Au procès des attentats de janvier 2015, Saïd Makhlouf : "Je vais servir d’escabeau pour la dernière étagère"

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Au procès des attentats de janvier 2015, Saïd Makhlouf : "Je vais servir d’escabeau pour la dernière étagère"

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Saïd Makhlouf (à gauche), l’ambulancier qui a "honte d’être là dans un dossier terroriste", avec son cousin Amar Ramdani (à droite)
Saïd Makhlouf (à gauche), l’ambulancier qui a "honte d’être là dans un dossier terroriste", avec son cousin Amar Ramdani (à droite)
© Radio France - Matthieu Boucheron

Jour 29, au procès des attentats de janvier 2015 - Aujourd'hui, la cour d'assises a commencé à interroger l'accusé Saïd Makhlouf, dont l'ADN a été découvert sur la lanière d'un taser de l'Hyper Cacher. Il est aussi poursuivi pour avoir recherché des armes et fait des escroqueries. Il se dit innocent.

Saïd Makhlouf est le cousin éloigné de Amar Ramdani. Dans le box des accusés, ils sont d'ailleurs côte à côte. Ramdani, qui assume ses escroqueries, s'est montré charmeur et éloquent. Makhlouf est le suiveur, qui n'a pas la langue dans son poche lui non plus, mais dans un tout autre genre. Saïd Makhlouf se lève, 30 ans, épaules carrées, lunettes rectangulaires, tee-shirt à manches courtes gris et cheveux ondulés noués en catogan. Il parle d'une voix tonique. Et tient à dire d'abord qu'il ne comprend pas qu'il soit là, devant cette cour d'assises spécialement composée, à encourir vingt ans de réclusion criminelle pour association de malfaiteurs terroriste, lui qui ne connaissait pas Amedy Coulibaly, le terroriste de Montrouge et de l'Hyper Cacher. "Je l'ai vu une demi fois à tout casser !", s'exclame Saïd Makhlouf. Et il ajoute qu'il a "honte d’être là dans un dossier terroriste", lui qui était ambulancier, sans antécédents judiciaires.

"Moi et ma mémoire, c'est pas trop ça !"

C'est le premier assesseur de cette cour d'assises qui va mener l'interrogatoire de Saïd Makhlouf. L'assesseur précise avant même de commencer qu'il a bien noté que l'accusé Malkhlouf s'était plaint d'un problème de mémoire durant l'enquête : "Vous avez même dit, j'ai une mémoire de merde !" Debout dans son box, Saïd Makhlouf confirme : "Ouais, c'est exactement ça ! Moi et ma mémoire, c'est pas trop ça !" Et le magistrat attaque ses questions. Question d'abord sur le taser retrouvé à l'Hyper Cacher le 9 janvier 2015. Sur la lanière du taser, la police scientifique a isolé l'ADN de Saïd Makhlouf, mélangé avec celui d'Amedy Coulibaly. Et l'accusé Makhlouf dit que ça le "rend fou" que son ADN soit sur cette lanière-ci, parce que "ce taser-là, c'est pas que je l'ai pas touché, je l'ai jamais vu !" Saïd Makhlouf se dit innocent, depuis cinq ans et demi. Et il a l'impression qu'il va "servir d'escabeau pour la dernière étagère !"

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Son cousin Amar Ramdani, interrogé mercredi et jeudi par la cour, a livré une explication pour résoudre le mystère de l'ADN sur ce taser. Selon la version de Amar Ramdani, le soir du 6 janvier 2015, alors qu'Amedy Coulibaly lui réclamait une dette de 200 euros, Ramdani aurait fait un saut chez son cousin, dans l'espoir d'y trouver des billets. Saïd Makhlouf aurait été absent de son appartement situé à Gentilly, tout près de la planque que Coulibaly avait réservée via Abritel. Le temps que Amar Ramdani fouille un peu dans le studio pour trouver un billet, Amedy Coulibaly se serait allongé sur le canapé de Saïd Makhlouf, un canapé-lit modèle canapé d'angle. La lanière du taser que tenait Amedy Coulibaly aurait alors touché le canapé sur lequel Saïd Makhlouf aurait déposé son ADN. Hypothèse scientifiquement probable, selon une experte venue à la barre. L'ADN ayant pu être d'autant plus facilement déposé sur ledit canapé, sans la barrière de vêtements. "Je dors qu'en caleçon", précise Makhlouf, peut-être pour souligner que l'hypothèse du transfert d'ADN est celle qu'il faut croire. Il répète, que ce taser, jamais il l'a touché ! 

