Au procès de l'attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray, la foi des survivants, et les excuses d'un accusé
Par Ariane Griessel
La parole était aux parties civiles, ce jeudi, au procès de l'attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray, le 26 juillet 2016. Des femmes et des hommes qui ont suscité l'admiration par leur force. Un discours teinté d'espoir, de foi catholique, et d'appel à la fraternité, face auquel un accusé a tenu à demander pardon.
Il s'est levé une première fois, dans le box des accusés pour demander la parole, sans succès. Puis une deuxième fois, toujours ignorée par le président. Avant la suspension de la mi-journée, Farid Khelil, pull noir, les cheveux toujours noués en petite queue de cheval, se lève à nouveau. Cette fois, c'est la bonne. Il se tourne vers Guy Coponet, dont le témoignage a impressionné la salle d'audience par sa force et sa dignité, en début de matinée. "Monsieur Coponet, vous m'entendez ? Ça fait cinq ans, six mois, et vingt jours que j'essaye de vous parler, monsieur Coponet. Vous m'avez bouleversé. Vous dites que vous pensez à ces deux 'lascars__' [terme employé par le rescapé pour désigner les assaillants, ndlr] tous les matins, moi je les appelle des 'monstres'. Je pense à vous et au père Hamel tous les matins. J'aurais dû faire beaucoup, beaucoup plus pour éviter cette tragédie. Je vous demande pardon de ne pas avoir fait autant que j'aurais dû", conclut celui qui est le cousin d'Abdel-Malik Petitjean, l'un des deux terroristes tués à la sortie de l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray, après avoir assassiné le prêtre Jacques Hamel et gravement blessé à la gorge Guy Coponet, le 26 juillet 2016.
À la sortie de l'audience, cet homme de 92 ans, légèrement voûté mais énergique, qui avait dit souhaiter profondément des excuses, a jugé "ne pas avoir perdu sa matinée". Un regard malicieux sur une tragédie, à l'aune de la déposition de la victime.
"Si tu bouges, mon gars, c'est terminé"
Pendant un peu plus d'une heure, Guy Coponet a raconté ce qu'il a vécu lors de cette attaque, survenue un 26 juillet, jour de son anniversaire. Il a maintenant 92 ans, et témoigne assis, portant parfois la main à son oreille pour mieux entendre. Mais, pour le reste, cet homme aux cheveux blancs et lunette à monture dorée impressionne par son énergie, sa mémoire, et sa bienveillance. Le président le lui dira, d'ailleurs, à plusieurs reprises.
"Je vais vous raconter cette journée, c'est bien frais, y a pas de problème", attaque Guy Coponet. Le paroissien se souvient du moment où "on a entendu frapper à la sacristie", puis l'entrée des deux assaillants, dont l'un se dirige vers le père Hamel, tandis que l'autre l'oblige, lui, à tenir un téléphone pour filmer l'attaque du prêtre. Ensuite, le duo "s'occupe de [lui]", comme il dit. "Je leur ai dit 'Mais tu vas tuer ton grand-père !', ça n'a eu aucun effet, bien sûr". Les coups de couteau pleuvent, dans le dos, à la gorge. Le paroissien fait le mort, en comprimant sa plaie au cou, ce qui, de l'avis des médecins, lui sauvera la vie. "Je me disais 'surtout bouge pas, parce que si tu bouges, mon gars, c'est terminé".
Leçon de dignité
Pour ne pas sombrer, Guy Coponet se souvient avoir récité en boucle des "Je vous salue Marie". "J'étais en train d'en finir un quand les secours sont arrivés", raconte-t-il. Et là, dans une salle d'audience sur laquelle s'abat un silence de plomb, ce petit homme de 92 ans récite d'une voix claire et décidée, l'une de ses prières qui lui ont sauvé la vie. "_Voilà ce que je pouvais dire, je parle du cœu_r", annonce le rescapé pour conclure sa déposition.
