Au procès des attentats de janvier 2015, Amar Ramdani, charmeur et crâneur : "Je suis pas une balance"

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Au procès des attentats de janvier 2015, Amar Ramdani, charmeur et crâneur : "Je suis pas une balance"

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Amar Ramdani, intelligent, manipulateur et charmeur
Amar Ramdani, intelligent, manipulateur et charmeur
© Radio France - Matthieu Boucheron

Jour 27 au procès des attentats de janvier 2015 - Aujourd'hui, la cour a commencé à interroger l'accusé Amar Ramdani, dont l'interrogatoire durera deux jours, le double des deux accusés précédemment interrogés. Amar Ramdani qui avait rencontré Amedy Coulibaly en prison, entre 2010 et 2013.

Amar Ramdani est l’accusé qui récite de la poésie, dans son box. Celui qui avait cité Boris Vian après le témoignage bouleversant de Sigolène Vinson, survivante de Charlie Hebdo, épargnée par un frère Kouachi qui lui avait semblé avoir un "regard doux", à l'instant où il baissait sa kalachnikov et tournait les talons après la tuerie. "Elle a dû voir une montagne de textile noir et de fer et elle a dû s'accrocher à un truc, elle a dû voir de la peau et ses yeux, et pour se rassurer, elle a trouvé de la douceur", avait déclaré Ramdani quand le président de la cour d'assises Régis de Jorna lui avait demandé son ressenti sur la parole des victimes. Il s'était dit "bouleversé". Et Ramdani avait alors semblé sincère, même si dans la salle d'audience, certains l'avaient surtout trouvé manipulateur et charmeur.

Un côté Dom Juan éloquent

Charmeur, éloquent, intelligent, plein d'assurance, mi-moqueur, mi-arrogant : voilà comment il est apparu aujourd'hui au premier jour de son interrogatoire par la cour d'assises spécialement composée. Rappelons que Ramdani, 39 ans, s'est retrouvé interpellé presque par hasard, en janvier 2015 : arrêté sur mandat de recherche européen pour trafic de stupéfiants et d’armes de guerre en Espagne. C’était en fait une usurpation d’identité. Il a vite été innocenté dans cette affaire-là, mais aussi vite mis en cause pour les attentats de janvier 2015. On l’a d’abord accusé d’avoir tiré sur le joggeur le soir du 7 janvier, avant que les juges d’instruction estiment qu’il n’était pas le tireur. À ce procès, il est finalement accusé d’avoir recherché des armes et d’avoir acheté une voiture avec Amedy Coulibaly, le terroriste de Montrouge et de l'Hyper Cacher.

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Debout dans son box, Amar Ramdani raconte comment il a rencontré Amedy Coulibaly : "Je l'ai connu en prison, on se voyait, on était dans le même bâtiment, on était dans des ailes opposées, il était pas en promenade avec moi, je le voyais de vue". C'était à la prison de Villepinte, entre 2010 et 2013. Puis ils ont sympathisé en travaillant à la buanderie où se trouvait aussi un autre accusé de ce procès, Mickaël Pastor Alwatik. Ramdani parle de l'autre accusé qu'il connaît, son voisin de box Saïd Makhlouf, un lointain cousin, "on s'est connus en Algérie, on se voyait dans les mariages, les enterrements". Amar Ramdani est sorti de prison en 2013, Amedy Coulibaly y est resté jusqu'en 2014. Le président demande comment ils sont restés en contact. Ramdani hausse les épaules : "En fait, Monsieur le président, en prison, on avait tous des téléphones, je vais pas vous mentir, c'est comme ça que j'ai gardé contact avec lui !" Pour Ramdani, Coulibaly était "serviable, sympa, intelligent". Il le voyait comme quelqu'un de "bonhomme, quelqu'un qui a le cran de faire les choses, pas d'une manière lâche". Et Ramdani ajoute : "aller tuer des gamins et des gens qui font leurs courses, c'est des trucs de lâche". 