"Avant les attentats, Amedy Coulibaly, c'était un petit "renoi" comme tout le monde !"

Comment donc Amar Ramdani serait-il rentré dans l'appartement de son cousin en son absence, avait-il les clés ? "Ouais, le trousseau il l’a", affirme Saïd Makhouf, qui précise avoir donné son trousseau à l'été 2014, quand il est parti "au pays", "pour le décès de mon père". Il n'aurait ensuite jamais récupéré les clés. Amar Ramdani lui a-t-il dit que Amedy Coulibaly était passé chez lui ce soir-là ? Non, à en croire Saïd Makhlouf, qui n'aurait donc croisé qu'une fois et demie l'ami de son cousin Amar Ramdani. Le juge qui interroge est très étonné. Saïd Makhlouf hausse les épaules : "Avant les attentats, Amedy Coulibaly c'était un petit "renoi" comme tout le monde !" Saïd Makhlouf affirme que Amedy Coulibaly, il ne l'a rencontré qu'une fois, dans un resto chinois. "C'était juste un serrage de main, y avait rien", raconte-t-il, "on mangeait tranquille", avec Amar Ramdani. Et Coulibaly serait arrivé au moment où les deux cousins allaient payer. Saïd Makhlouf dit "je suis allé fumer ma clope", les deux potes de prison l'ont rejoint dehors, "et après chacun a fait sa route, c'est tout".

La route et les voyages sont sur la liste des questions suivantes pour l'assesseur. Il veut comprendre ce qu'a fait Saïd Makhlouf lors de ses voyages dans le Nord, à Lille, à Roubaix, avec Amar Ramdani. Plusieurs voyages suspects, entre octobre et décembre 2014, lors desquels  on les accuse d'avoir recherché des armes de la filière Claude Hermant, le trafiquant venu librement à la barre il y a quelques jours. Ce témoignage du trafiquant qui a vendu huit armes tombées entre les mains de Coulibaly a d'ailleurs énervé Saïd Makhlouf, qui regrette que "Hermant, il fanfaronne." Les armes, Saïd Makhlouf jure qu'il n'en a jamais cherchées, ni à Lille ni ailleurs. Il jure que le but de ces voyages, c'était que pour le "stup". Car Saïd Makhlouf reconnaît volontiers ce trafic illégal, pour "de la beuh", parce dans le Nord, elle serait moins "dégueulasse" que dans sa ville de Gentilly, moins chère. À Lille, l'herbe qui se fume est "hollandaise et vient en pagaille, tout simplement". Le vendeur de drogue qu'il voit là-bas est  Mohamed-Amine Fares, fils de son patron des ambulances Fares. Voilà donc la justification de Saïd Makhlouf : aller à Lille pour les "stup", y faire aussi des escroqueries avec son cousin Amar Ramdani, roi des escroqueries avec ses 31 lignes de téléphone.

Saïd Makhlouf, lui, jure qu'il n'avait qu'une seule ligne officielle, mais une ou deux autres pour les affaires illicites. Des affaires d'escroqueries pour lui aussi. Il les détaille face à la cour : "Ben, les escroqueries, j'avais une pièce d'identité, j'allais dans les banques, après j'allais faire des crédits à la consommation pour aller dans les garages". Des escroqueries pour flamber, selon lui. "J'ai la flambe, je kiffe à fond les vacances, je suis pas le mec à aller en vacances avec une tente Quechua et un réchaud !" Des escroqueries qui, selon les enquêteurs auraient pu financer les attentats de janvier 2015. Saïd Makhlouf affirme que "jamais" il n'a remis d'argent à Amedy Coulibaly. "Les escroqueries, ça a rien à voir avec Amedy Coulibaly !", s'exclame-t-il. "C'était pour finir mes fins de mois, pour manger dehors au grec, c'est pas gratuit !"