C'est bien sûr aussi son cœur qui parle, quand il évoque sa femme, Janine, décédée en 2021, sa "moitié", son "tout" et qui était avec lui à la messe, ce matin du 26 juillet 2016: "Elle a été plus choquée que moi, parce qu'une fois que j'étais allongé, j'étais plus ou moins comateux (…). Elle ne s'en est jamais remise". Il se rend toujours sur sa tombe après la messe, à laquelle il continue à aller une fois par semaine. "C'est l'amour qui vient, y a rien à faire ! J'ai l'impression qu'elle me répond". Un silence, puis "je ne suis quand même pas cinglé, hein, ne croyez pas !" Guy Coponet ponctue son témoignage de traits d'humour, de notes d'espoir, et d'appel à l'amour et à la fraternité. Une leçon de dignité, dont les fêlures se perçoivent parfois à une voix qui se brise, rarement. Ainsi, lorsqu'il explique ne plus pouvoir faire le tour de l'église avec les tableaux du Chemin de croix, le vendredi Saint : "Les dernières stations, c'est le père Jacques, c'est ce qu'il a subi. Ils l'ont massacré comme ça".
Lorsque le président lui demande ce qu'il attend de son procès, Guy Coponet parle d'un "rêve" : que les instigateurs de l'attentat viennent demander pardon. "Dieu seul le sait, comme on dit toujours chez nous. Et encore !" La salle rit, lui avec : "Il faut se détendre". Puis redevient sérieux, et souffle : "Enfin, ce serait merveilleux quand même".
"Des graines d'amour, de paix, de fraternité"
Roseline Hamel, elle, attend surtout des explications. La sœur du prêtre assassiné le dit depuis les révélations de Mediapart, en 2018, selon lesquelles des services de renseignement avaient eu accès à la chaîne Telegram de l'un des tueurs, Adel Kermiche, qui vivait à Saint-Etienne-du-Rouvray, et dans laquelle il appelait à s'en prendre à une église.
Appelée à la barre en début d'après-midi, cette élégante femme de 80 ans refuse la chaise que lui propose le président. Droite et décidée, elle parle de son frère, "notre frère à tous", "taiseux mais de grande écoute", pouvant se montrer contrarié lorsqu'un paroissien chante faux lors de l'office, grand amateur d'orgue : "Il a passé sa vie à consacrer sa vie aux autres, semant des graines de paix, d'amour, et de fraternité".
Elle se souvient d'une conversation avec son frère, la veille de l'attaque, au sujet de l'attentat à Nice, survenu onze jours plus tôt : "On lui a demandé ce qu'on pouvait faire, il nous a répondu que l'on ne pouvait que prier, puis a ajouté que les politiciens, eux, devaient se bouger, parce que ça ne serait sans doute pas le dernier [attentat]. Sans savoir que, le lendemain, ce serait son tour".
"J'ai hurlé à m'en déchirer les poumons"
Le 26 juillet, elle l'entend se lever, se dit qu'elle prendra son café avec lui à la sortie de la messe. Puis raconte un coup de téléphone lui faisant part d'une "rumeur" sur une prise d'otage à l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray, l'attente, la certitude qu'elle reverra son frère bientôt. Puis arrivent des secouristes, un médecin "couvert de sang", une infirmière, et "_une jeune femme employée aux pompes funèbres, à qui on avait confié la mission, que personne ne voulait, de nous annoncer la mort de mon frère (….) J'ai hurlé, hurlé, à m'en déchirer les poumon_s".
Une souffrance qui "persiste", selon Roseline Hammel, qui se remémore un article de presse lui étant consacré, titré "Ils n'auront pas sa haine". L'octogénaire se tourne vers les accusés :
Oui, messieurs, vous n'aurez pas ma haine, parce que c'est avec le don d'amour que Dieu nous a donné que l'on construit la paix, la liberté, la fraternité (…). La souffrance est tellement immense qu'il n'y a pas de place pour la haine.
Roseline Hamel n'a pas de haine, mais elle a donc des questions sur la surveillance des terroristes. Au président, elle fait part de son besoin de "connaître les vérités cachées" : "S'il y a, eu défaillance, que ce soit résolu afin que plus jamais nous ne connaissions cette barbarie, ces massacres". Lorsqu'il lui signale que ce n'est peut-être pas de sa compétence, elle assène, énergique "_Vous savez, monsieur le président, si vous saviez la souffrance que ça procure, vous mettriez toutes vos forces pour que ça ne se reproduise pa_s".