"Le mec, il était en Dolce&Gabbana pas en qamis"

Le président veut des détails sur l'amitié entre Ramdani et Coulibaly. "C'était pas mon meilleur ami, mais je le considérais comme mon ami", résume Amar Ramdani. Qui affirme qu'il n'a jamais perçu le moindre signe radical chez son ami "Dolly" dans sa pratique de l'islam : "Ce mec-là, en prison, pendant le ramadan, il faisait des gâteaux tous les jours, il en donnait à toute l'aile, je vois pas la dureté". Ramdani reconnaît juste qu'il savait que la femme d'Amedy Coulibaly, Hayat Boumeddiene, était voilée, "il m'avait dit qu'elle portait le voile intégral, je sais plus comment ça s'appelle". Coulibaly alias "Dolly", lui, "était en Dolce&Gabbana, pas en qamis", précise Ramdani. Qui dit encore que Coulibaly ne lui a jamais parlé d'antisémitisme. Le président lui demande comment il a réagi en apprenant que Coulibaly était l'auteur de l'attentat contre Clarissa Jean-Philippe, la policière de Montrouge ? "J’étais dans les vapes. C’est comme si quelqu’un vous mettait un gros coup de bâton derrière la tête. Ça fait six ans, j’ai toujours du mal à assimiler".

"Je suis pas une balance, jamais je me mettrai à table"

Puis, le président commence l'interrogatoire sur les faits qu'on lui reproche précisément. Ramdani est accusé d'être allé plusieurs fois dans le Nord, entre Lille et Roubaix, chercher des armes que Coulibaly a utilisées et qui venaient du trafiquant Claude Hermant qu'on a vu la semaine dernière à la barre. Les voyages dans le Nord, entre octobre et décembre 2014 ? Comme en garde à vue, Amar Ramdani répond que c'était pour aller faire des escroqueries dans des garages et qu'au détour, son cousin Saïd Makhlouf allait voir des prostituées. Le président s'étonne de ce prétexte : un si long voyage pour aller voir des prostituées ? "C'était secondaire, mais il vous manque une partie du puzzle". La pièce manquante : un trafic de stupéfiants entre Saïd Makhlouf et Mohamed-Amine Fares, autre accusé de ce procès. Ils sont tous côte à côte dans le même box : Saïd Makhlouf, le cousin d'Amar Ramdani est ambulancier chez les parents de Mohamed-Amine Fares. 

"Pourquoi ne pas avoir parlé tout de suite aux policiers de ce trafic à l'origine des voyages ?" interroge le président de Jorna. "Je me suis pas étalé, je parle pas des gens, c’est comme ça, Monsieur le président". Et Amar Ramdani d'expliquer qu'il a attendu que Saïd Makhlouf écrive à la juge pour révéler son petit trafic. Ramdani justifie ses mensonges par omission jusqu'à cette lettre : "Je suis pas une balance et je parlerai jamais. Jamais de la vie je me mettrai à table sur quoi que ce soit, même si ça peut me porter préjudice". Et Amar Ramdani nie avoir récupéré la moindre arme pour Coulibaly. Il concède juste être allé acheter avec lui une voiture, une escroquerie. Il assure qu'il ignorait que cette escroquerie servirait à financer des attentats en janvier 2015.

Le président a aussi des questions sur ses derniers échanges avec Amedy Coulibaly, jusqu'au soir du 6 janvier 2015. Amar Ramdani serait allé jusqu'au pied de la planque de Gentilly pour lui rembourser 200 euros qu'il lui devait pour une réparation de voiture. L'ADN de Ramdani a été retrouvé sur un billet de 50 euros à l'Hyper Cacher. Pourquoi avoir échangé plusieurs fois au téléphone avec Coulibaly pour ces 200 euros entre le 5 et le 6 janvier 2015 ? Ramdani livre cette explication : "Je suis sur le périph, on s’envoie des messages il me dit 'je suis à Clichy', je lui dis 'je passe te voir cinq minutes', je lui devais 200 euros". Ramdani dit qu'ils se sont vus dans un taxiphone de Clichy-la-Garenne, puis qu'il est allé chez lui à Garges-lès-Gonesse où il n'a pas trouvé 200 euros, et qu'il serait ensuite passé chez Saïd Makhlouf prendre 200 euros. Coulibaly l'aurait accompagné chez Makhlouf, se serait allongé sur le canapé, et c'est ainsi que l'ADN de Makhlouf se serait retrouvé par la suite sur la lanière d'un taser de l'Hyper Cacher. "Scientifiquement possible", rappelle un avocat de Ramdani, Me Saint Palais. 

