Audition sur le nucléaire : Sarkozy vise le "lobby anti-nucléaire", Hollande émet quelques "regrets"

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Audition sur le nucléaire : Sarkozy vise le "lobby anti-nucléaire", Hollande émet quelques "regrets"

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Les présidents de la République Nicolas Sarkozy et François Hollande sont entendus par la commission d'enquête sur l'indépendance énergétique de la France.
Les présidents de la République Nicolas Sarkozy et François Hollande sont entendus par la commission d'enquête sur l'indépendance énergétique de la France.
- Capture d'écran site de l'Assemblée Nationale

Les deux présidents de la République se sont livrés à une joute verbale devant la commission d'enquête chargée de déterminer les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France. Tout deux ont défendu la "complémentarité" du nucléaire et des énergies renouvelables.

À qui la faute ? Pour la première fois depuis le début de la Vème République, deux anciens présidents étaient invités jeudi à s'exprimer devant une commission d'enquête parlementaire, à l'Assemblée Nationale. Nicolas Sarkozy (2007-2012) et François Hollande (2012-2017) ont répondu aux questions des députés sur "les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France", dans un contexte de tension sur l'énergie liée à la guerre en Ukraine.

Durant près de trois heures chacun, ils ont tenté d'expliquer leurs décisions prises sur le nucléaire et se sont rejetés la faute concernant la situation du parc et de la filière (réacteurs à l'arrêt, pénurie de main d'œuvre). La commission, obtenue par Les Républicains et présidée par le député LR du Haut-Rhin Raphaël Schellenberger, a été lancée en octobre 2022. Les députés qui la composent ont déjà entendu durant 150 heures les derniers ministres de l'Environnement, les patrons successifs d'EDF et des scientifiques pour tenter de comprendre les fragilités énergétiques de la France.

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"Le seul lobby qui existe c'est le lobby anti-nucléaire", estime Nicolas Sarkozy

Durant près de trois heures, Nicolas Sarkozy s'est employé à convaincre qu'il a toujours soutenu le nucléaire : "Toute ma vie politique j'ai pensé que la filière nucléaire était une chance pour la France, je n'ai jamais changé d'avis sur ce sujet." Il s'est montré très offensif et a déclaré que "le seul lobby qui existe c'est le lobby anti-nucléaire", "beaucoup plus puissant que le lobby nucléaire". Selon lui, le "nucléaire a fait l'objet d'une campagne de dénigrement digne des chasses aux sorcières du Moyen-Age. Irrationnelle, mensongère, les premières fake news c'est là", a-t-il osé. Plusieurs fois, il a accusé les médias d'avoir été complaisants avec ce "lobby anti-nucléaire".

Au niveau environnemental, "les plus préoccupés par le réchauffement climatique devraient être les premiers défenseurs du nucléaire", a-t-il soutenu, car "nous ne pourrons pas remplir nos objectifs environnementaux si nous n'avons pas l'énergie nucléaire". Selon lui, les énergies renouvelables doivent être développées "en complément" du nucléaire, mais pas "en substitution". Il ajoute, provocateur : "les partisans du nucléaire sont tous pour les énergies renouvelables."

Nicolas Sarkozy a ensuite fait la liste de tous ses déplacements dans des centrales nucléaires. Concernant le projet de construction d'un deuxième EPR à Penly, auquel François Hollande s'était opposé après la catastrophe de Fukushima, Nicolas Sakozy considère qu' "on a perdu 12 ans". Il s'en est pris à plusieurs reprises à son successeur socialiste, allant jusqu'à déclarer "Pompidou a démodé de Gaulle, Giscard a démodé Pompidou, Chirac… moi, je l’ai un peu démodé. On ne peut pas dire à François Hollande qu’il ait démodé qui que ce soit…". Il s'est par ailleurs moqué des élus de gauche qui l'ont qualifié d' " homme du passé ", du fait de ses convictions pronucléaires.

