Au procès de l’incendie de la rue Erlanger, la famille de l'accusée raconte son impuissance

Publicité

Au procès de l’incendie de la rue Erlanger, la famille de l'accusée raconte son impuissance

Par
L'incendie de la rue Erlanger, dans le XVIe arrondissement de Paris, avait causé la mort de 10 personnes, en février 2019
L'incendie de la rue Erlanger, dans le XVIe arrondissement de Paris, avait causé la mort de 10 personnes, en février 2019
© AFP - BENOÎT MOSER / BRIGADE DE SAPEURS-POMPIERS DE PARIS

Les proches d’Essia B. se sont succédé ce mardi, devant la cour d'assises, quatre ans après l'incendie qui a fait 10 morts rue Erlanger, dans le XVIe arrondissement de Paris. Ils ont raconté les années passées à tenter d’aider l’accusée et leur impuissance à la faire prendre en charge correctement. 

C’est l’histoire d’une famille ordinaire. Le père, d’origine tunisienne, responsable des interprètes pour l’Unesco. La mère, professeure à l’université. Et leurs trois enfants : Mariam, l’aînée, Essia, de cinq ans sa cadette et Yacine, le petit dernier. Mais très vite, Essia se démarque, “se gave de sucre, de chocolat”. Elle a alors 7 ou 8 ans, raconte Michelle, sa mère, à la barre de la cour d’assises, quatre ans après l'incendie de la rue Erlanger, pour lequel Essia est jugée.

Descente aux enfers

À l’adolescence, en réaction aux moqueries dont elle fait l’objet à cause de son surpoids, Essia bascule dans l’anorexie. “Elle devient maigre, elle ne peut plus se lever le matin parce qu’elle est trop faible”. Elle a alors 13 ans, est suivie par un thérapeute. La suite est une longue descente aux enfers. L’adolescente rentre de plus en plus tard du collège, rejoint des copains au jardin du Luxembourg. Le cannabis et la bière remplacent le chocolat. “Elle voulait tout le temps boire”, soupire sa mère.

Publicité

À 17 ans, premier sevrage. “Mais, ce sera à chaque fois la même chose : au bout de trois ou quatre jours, on nous disait : “mais elle est formidable”. Et Essia B. ressort. Puis replonge. “Ce n’est pas quelqu’un qui boit tranquillement. Ce sont des alcoolisations massives, qui peuvent mettre en danger les autres”, explique encore Michelle. "Alors, à chaque fois, on appelle au secours, elle est hospitalisée à Saint-Anne, ressort, et ça recommence”, poursuit la mère de l’accusée, une énorme lassitude dans la voix. Même triste constat chez Mariam, sa soeur aînée : “J'ai passé beaucoup de temps dans ma vie à aller la chercher chez les pompiers, à signer des HDT [hospitalisation à la demande d’un tiers, ndlr], à la récupérer dans des hôtels sordides …"

Décompensation

Séjours en clinique spécialisée ou hôpital psychiatrique alternent avec des stages de yoga. Ses études à l’école hôtellière de Lausanne, puis son CDI dans un hôtel 4 étoiles constituent une période d’apaisement. Un temps seulement. Alors, quand Essia va mal, Michelle accueille aussi sa fille chez elle. Pendant toute la durée de sa grossesse, notamment. “Le papa a abandonné, il n’en peut plus. Il voulait l’aider, mais c’est au-delà de ce qu’il peut faire. Alors la grossesse se passe chez moi. Et là, pendant neuf mois, c’est l’enfer.”

Tant bien que mal, les proches d’Essia B. parviennent à la tenir éloignée de l’alcool et la drogue. “Notre ligne directrice c’était que le petit ne soit pas atteint par ses crises d’alcoolisme”, explique Michelle. L’enfant est né en bonne santé. Mais Essia B., elle, “fait une crise de décompensation énorme. Elle courait partout dans les rues, voulait de l’alcool. Moi, j’étais à la maison avec le petit. On a réussi à l’hospitaliser une nouvelle fois.” Le petit, lui, a grandi. Il a aujourd’hui 14 ans. Michelle, 76 ans, sa tutrice légale, lui donne “la meilleure éducation possible”.

"Elle était totalement incohérente"

Les années passent. Avec leur lot d’espoirs : “Quand elle aborde un nouveau traitement, on se dit : “cette fois, ça va être la bonne”. Et puis, quatre ou cinq mois après, c’est fini.” Un jour, poussée par une médecin, Michelle loue un appartement pour permettre à sa fille de vivre seule. Elle le dédaigne pendant des mois, puis s’installe dans ces 35 mètres carrés au deuxième étage du 17 bis, rue Erlanger, à Paris. Nouvelle embellie. Et nouvelle rechute. En janvier 2019, “elle allait de nouveau mal, elle ne supportait plus Paris”, se souvient sa mère.

Alors, Essia B. part se ressourcer dans le centre de yoga où elle a ses habitudes. Mais quelques jours plus tard, le formateur appelle, paniqué : “ça ne va pas du tout”. “Il l’a remise dans un TGV, en pleine crise en disant au contrôleur de faire attention à elle”, raconte Michelle. À l’arrivée, Mariam, soeur aînée de l’accusée, l’attend sur le quai. “Ca fait 20 ans que je la vois hospitalisée ou droguée, même au téléphone, je le repère tout de suite. Mais là, on était dans une dimension. Elle était totalement incohérente, elle avait des tâches rouges sur le visage”, raconte Mariam à la barre. “Ca m’a mis deux heures pour l’emmener à l’hôpital psychiatrique, puis encore 1h30 pour la convaincre d’entrer. Elle ramassait des gobelets dans le jardin de Sainte-Anne, les remplissait avec de la terre. Elle parlait de chamanes, disait que Gaia était là, lui parlait, qu’elle avait une mission. J’avais jamais entendu ça. Jamais.”

Alors, une fois encore, Mariam signe une hospitalisation à la demande d’un tiers. La famille se rend même le 28 janvier à l’hôpital psychiatrique Sainte-Anne pour une réunion. Essia B. y apparaît toujours délirante. Mais deux jours après, la famille B. apprend que l’accusée est sortie de l’hôpital. Impuissante. Démunie. On est alors six jours avant qu’Essia B. ne mette le feu dans son immeuble. Et cause la mort de dix personnes.