"Je vous trouble ?" demande Amar Ramdani à une avocate 

Sur le banc des parties civiles, des robes noires ont du mal à croire à ces explications. Ont du mal à croire aussi qu'Amar Ramdani ait cassé une puce de téléphone et ait jeté un téléphone le soir du 9 janvier, lui qui avait 31 lignes. Il s'est débarrassé du téléphone avec lequel il avait échangé avec son pote Coulibaly. Me Senyk, avocate de nombreuses parties civiles, se lève : "Bonjour monsieur Ramdani". Ramdani lui répond d'un très sonore : "Bonjour madame ! " Me Senyk lui annonce qu'elle a "quelques questions". Ramdani, avec assurance, rétorque : "J’imagine !" L'avocate se dit troublée par des déclarations qu'il a faites lors de ses quatorze auditions, sept en garde à vue, sept devant les juges d'instruction. "Je vous trouble ?", lance-t-il moqueur, à l'avocate aux longs cheveux gris. Elle veut savoir si c'est le 5 ou le 6 janvier qu'il a remis 200 euros à Coulibaly. "Je sais pas là, vous me mettez un doute", lui répond Ramdani, qui semble décidé à lui tenir tête, sourire aux lèvres. Elle le remarque. "Vous souriez , Monsieur. Ça vous amuse ?" Amar Ramdani : "Non, c’est la manière dont vous le faites". 

Elle s'agace, passe à une autre question. Et s'étonne qu'il n'ait pas appelé Coulibaly les 7, 8, 9 janvier 2015 alors qu'il le considère comme son frère et que tout le monde ne parle que des attentats en France.  Ramdani, avec assurance : _"Regardez si j’ai appelé tout mon répertoire de A à Z pour parler de ça ?"  _Leur face-à-face dure longtemps. "Et qu'est-ce que vous faites quand Monsieur Makhlouf va voir les prostituées ?", lui demande-t-elle pour le piéger. "Je l’attends dans la voiture", répond Ramdani. Me Senyk écarquille les yeux : "Ah bon ?" Ramdani réplique : "Bah, ça dure pas trois heures, ça dure dix minutes". Sourires dans la salle d'audience. "Et quand vous allez dans les garages ?" Ramdani jure qu'il reste toujours dans la voiture. "Ah, vous sortez jamais de votre voiture en réalité !", le tacle l'avocate qui se rassied. 

Une avocate fait remarquer à Amar Ramdani qu'il est intelligent. L'accusé : "Faut arrêter avec les flatteries, je vais finir par y croire".

Une autre avocate se lève sur le banc des victimes de l'Hyper Cacher. Me Cechman est surprise que Amar Ramdani ait dit un peu plus tôt dans la journée qu'il avait ressenti "de la trahison" après les attentats perpétrés par Amedy Coulibaly. Ramdani, ce matin, a expliqué qu'il détestait le terrorisme, lui qui a grandi en Algérie durant les années noires du GIA. Elle lui fait remarquer que pourtant, quand il est devenu ami avec Coulibaly en prison, Coulibaly était incarcéré pour une affaire de terrorisme, la tentative d'évasion de Smaïn Aït Ali Belkacem, artificier du GIA pour les attentats parisiens en 1995. "Voyez, je catalogue pas les gens", lui rétorque Amar Ramdani. Amedy Coulibaly "m’a dit qu’il était dans les armes et le stup. Avant qu’il meure c’était pas un terroriste, c’était Dolly. Avant le 9 [ndlr : janvier 2015], c’était Dolly", insiste-t-il. Une assesseure lui demande si Amedy Coulibaly lui avait parlé de son allégeance à Daech ? "Jamais de la vie, madame !" 

L'avocat général enfonce le clou : "Vous avez dit que le terrorisme a quelque chose de répulsif, vous confirmez ?" Ramdani confirme. Jean-Michel Bourlès, dans sa robe de magistrat, ne comprend pas pourquoi, alors, Ramdani côtoie des gens condamnés pour terrorisme ? Et Ramdani, qui toute la journée, durant son long interrogatoire, n'aura à aucun moment manqué de répartie : "Vous savez monsieur l’avocat général, je suis moi même dans une affaire de terrorisme !"  L'avocat général lui fait remarquer qu'il n'est pas condamné ! "C’est tout comme !", conclut Amar Ramdani, avant de se rasseoir dans son box. Il risque vingt ans de réclusion criminelle.

