme, lui, garde le silence à l'audience, sur les conseils de son avocat. Le président l'interpelle : "Si vous avez quelque chose à dire, ce serait plus intéressant de le dire au tribunal que sur YouTube ou sur Instagram". Peine perdue. Mais on ne peut pas s'empêcher de penser que c'est bien essayé : à l'évidence, pour une bonne partie des personnes présentes, la vie se joue autant sur les réseaux sociaux que dans la salle. À tel point qu'un jeune homme de la partie civile s'est tourné vers les spectateurs pour interpeller "les abonnés". Il est rappelé à l'ordre par le président. Un peu plus tôt, lors d'une suspension d'audience, un spectateur est aperçu en train de lever son téléphone dans la salle. Un policier demande à vérifier qu'il n'a rien filmé (interdit en salle d'audience). "Vérifiez bien sa story sur Snap et Insta !" [diffusions sur les réseaux SnapChat et Instagram]" , l'alerte l'avocate et partie civile Laure-Alice Bouvier. Regard perplexe du fonctionnaire qui admet "ne pas y connaître grand-chose".

"On n'a pas conscience de ce que cela peut générer"

Me Bouvier insiste sur la détresse psychologique de ses clients, affirme avoir eu peur que certains se suicident. "Avant de vivre ce harcèlement, on n'a pas conscience de ce que cela peut générer. On reçoit des centaines de messages. Le pire, c'est que tout le monde vous en parle même si vous coupez les réseaux", plaide l'avocate, elle-même cible de harcèlement. Elle projette une vidéo diffusée par Marvel Fitness sur sa chaîne. Il y fait son mea culpa pendant plusieurs minutes, avant d'éclater de rire : "Il faut arrêter les conneries, je sais que certains y ont cru. 2020, ça va être la guerre". Guerre qu'il a menée jusqu'au bout, allant jusqu’à diffuser une vidéo la veille au soir de son procès.

Particularité de cette affaire : Me Bouvier défend les internautes parties civiles, mais est également plaignante elle-même. Elle affirme que sa vie "a changé" à l'été 2019, après qu'elle a accepté de représenter des influenceurs. Laure-Alice Bouvier affirme notamment avoir été attendue à la sortie d'un conseil des prud'hommes par Marvel Fitness, qui l'a suivie en la filmant, avant de mettre la vidéo en ligne le lendemain. Une fois sa plaidoirie d'avocate terminée, la jeune femme enlève sa robe pour devenir partie civile, défendue par son avocat à elle, Me Charrière Bournazel. Originalité de plus à cette audience qui en compte déjà beaucoup. 

Du côté de la défense, Me Marc Goudarzian soulève plusieurs points de procédure : entre autres, l'absence de dates précises des captures d'écran, le fait de ne pas pouvoir prouver qui a diffusé ces messages et vidéos. Il remet en cause la véracité de certains certificats médicaux attestant de troubles psychologiques chez les plaignants. Et invoque la liberté d'expression, parle de satire, rappelle que les plaignants sont des personnalités publiques, allant jusqu'à faire un parallèle avec Les Guignols de l'Info.

"Internet n'est pas une zone de non-droit"

Des arguments qui n'ont visiblement pas convaincu le tribunal. Le président a noté, durant l'audience, une "absence de remise en cause" de la part du prévenu, lors de ses auditions par les enquêteurs. Marvel Fitness est condamné à deux ans de prison dont un assorti d'un sursis probatoire de trois ans, à une obligation de suivi psychologique, à l'interdiction d'entrer en contact avec les victimes et de création ou animation de réseaux sociaux ou site internet. A l'énoncé du jugement, un policier passe immédiatement les menottes au jeune homme, encore groggy à la barre, dans un silence de plomb. Son avocat attribue la sévérité de la peine (supérieure aux réquisitions, qui étaient de huit mois fermes) à "des raisons d'opinion publique" : "Si on avait annulé le dossier et relaxé Habannou S., imaginez la retombée médiatique !" Il dit vouloir faire appel.

L'avocate Laure-Alice Bouvier salue, pour sa part "une sanction exemplaire" : "Non seulement elle met fin à un comportement ignoble sur les réseaux sociaux, mais, en plus de ça, elle montre à tout le monde qu'internet n'est pas une zone de non-droit".

Jugé pour "harcèlement en meute", Habannou S. a pourtant comparu seul. "Il aurait fallu attendre des années si on avait voulu juger tous les harceleurs", explique Me Bouvier. Absents à l'audience, certains ont tout de même rappelé leur présence via les réseaux sociaux, insultant certaines parties civiles jusque pendant le procès. Mais l'une des plaignantes accueille, cette fois, ces messages avec philosophie : "Comme tout bad-buzz, ça va être terrible quelques jours. Mais, ensuite, ça va aller decrescendo, jusqu'à s'arrêter. Il ne sera plus là pour l'entretenir."