Au procès du 13-Novembre, Me Martin Vettes, humble avocat de Salah Abdeslam
Par Sophie ParmentierMe Martin Vettes est un jeune avocat de 33 ans. Quasiment l'âge de l'homme qu'il défend : Salah Abdeslam, l'accusé numéro 1 de ce procès des attentats du 13-Novembre. Me Vettes, qui assure cette défense en duo avec Olivia Ronen, est un ténor débutant, empli d'humilité et de détermination. Portrait.
Au commencement, il y a une chaumière au bord d’une clairière. L’histoire n’est pas tirée d’un conte de fées. C’est celle, réelle, de Martin Vettes, qui a grandi sous un toit de chaume, à la lisière d’une forêt. C’était en Normandie, dans les années 90. Son père exerçait alors la profession d’avocat. Sa mère travaillait elle aussi au cabinet, dans la petite ville voisine. Le jeune Martin a grandi entre un grand frère et une petite sœur. Dans sa chambre d’enfant, il passait une bonne partie de son temps à dévorer Les aventures de Tintin. C’est d’ailleurs ainsi qu’on le surnommait souvent, “Tintin”. Et lui, se rêvait reporter globe-trotter, comme le héros d’Hergé. Longtemps, il a pensé qu’il deviendrait journaliste. Jusqu’à ce stage dans une rédaction télé qui l’a profondément déçu. “L’image d’Epinal s’est fracassée. Et moi, comme je fonctionne beaucoup à l’affect, soit j’aime beaucoup quelque chose, soit ce que j’ai beaucoup aimé je peux le détester, alors j’ai abandonné le journalisme”. Il reconnaît que c’est “un peu idiot”. Qu’il aurait pu se dire que ce stage n’était qu’une mauvaise expérience, “mais j’ai tiré une croix sur ce qui aurait pu être un métier”.
Un coup de foudre pour la défense
Il a lui a fallu encore un peu de temps avant de devenir avocat. Après un bac littéraire en 2007, l’étudiant avait commencé par une hypokhâgne et une khâgne, tenté Normale Sup dans la foulée mais sans grand élan, visant plutôt Sciences Po qu’il n’a finalement jamais passé. Il s’est ensuite inscrit en faculté de sciences politiques à Assas, puis en droit à La Sorbonne, tout en faisant parallèlement une licence de philosophie. Au début, le droit lui semble être “une novlangue”. Beaucoup de matières l’ennuient, mais il se passionne pour le droit pénal international et la politique criminelle en Europe. Et puis un après-midi, il entre dans un palais de justice. Il pousse la porte de la 23e chambre du tribunal correctionnel de Paris, les comparutions immédiates. Et “ce qui m’a marqué, c’est la misère humaine, le déséquilibre total, avec d’un côté une accusation très forte, de l’autre côté un pauvre gars qui ne comprend pas ce qui lui arrive, et un avocat de la défense qui essaye de rétablir un équilibre”. Ce jour-là, Martin Vettes se dit : “C’est comme ça qu’on juge les gens en France ? C’est très naïf, mais du coup, j’ai eu envie d’être du côté de ceux qui se font écrabouiller par cette machine judiciaire.”
Et le voilà déterminé à devenir “avocat de la défense”. Il lit Me Eolas et son célèbre blog, le regretté Me Mô, Laure Heinich pour “Porter leurs voix”. Il relit sans cesse Me Thierry Lévy. “Ces personnes m’ont encore plus donné envie de faire du pénal, à ce moment-là”, précise-t-il. Il se prépare ardemment pour le concours du Barreau. C’est l’été 2012. Il bûche dans une “prépa” estivale. C'est là qu'il fait vraiment la connaissance d'Olivia Ronen, croisée de loin à la fac. Cet été-là, un lien fort se crée très vite entre eux. “Cela fait maintenant dix ans qu’on se connaît et elle est devenue comme une sœur", souffle Martin Vettes. Alors quand elle devient officiellement l’avocate de Salah Abdeslam, fin 2020, deux ans après avoir été contactée une première fois par le dernier membre encore en vie des commandos parisiens, elle pense tout de suite à son ami Martin, avec qui elle avait déjà travaillé sur plusieurs dossiers, et en qui elle avait confiance, “confiance en lui et en son implication”. Il accepte quasi instantanément. Parce qu’ils se connaissent par cœur, ont “les mêmes principes, la même vision du métier”.
Ce n’est finalement que quelques semaines avant l’ouverture du procès que Me Vettes rencontre pour la première fois le détenu Abdeslam, au parloir de Fleury-Mérogis. Un premier rendez-vous crucial pour le jeune avocat qui voulait parler “avec sincérité” à l’homme qu’il s’apprêtait à défendre. “Pour moi, la clé c’est la sincérité, et on a eu un dialogue à coeur ouvert”, explique Martin Vettes. “Moi je ne suis pas du tout religieux, je suis un mécréant total, comme beaucoup de victimes se sont définies.” Le soir du 13 novembre 2015, Martin Vettes était d’ailleurs attablé dans un bar, devant un grand écran qui transmettait le match de foot. Comme tous, il a été choqué et bouleversé par les attaques à Paris.
