Auteur en quête de personnage : Stéphane Michaka et Lorre le Maudit
Par Nadja Viet
Pour sa fiction radiophonique dans "Autant en emporte l'Histoire", l’auteur Stéphane Michaka nous livre toutes les facettes de sa rencontre avec Peter Lorre, l'acteur qui incarna M le Maudit de Fritz Lang. À travers sa perception du cinéma, de la littérature, de la musique et du son, un univers entier surgit et revit.
En avril 2018, l’écrivain Stéphane Michaka nous avait déjà livré un aperçu de sa sensibilité pour toute l’humanité dans la publication introduisant sa fiction en deux épisodes sur Jack l’Éventreur. Il nous avait emmenés au plus près de la fabrication d’une fiction sur le crime, avec des prises de vue de l’enregistrement et les secrets de l'univers sonore signé par le réalisateur, Cédric Aussir.
En ce début d'année 2019, Stéphane Michaka récidive avec sa fiction sur l’acteur Peter Lorre qui incarna au cinéma le personnage de Hans Beckert, surnommé "M le Maudit", dans le film éponyme de Fritz Lang sorti en 1931.
Réalisée par Pascal Deux, cette fiction sera diffusée ce dimanche 13 janvier dès 21h dans l'émission Autant en emporte l'histoire.
Lorre le Maudit
Pour cette nouvelle fiction qui évoque la vie d’un acteur marqué par son personnage, Stéphane Michaka nous révèle pourquoi il a choisi de raconter à sa façon l'existence de Peter Lorre :
Pour beaucoup de gens du cinéma, les acteurs, les réalisateurs, les techniciens qui, dans l'Allemagne où Hitler va arriver au pouvoir, parce qu'ils sont juifs, vont devoir partir ; cette fuite des émigrés, c'est Peter Lorre qui en est un des meilleurs exemples.
Stéphane Michaka explique son choix de Peter Lorre pour sa fiction
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La singularité et l'authenticité de cet acteur, comédien très lié à l'auteur dramatique allemand, Bertolt Brecht, ont profondément touché Stéphane Michaka :
Il donne une humanité à ce bourreau d'enfants. C'est extrêmement dérangeant et nouveau.
Stéphane Michaka parle du destin de Peter Lorre marqué par son rôle dans M le Maudit
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En juillet 1936, dans son article, The Genius of Peter Lorre, extraite de la revue britannique World Film News, l'écrivain Graham Green avait, lui aussi, mentionné combien le cinéma tout entier était redevable à cet acteur incarnant le Mal :
To Lorre alone we owed the goodness, the tenderness of the vicious man. (À Peter Lorre seulement, nous devons la bonté et la tendresse du criminel)
Pour nous convaincre de l'étrangeté du personnage, observons les multiples visages de Peter Lorre dans cet aperçu de sa physionomie, tout à fait normal puis inquiétant à souhait, dans la présentation de Mad Love (titre français Les Mains d'Orlac), film réalisé par Karl Freund en 1935 à Hollywood :
Stéphane Michaka décrit Peter Lorre comme un artiste très talentueux n'ayant pas été suffisamment reconnu par l'industrie du cinéma hollywoodien, à cause de son accent appuyé mais aussi à cause de son ambiguïté naturelle, cet aspect débonnaire et sa voix modulée :
Dès qu'il apparaît à l'image et qu'il parle, on ne voit plus que lui !
Tout ce que Hollywood doit à Peter Lorre
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La fiction dans "Autant en emporte l'histoire"
Si Stéphane Michaka, auteur de la fiction radiophonique Peter Lorre le Maudit, de Berlin à Hollywood, s'est mis en quête de son personnage fictionnel, il a également créé autour de lui d'autres personnages empruntant au réel de l'Histoire. Que ce soit le réalisateur du film, Fritz Lang lui-même, ou encore Joseph Goebbels, l'auteur de la fiction s'affranchit parfois de la réalité des faits :
J'ai finalement inventé une scène où un personnage qui pourrait être Goebbels s'introduit dans la loge de Peter Lorre pour lui proposer de se mettre au service du nazisme.