"Il m'a appelé Lucky Luke pendant trois jours"

Dans leurs premières déclarations, les deux cousins avaient trouvé ce prétexte pour expliquer leurs voyages lillois : Saïd Makhlouf allait voir des prostituées, et Amar Ramdani l'accompagnait. Cette semaine, Me Senyk a malicieusement demandé à Ramdani ce qu'il faisait en attendant ? "Je reste dans la voiture, ça dure pas trois heures, ça dure dix minutes !" Dans son box aujourd'hui, Saïd Makhlouf a eu la même ligne de défense, évoquant les trafics de stup et escroqueries désormais avoués. Et au retour, avant de reprendre la route, Makhlouf explique qu'il a décidé de voir des prostituées, et qu'il aurait dit à son cousin : "Je vais aller me faire une petite gâterie. Il me croyait pas, il était mort de rire". Dix minutes plus tard donc, Ramdani aurait ri encore davantage : "Il m’a appelé Lucky Luke pendant trois jours",  lâche Makhlouf, en faisant rire la salle d'audience. Tour à tour, plusieurs assesseurs l'interrogent plus sérieusement sur ses mensonges. Ce premier mensonge sur les prostituées, donc, qui n'étaient pas l'unique raison des voyages. Cet autre mensonge sur une Clio de Coulibaly, pour laquelle Saïd Makhlouf reconnaît qu'il a inventé un "mic-mac", en garde à vue. Et puis il y a aussi sa puce de téléphone, cassée le soir du 9 janvier 2015, juste après l'attentat à l'Hyper Cacher. Puce cassée sur un parking de zone industrielle, où Saïd Makhlouf s'est rendu avec la voiture d'un voisin, tout comme son cousin Ramdani, qui a aussi jeté une puce et un téléphone. 

"On veut que m'enterrer"

Saïd Makhlouf se justifie : "On pète nos puces, c’est logique ! J'ai eu peur comme pas possible, faut se remettre dans le contexte, je viens d’apprendre que le mec avec qui j’ai mangé au chinois, le "renoi"de Villepinte" est le terroriste de l'Hyper Cacher et de Montrouge -Coulibaly, qui avait été incarcéré à la prison de Villepinte avec Amar Ramdani. Saïd Makhlouf explique aux juges qu'il était sûr que les policiers allaient remonter jusqu'à lui, via son cousin Amar Ramdani, ami de Coulibaly. Et il jure qu'il ne voulait surtout pas qu'on remonte jusqu'à ses petits trafics. "Vous aviez peur ?", demande l'assesseur. L'assesseur ne comprend pas cette peur, puisque Saïd Makhlouf se débarrasse de sa puce. Et lui, de répondre, derrière la vitre de son box : "La police française elle est super forte !" 

Peu après avoir cassé cette puce, Saïd Makhlouf a été placé en garde à vue. Et il raconte : "Quand je suis arrivé, on me dit que je suis complice de 17 assassinats. Je suis tout stressé. C’est un truc de malade." Ainsi, justifie-t-il ses mensonges. Puis ses silences, les fois où il n'a plus voulu parler, durant l'instruction. Saïd Makhlouf résume son ressenti sur cette enquête, à ses yeux "que à charge, on veut que m'enterrer." Il donne un exemple : "Vous vous rendez compte que j’habite à Gentilly, un jour on m’a dit vous bornez à côté de l’appartement de Amedy Coulibaly, alors que j’y habite ? C’est que à charge !" estime Saïd Makhlouf. Cet après-midi, la cour a vu défiler à la barre des témoins plusieurs proches qui ont décrit Saïd Makhlouf comme un homme "très chaleureux", avec "un coeur énorme". L'un d'eux s'est dit "peiné de le voir là", dans un box d'accusés, à ce procès historique. Le procès reprendra lundi, pour la septième semaine, avec l'interrogatoire d'un autre accusé, Mickaël Pastor Alwatik.