Un jeune avocat, humble et déterminé
Ça ne l’empêche pas de sentir en lui “une grande détermination” pour défendre Abdeslam. "Cette détermination vient en très grande partie du fait que Salah Abdeslam veut se défendre, et dans un dossier aussi grave, quand vous avez des charges aussi lourdes qui sont retenues contre un accusé, que cet accusé vous désigne, la détermination vient toute seule", explique Me Vettes, dans son costume-cravate sous sa robe d’avocat. “Salah Abdeslam dit qu’il n’a pas tué, n’admet pas toutes les charges qui pèsent sur lui, et il a l’impression qu’il va prendre pour tous ceux qui sont morts. Lui, c’est le dernier, et s’il est le dernier, c’est qu’il n’est pas allé jusqu’au bout”, poursuit le jeune avocat de 33 ans aux yeux d’émeraude. Il dit cela aussi calmement que humblement. Il a d’ailleurs abordé ce procès avec autant d’humilité que de détermination.
Au premier jour d’audience, le 8 septembre dernier, Martin Vettes n’en menait pas large devant la foule de photographes et de journalistes. “J’étais pas méga confiant, je ne roulais pas des mécaniques”, confesse-t-il. Sensation de vertige. Il s’est même senti assailli par “le syndrome de l’imposteur”. Parce qu’il n’avait jusqu’alors que trois assises au compteur. “C’est quand même pas beaucoup !”, plaisante-t-il. Jusqu’à ce procès historique lors duquel on a jugé les pires attentats que la France ait connus, il ne connaissait absolument pas la matière terroriste. Il n’avait traité auparavant que des affaires de braquages et d’homicides, “avec un client qui avait réussi l’exploit d’être jugé deux fois aux assises en quinze jours ! Pour ces deux premières affaires, je ne me sentais pas d’y aller seul, je trouvais ça trop risqué. Alors, j’ai fait monter Olivia Ronen sur ces dossiers. Pour moi, c’était l’évidence. Elle avait plus d’expérience et j’ai une confiance totale en elle”. A la fin, l’homme qu’ils défendaient avait été condamné à onze ans de réclusion criminelle, et acquitté deux semaines plus tard.
Le troisième procès concernait un SDF accusé d’avoir tué son co-pensionnaire dans un foyer de sans-abris ; il sera finalement innocenté et indemnisé pour les mille jours qu’il a passés à tort en détention. "Encore un dossier partagé avec Me Ronen, sur qui je peux compter pour traverser les épreuves, qu’elles soient judiciaires ou pas”. Avant ce procès des attentats du 13-Novembre, Me Vettes était le collaborateur de Nathalie Carrère (sœur de l’écrivain Emmanuel Carrère, qui couvre ce procès), et aussi de Frédérique Pons, celle qui a défendu Guy Georges. Depuis septembre, il s’est mis en disponibilité, pour se consacrer à 100% à cette audience “V13”.
Un timide devenu frondeur au 92e jour d’audience
A ce procès, sur son banc, juste devant Salah Abdeslam dans son box, Me Vettes s’est d’abord assis timidement, à l’automne. Il confie qu’il est en général, “très timide”. Dans les premières semaines d’audience, il s’est fait plutôt discret. Olivia Ronen a été la première à monter au front face à la cour pour se faire leur place, une place pas simple. Martin Vettes a souvent eu l’impression qu’ils étaient scrutés plus que d’autres, et il a même senti que “ça pouvait faire plaisir à beaucoup que les deux petits jeunes qui assurent la défense de Salah Abdeslam se cassent la figure”. Puis au fil des mois, Me Vettes a pris beaucoup d’assurance. Toujours pertinent dans ses questions. Il est même devenu le leader d’un coup d’éclat très remarqué, au 92e jour du procès. Ce jour-là, Salah Abdeslam avait agacé le président Périès, en étant souvent insolent, et il avait fini par lâcher “vous avez bousillé ma vie” en parlant de la France. Écoeurées, des victimes avaient applaudi pour protester avec ironie et dire leur dégoût. Puis un avocat de parties civiles avait rebondi sur ces applaudissements, alors que toute manifestation du public est normalement interdite dans une salle d’audience. Et à ce moment précis, Me Vettes est sorti de ses gonds. Il a réclamé la parole, mais le président a refusé d’allumer le micro. Martin Vettes, furieux, a vivement protesté contre la police de l’audience, et le président Périès lui a conseillé de “changer de métier”.
