Au procès des attentats de janvier 2015, la "secte de la buanderie" : un mythe de l'accusation ?
Par Charlotte Piret
Jour 28 au procès des attentats de janvier 2015 - Aujourd'hui, la cour a entendu l'ancien détenu auteur de l'expression "la secte de la buanderie", expression utilisée pour définir un groupe de détenus radicalisés au sein duquel seraient nés les attentats de Montrouge et de l’Hyper Cacher.
On n’est jamais totalement vierge lorsque débute un procès d’assises, a fortiori d’une telle ampleur. Parce que les faits sont généralement connus. Mais aussi parce que certains éléments du dossier ont pu filtrer ici ou là. Ainsi, à l’ouverture de ce procès le 2 septembre dernier, outre évidemment l’horreur des attentats des 7, 8 et 9 janvier 2015, quelques anecdotes concernant les accusés étaient déjà dans les têtes.
On pouvait ainsi savoir que Metin Karasular se revendiquait comme “proche du PKK”, que la compagne de Christophe Raumel avait fini dans les bras de l’autre accusé Willy Prévost, qu’Amar Ramdani entretenait de son côté une relation avec une gendarme… Le genre d’informations qui, si elles se révèlent utiles à nourrir les conversations lors des suspensions d’audience, le sont beaucoup moins dans la manifestation de la vérité, selon la formule consacrée.
Un de ces éléments pourtant a pesé lourd dans le dossier : le concept de “secte de la buanderie”. C’est l’expression utilisée par un ancien détenu de la maison d’arrêt de Villepinte pour qualifier le groupe de prisonniers qui travaillait à la buanderie et dire au passage leur radicalisme religieux. Dans ce groupe : Amedy Coulibaly, futur terroriste de Montrouge et de l’Hyper Cacher, mais aussi Amar Ramdani et Mickaël Pastor Alwatik, tous deux accusés de ce procès. La “secte de la buanderie” donc, aurait été, selon les éléments à charge, ce groupe de détenus radicalisés au sein duquel sont nés les attentats de Montrouge et de l’ Hyper Cacher.
"Vous êtes au courant qu'on modifie les PV quand même ?"
C’est alors, que s’avance à la barre un homme, cheveux grisonnants, "50 ans, sans profession" et, on s’en rend compte très vite, aussi en verve qu’agacé d’être là : “je ne sais pas ce que je fais ici, moi”. Il se tourne vers Amar Ramdani dans le box. “Moi j'ai même divorcé à cause de cette histoire parce que ma femme elle croyait que j'étais mêlé à ça. Alors rien que d'être là, ça me gonfle.” Et parce que spontanément, le témoin n’évoque absolument pas ce pour quoi il a été prié de venir s’expliquer à la barre, l’assesseur lui rappelle : "vous êtes le père d'une formule qui va devenir célèbre : "la secte de la buanderie". À la barre, l’homme, lunettes sur le front, lève les sourcils. “Le père de ….? Mais j'ai dit ça au téléphone avec un ami, j'ai dit ça en rigolant”, répond-t-il, désinvolte, à la barre. Eu égard à l’importance accordée à cette formule dans le dossier, l’explication semble un peu courte. Alors, le premier assesseur revient à la charge. “J'ai dit ça en rigolant. Mais c’était un peu fort. Je le regrette”, persiste le témoin. Puis une autre membre de la cour : “c’est quoi une secte pour vous?” “Je blaguais avec mon pote au téléphone. Vous me dites que je suis le père d'une phrase ... mais je blaguais. Comme j’étais sur écoute, les policiers m’en ont parlé”.
À l’énoncé de cette dernière phrase, les oreilles se dressent sur les bancs de la défense. Car, explique Me Christian Saint-Palais, avocat d’Amar Ramdani, ces comptes-rendus d’écoutes téléphoniques ne figurent pas au dossier. L’insinuation a le don d’agacer le parquet. "Vous êtes en train d'indiquer quoi ?, s’insurge l’avocat général, que la juge d'instruction a fait des écoutes sauvages et ne les a pas mises en procédure ?" Mais le témoin a sa petite idée sur la question : "vous êtes au courant qu'on modifie les PV, quand même ? Toute ma vie, on m'a fait ça dans les commissariats. Police partout, justice nulle part__." L’ancien détenu, “voyou” comme il se qualifie lui-même, ne se contrôle plus du tout. À un avocat qui lui reproche de se tourner en permanence vers le box des accusés, il le qualifie de “mytho”. Le ton monte. On s’insurge de tous bords. Le président tente vainement de faire revenir le calme “sinon, je suspends l'audience et le témoin va repartir, c'est tout !” La salle d’audience a des airs d’Assemblée nationale un jour de débat animé, tension dramatique en plus. Elle finit heureusement par retomber. Puis, l’une des avocates de Mickaël Pastor Alwatik, Me Delphine Malapert, se lève, l’interroge : ”est-ce qu’on peut dire aujourd’hui que le mythe de la secte de la buanderie s'est effondré ?" Ah ben oui”.
Trafics et escroqueries en tous genres
Et l'après-midi, les anciens détenus ont beau se succéder à la barre, tous disent un peu la même chose : à la buanderie, "c'était une ambiance bon enfant" ; Amedy Coulibaly était "un mec lambda", "discret", "on faisait du sport ensemble", des concours de traction dans la cour de promenade, il était "indéniablement le meilleur". Mais de possibles signes extérieurs de radicalisation : rien. "On ne parlait jamais de religion, pourtant je suis musulman moi aussi", raconte cet ancien détenu.
Et cette voiture qu'Amedy Coulibaly vous a achetée ? l'interroge le président. "Il cherchait une voiture et je vendais la mienne". "Ça tombait bien alors ..., ironise Régis de Jorna, mais il y avait pas une histoire de dette d'argent ? " - "Non, je vous assure", répond immédiatement le témoin. "Une dette liée à du shit ?" insiste le président. "Ah, si." "Et puis, poursuit encore le président en lisant les auditions du témoin devant les enquêteurs, vous faisiez, en fait, partie intégrante des escroqueries aux voitures". L'ancien détenu aujourd'hui maçon, retrouve alors la mémoire : "c'est vrai, je m'en rappelle". "C'est vous qui faisiez les faux papiers ..." "Oui, c'est moi". Le président s'exclame alors, dans ce qui fut peut-être l'un de ses meilleurs interrogatoires de témoin depuis le début de ce procès : "ça y est, on y arrive !"
Quoi qu'il en soit, le monde qui se dévoile ici ces derniers jours est celui d'escrocs et de voyous certainement, de menteurs peut-être, mais d'hommes radicalisés ayant sciemment aidé un terroriste dans les préparatifs de ses attentats en revanche semble être une perspective qui s'amenuise lentement. C'est pourtant la raison de leur présence dans le box de cette cour d'assises spécialement composée.