Stéphane Michaka nous révèle une anecdote à propos de Goebbels
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Pour vous mettre l'eau à la bouche, en attendant dimanche prochain, voici ce dialogue entre Peter Lorre et ce personnage, extrait de la fiction réalisée par Pascal Deux :
Dialogue entre Peter Lorre et un personnage qui pourrait être Goebbels
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Retrouvez Peter Lorre le Maudit, de Berlin à Hollywood, dès ce dimanche 13 janvier 2019 entre 21h et 22h, dans Autant en emporte l'histoire, l'émission des Fictions de France Inter.
Stéphanie Duncan recevra Jean-Loup Bourget, critique à la revue Positif, pour commenter cette fiction.
Le son, les voix, la musique
Le long-métrage, M le Maudit, est le premier film parlant de Fritz Lang et pour cette raison, le réalisateur a donné toute la mesure de son génie, non seulement pour servir l'image mais aussi le son, les bruitages, mais aussi les silences.
Fritz Lang considérait que les silences avaient autant de valeur expressive que les bruits ou les paroles et son film intègre des plages silencieuses dans la bande-son afin d’accroître l’anxiété du spectateur dans la quête du meurtrier.
Béla Balázs, cinéaste hongrois, théoricien du cinéma, dans Le cinéma : nature et évolution d'un art nouveau, nous dit :
De tous les arts, c’est le cinéma parlant qui pourra, pour la première fois, représenter le silence.
Stéphane Michaka évoque les différents aspects du talent de Fritz Lang, réalisateur issu de l’expressionnisme allemand, aux techniques radicales pour l'époque, reflétant de façon saisissante les pensées et les angoisses profondes d’une société :
On dit souvent que M le Maudit est un film radiophonique.
Stéphane Michaka évoque la voix et le son dans M le Maudit
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Souvenons-nous que quelques années plus tôt, en 1927, le cinéaste d'avant-garde, Walter Ruttmann avait réalisé Berlin, symphonie d'une grande ville, film muet et œuvre d'art totale parmi les premières du nom.
En 1930, il s'était lancé dans la création d'un film sans image, Wochenende, ("Fin de semaine") qui reste encore aujourd'hui un témoin sonore extraordinaire de l'Allemagne de l'époque :
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Pour nourrir sa fiction, Stéphane Michaka a aussi écouté toutes les musiques du compositeur allemand Kurt Weill mais aussi le jazz de Duke Ellington, qui avait traversé l'Atlantique pour répandre son swing dans toute l'Europe, même dans la République de Weimar :
Stéphane Michaka parle des musiques nouvelles à l'époque de M le Maudit
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Écoutons Bilbao Song, extraite de la comédie musicale Happy End, créée à Berlin en 1929, sur des paroles de Bertolt Brecht et une musique de Kurt Weill, interprétée par son épouse, la célèbre chanteuse, Lotte Lenya :
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Les livres de référence
Pour s'imprégner de l'ambiance de l'époque, Stéphane Michaka a lu Quoi de neuf, petit homme ? de Hans Fallada, paru en 2009, dans une traduction de Laurence Courtois aux éditions Gallimard_._
Considéré comme l'un des chefs-d'œuvre de la littérature allemande, cette satire sociale excelle à rendre la vie des petites gens sous la République de Weimar :
Il y a cette phrase extraordinaire dans le roman de Fallada, où il dit de tels personnages : " Finalement, il était devenu nazi parce qu'il s'ennuyait".
Stéphane Michaka parle du roman de Hans Fallada, "Quoi de neuf, petit homme ?"
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Autre titre marquant, Mephisto, roman écrit en 1936 par Klaus Mann. Le fils de Thomas Mann, écrivain lui aussi, était alors en exil. Dans ce portrait de la scène théâtrale de l'époque, Klaus Mann opère une charge au vitriol contre Gustaf Gründgens, acteur et metteur en scène qui prospéra sous le régime nazi. Notons que l'acteur Gustaf Gründgens n'est autre que Schränker, le chef de la pègre dans le film M le Maudit !
Anglophone, Stéphane Michaka a également lu la biographie de Peter Lorre rédigée par Stephen Youngkin, The Lost One : A Life of Peter Lorre, paru aux États-Unis en 2005. Espérons que cet ouvrage sera bientôt traduit en français !