Avec "Oxymore", Jean-Michel Jarre donne une nouvelle vie aux sons de Pierre Henry
Par Julien BaldacchinoCe week-end, Jean-Michel Jarre a présenté à la Maison de la radio et de la musique sa nouvelle création : "Oxymore". Une œuvre en 11 mouvements conçue à partir d'un legs précieux, celui des sons de Pierre Henry, l'un pionnier de la musique électronique. Performance annoncée novatrice qui s'avère surtout brillante.
C'est à deux pas des studios de France Inter que Jean-Michel Jarre a présenté son nouveau projet, ce week-end : dans l'agora de la Maison de la Radio et de la musique, à Paris, à l'occasion de la première édition de l'Hyper Weekend Festival organisé par Radio France. L'artiste de musique électronique a joué ces derniers jours sept fois son nouvel opus. Le compositeur aime les titres courts et percutants : après "Oxygène" en 1976 et "Equinoxe" en 1977, qui ont tous deux connu des suites ces dernières années, voici "Oxymore", une pièce conçue comme un dialogue avec l'univers sonore de Pierre Henry, disparu en 2017.
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Un hommage à la musique concrète
Pour composer Oxymore, Jean-Michel Jarre a pioché dans l'héritage des sons légués par Pierre Henry, artiste majeur de la musique concrète : un courant qui consiste à créer de la musique non pas avec des notes, mais avec des sons. Connu du grand public pour la "Messe pour le temps présent", ballet de Maurice Béjart d'où vient le fameux "Psyché Rock" composé avec Michel Colombier, Pierre Henry a écrit des "Variations pour une porte et un soupir" et a conçu des orchestres de haut-parleurs. Avec ces sons, Jean-Michel Jarre a créé une longue pièce d'un peu plus de cinquante minutes, divisées en 11 mouvements à la manière d'une symphonie. Jean-Michel Jarre explique :
"Dans la musique concrète, il y a un rapport à l'approche organique de la musique : le fait de pétrir le son, comme un sculpteur"
Et s'il fallait un mot pour décrire ce qu'est Oxymore, ce terme, "organique", correspond très bien. Souvent utilisé à tout bout de champ quand on parle de musique, il est pourtant tout à fait adapté ici : immergés dans le son, spectateurs et spectatrices entendent autour d'eux tourner des sons qu'on pourrait prendre pour des battements d'ailes, de l'eau qui coule, des voix modifiées, transformées, jusqu'à devenir incompréhensibles. Ce qu'on pourrait prendre pour des claquements de porte devient le son d'une horloge dont les tic-tac semblent tourner autour de nos oreilles. Même les synthétiseurs numériques que Jean-Michel Jarre manipule sur des surfaces tactiles ont des sons ronds, englobants.
Exploration de son univers musical
Cette sensation est permise par un travail qui a été réalisé par le musicien avec un ingénieur de la maison de la radio, Hervé Déjardin – en préambule de chacune des représentations, Jean-Michel Jarre a rappelé à quel point ce lieu avait été une place fondatrice pour la musique électronique en Europe, l'ORTF ayant accueilli le Groupe de recherches musicales de Pierre Schaeffer, dans lequel il a étudié. Ensemble, Jarre et Déjardin ont conçu un mixage spatialisé pour des haut-parleurs situés tout autour du public. "Il s'agit d'une méthode de captation du son adaptée à la morphologie de la tête humaine, qui permet une restitution en trois dimensions", explique à France Musique le preneur de son Christian Lahondès.
En explorant l'héritage de Pierre Henry, Jean-Michel Jarre ne perd pas de vue son propre univers musical, et il est impossible de ne pas penser, en entendant les sons échantillonnés et les voix transformées, à "Zoolook", l'album le plus étonnant de Jarre, composé à partir de voix glanées tout autour du monde – couronné en 1984 d'une Victoire de la musique. Le septième mouvement d'"Oxymore" s'ouvre sur un cri étouffé qui, près de quarante ans après, rappelle le cri primal qui ouvrait "Ethnicolor" en 1984. Et quand la salle se transforme en pendule géante, difficile de ne pas penser aux mécanismes d'horloge qu'on entendait dans "Chronologie" au début des années 90.
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Collage surréaliste
"Amazonia", le dernier album studio de Jean-Michel Jarre, misait beaucoup sur la texture des sons et sur le binaural, mais celui-ci était très contemplatif, presque comme une collection de paysages sonores (et pour cause, il était avant tout la bande-son de l'exposition du photographe Sebasiao Salgado). Ici, le voyage que propose "Oxymore" est bien plus effréné, les séquences se suivent et ne se ressemblent pas, à la manière d'un collage surréaliste, et s'il manque peut-être une séquence plus mélodique pour toucher le grand public, "Oxymore" est l'un des travaux les plus aboutis de Jean-Michel Jarre ces dernières années.
Pour l'heure, il est possible d'écouter "Oxymore" sur le site de France Musique – en stéréo ou en binaural à condition de disposer d'un casque. La pièce est aussi appelée à vivre dans un univers virtuel : ce week-end, elle était diffusée pour quelques personnes dans une application nommé "Oxyville", que le musicien présente comme "avant-poste d'un un métavers en cours de construction, accessible en VR Sociale". Reste à savoir si l'œuvre sortira aussi sur des canaux plus traditionnels, en disque ou en streaming.