L'ancien chef de l'Etat a enfin déploré des "signaux désastreux" qui ont "découragé les meilleurs de nos étudiants" à choisir la filière nucléaire. "Quand vous, les politiques, vous avez peur du nucléaire, vous envoyez un signal que vous allez détruire cette filière", assure-t-il.

"Pendant tout mon mandat, les 58 réacteurs ont fourni de l'électricité sans difficulté", se défend François Hollande

En début d'après-midi, François Hollande a débuté son audition alors qu'à quelques mètres, Elisabeth Borne actionnait le 49.3 et actait le passage en force de la réforme des retraites, sans vote. Il a assuré avoir toujours soutenu un mix énergétique incluant le nucléaire et rappelé quand 2012, lors du débat d'entre-deux tours de l'élection présidentielle, face à Nicolas Sarkozy, il avait déclaré : "Je veux garder le nucléaire comme source principale de production d'électricité mais réduire sa part à mesure que les énergies renouvelables vont monter en production".

Il exprime deux regrets durant son mandat : "ne pas avoir réussi à faire monter suffisamment la part des renouvelables" et "ne pas avoir pu obtenir l'ouverture de Flamanville". Le réacteur EPR était prévu pour 2012 mais il n'a toujours pas été mis en service, à la suite de multiples retards et travaux de réparation. Sur ce point, il estime que "nous payons avec Flamanville le défaut d'effet de série, le fait qu'il n'y ait eu qu'une seule centrale" de ce type construite. Le modèle a depuis été exporté à l'étranger. "Néanmoins pendant tout mon mandat, les 58 réacteurs ont fourni de l'électricité sans difficulté majeure. Il n'y a eu aucun relâchement dans l'entretien et la sécurité des centrales", se défend-il.

Selon lui, la chute de production d'énergie nucléaire depuis deux ans est liée à "la découverture d'un phénomène de corrosion, de fissures, notamment sur des centrales récentes" et n'est en aucun cas "la conséquence d'une décision politique ou d'un arrangement électoral remontant à plus de dix ans, pas d'avantage d'un désintérêt à l'égard d'une filière, qui est essentielle à notre pays".

"Une confusion a été délibérément entretenue, comme si les pannes relevaient d'une méfiance à l'égard du nucléaire", poursuit-il, répondant à l'idée d'un "lobby anti-nucléaire" super puissant avancée par Nicolas Sarkozy. "J'ai cru comprendre que vous aviez reçu mon prédécesseur et qu'il a toujours cette faconde qui le rend particulièrement attractif au moins auprès de ses amis". Selon lui, "s'il y a bien une décision qui a été contraire à la filière nucléaire c'est bien la loi NOME (Nouvelle organisation du Marché de l'Éléctricité) de 2010", adoptée sous Nicolas Sarkozy.

Il revendique enfin d'avoir pris en compte l'accident de Fukushima. "C'est un évènement mondial qui a créé un choc et conduit le gouvernement japonais à fermer toutes les centrales nucléaires du pays. Quelques semaines après, l'Allemagne, l'Italie et la Belgique [ont annoncé] leur sortie du nucléaire", a-t-il rappelé. Il justifie s'être inscrit dans un contexte où l'opinion publique était plutôt favorable à la sortie du nucléaire : "Toute l'année 2021, la très grande majorité de nos concitoyens déclarent souhaiter un arrêt progressif sur 25 ou 30 ans des programmes nucléaires au bénéfice du renouvelable".

Un rapport final attendu le 30 mars

Il conclut en demandant à la commission d'enquête d' "aboutir à des conclusions les plus consensuelles possibles", sur un sujet hautement clivant. Ces deux auditions ont clôt les travaux de cette commission. Les députés adopteront leur rapport final le 30 mars, un document qui sera rendu public dans les jours suivants. "Ce que je retiens c'est le vrai échange qu'on a eu sur la place du nucléaire dans le processus de décision politique", déclare Raphaël Schellenberger, président de la commission d'enquête, à France Inter. Il conclut également que la décision de réduire la part de nucléaire dans le mix énergétique français a été prise "de façon très légère".