Vent debout, Me Vettes s’est levé, et avec sa consoeur Olivia Ronen, ils ont décidé de quitter la salle, emmenant dans leur sillon les trente autres avocats de la défense qui ont tous déserté leurs bancs, jusqu’au lendemain. “C’était un geste radical mais nécessaire”, commente-t-il. Il a été “très touché par l’attitude des confrères de la défense qui ont été d’une solidarité sans faille”. Le lendemain, posément, Me Vettes a demandé avec Me Ronen la poursuite de débats “dans la sérénité”, en réclamant de faire inscrire sur papier les incidents de la veille, clamant que “la défense n’est pas dans la gesticulation, ni l’esbrouffe, mais il faut acter quand des limites ont été franchies.” Après cet événement, le jeune avocat a gagné le respect de bon nombre de confrères. Jusque sur les bancs des parties civiles, on loue ses qualités. Me Claire Josserand-Schmidt dit de lui qu'il est "un jeune confrère qui a déjà tout d'un grand. Le talent qui se passe des effets de manche, la ténacité et la rigueur". Paroles d'une grande avocate qui a elle-même époustouflé cette salle d'audience le jour de son face-à-face avec Salah Abdeslam. Elle ajoute, à propos de Martin Vettes que "se dégage de ses interventions pour la défense de Salah Abdeslam, une grande sincérité".
A ce procès des attentats du 13-Novembre, ce dont Martin Vettes est le plus satisfait, c’est d’avoir réussi à assurer une défense qui a indéniablement porté ses fruits. Abdeslam, mutique durant toutes les années d’instruction, s’est beaucoup exprimé à l’audience. Me Vettes et Me Ronen estiment que “c’est un travail d’équipe”. Ils incluent l’accusé le plus surveillé de France dans leur “équipe”. Si Salah Abdeslam était resté muré dans un silence entêté, Martin Vettes assure qu’il aurait continué à le défendre, mais il n’aurait pas accepté d’être muselé. “Il y avait deux écueils à éviter, être une plante verte ou le porte-parole de l’Etat islamique." Au bout de presque dix mois, Me Vettes estime que “c’est mieux pour tout le monde” que Salah Abdeslam se soit autant exprimé, “il a montré ses différents visages”. Me Vettes affirme qu’il a toujours respecté “la liberté de parole” de celui qui a reconnu avoir déposé trois kamikazes au Stade de France. “Il ne faut pas que l’avocat prenne toute la place. C’est pas mon procès, c’est son procès à lui, donc le plus important c’est que lui ait cette liberté de parler, même si c’est pour dire des choses avec lesquelles on n’est pas d’accord, qu’on peut totalement désapprouver sur la forme ou sur le fond”. Chaque jour au procès, Martin Vettes échange tant qu’il peut avec l’accusé Abdeslam, et tient à rappeler ses conditions d’incarcération particulières, à l’isolement total et filmé 24 heures sur 24 depuis six ans. Des conditions qui ont pu peser sur ses réactions dans cette immense salle d’audience, souligne son avocat.
Dix mois “comme dans une bulle”
Ce vendredi 24 juin, ce sera pour Me Martin Vettes, la plaidoirie la plus angoissante de sa courte carrière. Depuis plusieurs jours, il se sent “dans un tunnel, très tendu”. Il ne veut rien dévoiler de ce qu’il va plaider, réserve ses mots pour la cour. Il plaidera pour un jeune homme de son âge, qui encourt la réclusion criminelle à perpétuité incompressible, la peine la plus lourde du code pénal français. Après le verdict, prévu le 29 juin, Martin Vettes ne sait pas du tout à quoi ressemblera sa vie. Il n’a aucun plan de carrière. Depuis presqu’un an, depuis qu’il a accepté de défendre Salah Abdeslam, il a “fait le vide” autour de lui et se sent “dans une bulle”. A ce procès des attentats du 13-Novembre, Martin Vettes a le sentiment de “s’être mouillé, d’être allé au charbon”, et il regrette que certains de ses proches ne l’aient pas toujours compris. Il a conscience que ce qu’il vient de traverser l’a profondément changé, mais ne saurait dire encore comment. Olivia Ronen le décrit comme quelqu’un de “drôle, franc, cultivé”.
Martin Vettes est aussi un grand lecteur, et il a d’ailleurs dévoré cette année une liste impressionnante de livres. Il a englouti plusieurs Louis-Ferdinand Céline : “D’un château l’autre”, “Nord”, “Rigodon”, “Guerre”, Carnets de prison”. Il a relu “Le procès” de Kafka, ainsi que “Crime et châtiment” de Dostoïevski. Et il a été très marqué par “En route” de Joris-Karl Huysmans, l’histoire de la conversion d’un débauché qui cherche son salut. Quand il ne lit pas hors des prétoires, Martin Vettes aime écouter des musiques populaires, et assume même en riant de lui-même “quelques goûts ringards”. Ce petit-fils de boulanger confesse aussi être “resté super gourmand” et regrette qu’il n’y ait “rien de bon à manger dans les machines du palais.” A la machine à café ou en dehors du palais, il a pris plusieurs fois le temps de discuter avec des rescapés ou endeuillés de ces attentats. Qui disent de lui qu’ils “l’aiment bien”.
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