"BAC Nord" de Cédric Jimenez : film bourrin ou polar efficace ? Les critiques du Masque partagés
Le film avec Gilles Lellouche, Karim Leklou, François Civil, Adèle Exarchopoulos, Kenza Fortas revient sur l'affaire de 2012 qui mettaient en cause 18 policiers à Marseille. Qu'en ont pensé les critiques de cinéma ?
La présentation du film par Jérôme Garcin
"BAC Nord est signé Cédric Jimenez, le réalisateur de La French avec Gilles Lellouche, François Civil, Karim Lecloux, Adèle Exarchopoulos, Kenza Fortas…
Le film est inspiré du scandale de 2012, dont l'instruction judiciaire est toujours en cours. Il raconte l'affaire des 18 policiers de la BAC (Brigade anti-criminalité) du Nord de Marseille déférés en correctionnelle pour trafic de stupéfiants et racket en bande organisée. C'est à l'époque où Manuel Valls parlait de nettoyer la police.
Les flics du film sont Greg, Gilles Lellouche avec le crâne rasé et un diamant à l'oreille, Yas', joué par Karim Leklou et sa femme, également policière, jouée par Adèle Exarchopoulos. J'ai eu du mal à l'imaginer en policière et enceinte. Et enfin, Antoine, joué par François Civil.
Leurs supérieurs leur demandent toujours plus de résultats dans ces quartiers nord de Marseille qui détiennent le taux de criminalité le plus élevé de France.
Pour obtenir la chute d'un réseau qui prépare une grosse livraison de stupéfiants, ils finissent par franchir la ligne jaune avant de se lancer dans une longue scène d'anthologie digne d'un polar ou d'un western américain à l'assaut de la Cité de la Castellane.
Un débat monte sur les réseaux sociaux. Il pose la question : "est-ce que Jimenez, le réalisateur, ne ferait pas dans ce film l'apologie de la police ?"
Eric Neuhoff : "'BAC Nord' est un film très fort"
"Avec BAC Nord, on se dit que définitivement Marseille s'est éloigné de Pagnol. "Tu tires ou tu pointes ?": ce n'est plus à la pétanque, mais à la kalachnikov ou au fusil à pompe. C'est un très bon film d'action. Et je me fiche complètement que Jimenez fasse voter Le Pen ou pas.
Visiblement, le réalisateur parle de ce qu'il connait : sa ville. C'était déjà un peu le cas dans La French, un film complètement décrié, alors qu'il n'était pas si mal.
BAC Nord est un film de guerre. On y voit des zones occupées. La scène de l'assaut est une véritable scène de conflit armé. Elle est hallucinante. Il y a une pluie de machines à laver qui tombent de tous les étages. On est vraiment scotché à son fauteuil.
Il n'y a plus de films de flics aujourd'hui. Ils ont été transformés en séries, ou en téléfilms.
Là, on a un gars qui sait tourner ce genre-là. Jimenez sait comment parler de son époque et d'un métier. On voit ces policiers travailler au quotidien où ils sont harcelés par la hiérarchie qui les pousse à faire du chiffre. On les voit coincés par les dealers qu'ils rançonnent pour pouvoir payer les indics. On apprend un tas de choses.
Les comédiens sont très bons.
On n'a jamais vu Gilles Lellouche aussi excellent. François Civil, avec son espèce de petit chignon sur le crâne, est parfait en flic déchiré. Karim Leklou dont la femme attend un enfant est une espèce de gros nounours dépassé par les événements. Kenza Fortas est formidable
On voit le déchirement permanent qu'ont à vivre ces flics-là, entre les indics, leurs supérieurs, les criminels… Ils travaillent avec des moyens dérisoires, et sont à la fois otages, victimes, de temps en temps, bourreaux.
Ce film est très fort. Je mettrais un petit accent mineur sur la fin. On n'était peut-être pas obligé d'entendre House of the Rising Sun, la version américaine du Pénitencier de Johnny Hallyday : on avait compris."