Puis deux témoins sont successivement appelées à la barre : deux conquêtes d'Amar Ramdani, le charmeur qui plaisait aux femmes. Elles ont toutes les deux des cheveux longs, et des mèches blondes. La première était gendarme. Amar Ramdani a résumé leur rencontre, vers 2013, à sa sortie de prison. Il était "en bas de chez un ami". Il l'a vue "installer ses enfants dans sa voiture, on a échangé nos numéros, on s'est vus, on s'est fréquentés". La gendarme, qui depuis a été radiée de la gendarmerie, habitait dans le fort ultra-sécurisé de Rosny-sous-Bois. La première fois que Ramdani y est allé, il avoue s'être senti "un peu mal". Puis il lui a confié son passé carcéral. Et une fois, lui a demandé de fouiller dans les fichiers de gendarmerie, "juste pour son permis de conduire", jure l'ex-gendarme à la barre. Après les attentats de janvier 2015, elle se souvient avoir vu Ramdani "les bras ballants sur mon canapé". Le 8 janvier 2015, après l'attentat contre la policière de Montrouge, elle se rappelle qu'ils ont déjeuné dans un petit resto africain et qu'il s'inquiétait pour elle qui était gendarme. 

Après les attentats, "il était les bras ballants sur mon canapé"

Puis le lendemain, alors que le visage de Coulibaly s'affichait sur toutes les télés, il s'est encore assombri. "Lui qui était tout le temps enjoué, était super mal", il lui a confié qu'il avait rencontré Amedy Coulibaly en prison. Elle lui a demandé s'il l'avait vu récemment, s'il était impliqué ? Comme il lui a dit qu'il ne l'était pas, elle ne lui a pas conseillé de se rendre à la police. Un regret qu'elle dit avoir aujourd'hui. Une avocate de parties civiles, Me Catherine Szwarc, interroge cette ex-gendarme sur la jupe moulante qu'elle porte, provoquant une indignation générale dans la salle d'audience. Elle lui parle de sa conversion à l'islam, et des djellabas que certains l'auraient vue porter. Me Daphné Pugliesi, brillante avocate d'Amar Ramdani, la mouche en soulignant qu'une seule témoin, lointaine, a vaguement parlé de djellaba. Me Szwarc a encore une question pour l'ex-gendarme, elle lui demande ce qu'elle pense de la situation dans les pays musulmans. Le président de Jorna s'impatiente, tape du poing sur la table, et exige des questions en rapport avec ce procès ! Et l'ex-gendarme repart.

Une autre jeune femme lui succède. Elle est une trentenaire, très jolie, look de bobo, masque rose sur le nez. Elle a connu Amar Ramdani il y a longtemps, il y a quinze ans environ. Elle était très amoureuse. Puis son amoureux Amar s'est retrouvé incarcéré pour un braquage de bijouterie. A la sortie de prison en 2013, elle dit qu'elle l'a trouvé "changé". Il s'était mis à pratiquer davantage sa religion, l'islam. Au début, elle "a trouvé ça bien, ça le rendait plus sage". Puis elle s'est aperçue que "boire un verre d'alcool, c'était plus possible". D'une petite voix enfantine elle ajoute : "En fait, j'avais l'impression qu'il ne m'aimait plus, parce que je n'étais pas musulmane". Un an avant les attentats de janvier 2015, il y a eu "un gros clash" entre eux. Mais ils ne se sont pas définitivement quittés, et elle se souvient qu'il lui a dit qu'il "ne comprenait pas les gens qui partaient en Syrie", qu'il "était contre les attentats à Charlie Hebdo_"._ La jeune femme, qui semble totalement sincère, n'a rien à ajouter. La cour l'a écoutée avec un immense intérêt et quand elle repart, chacun se demande qui est vraiment Amar Ramdani, l'accusé charmeur, dont l'interrogatoire continuera encore, toute la journée de demain. Ce sera le 28e jour d'audience.