Ava Cahen : "'BAC Nord', un film extrêmement bourrin"
"Les points forts du film sont le casting et le jeu des comédiens. Il faut reconnaître à Jimenez ce talent-là : c'est un excellent directeur d'acteurs. Les trois têtes d'affiche sont absolument fabuleuses. Ils sont tous en dehors de leur zone de confort. Mais ils sont parfaits dans le rôle de ces flics bas du front, qui se la jouent à la fois cowboys et bandits. On comprend qu'ils ne sont que des rouages, d'une machine infernale qui broie l'individu. Je trouve Exarchopoulos formidable et Fortas aussi. Voilà pour les qualités du film.
Mais en dehors de cela, je pense que c'est un film extrêmement bourrin. Il cultive le spectaculaire. Le tout est trop démonstratif. Cela me déplaît.
Je trouve que le réalisateur se met trop au diapason de ses personnages qui ne sont que muscles, et n'ont pas de matière grise.
Je trouve le discours du film terriblement maladroit. J'entends qu'il prend pour cible la hiérarchie, les bureaucrates, ou les corrompus. Et qu'il épargne les flics de terrain et leur donne une vie de famille, ou en tous les cas, une vie à laquelle on se connecte. Mais je suis dérangée par ce discours qui glorifie la police et qui est trop en empathie avec les policiers. On ne voit qu'eux, au point que l'on a l'impression qu'ils sont les seuls habitants de Marseille. Ils prennent trop de place ! Et je suis d'accord sur la fin : on n'avait pas besoin en plus de violons. J'ai trouvé ça très too much."
Pierre Murat : " Ce film serait signé Don Siegel, tout le monde hurlerait de joie"
"Je trouve que c'est un film absolument formidable. C'est rare dans le cinéma français de voir cela. Jimenez, le réalisateur ne m'avait pas vraiment convaincu dans La French qui était pas mal, mais sans plus. Là, il prend de l'ampleur. Il donne du souffle à ses personnages. Le trio de personnages principaux est formidable. Avant le confinement, il n'y avait pas un film sans François Civil. Je le trouvais agréable à regarder, mais là, il est vraiment très bien. Les deux actrices sont absolument formidables. La mise en scène aussi.
Ce film serait signé Don Siegel, tout le monde hurlerait de joie.
C'est magnifique de faire un film d'action comme cela en France où on ne sait pas très bien le faire. Pour une fois, on a trouvé un réalisateur qui, après La French, le fait magnifiquement.
Ensuite les polémiques qui disent que BAC Nord est un film de droite parce qu'il met l'accent sur les flics… On ne s'est pas posé la question dans Les Misérables, qui est un film beaucoup moins bon cinématographiquement parlant, et qui a gagné des trophées. On ne s'est pas posé la question de savoir si le parti pris était juste, ou pas. Tout le monde trouvait ça tout à fait normal que l'on prenne le parti pris du réalisateur Ladj Ly. Là, Jimenez ne milite pas, il montre ce qu'il se passe. Et il le fait avec un sens du spectaculaire absolument épatant."
Xavier Leherpeur : "Un film de genre avec des gens de terrain qui font ce qu'ils peuvent"
"Je suis d'accord avec Pierre. Je partage évidemment l'appréciation ultra positive d'Ava Cahen sur ce trio d'acteurs hors de leur zone de confort. Elle a très justement parlé de cela. Ils sont de surcroît hors de leur famille de cinéma : Karim Leklou, qu'on aime plutôt dans le cinéma d'auteur, et François Civil, longtemps vu dans de la comédie française. Ils forment avec Gilles Lellouche un trio extrêmement crédible.
Jimenez est à côté des flics. Cela lui permet d'apporter de la nuance.
Ces types sont déjà de petites racailles : ils volent des cigarettes de contrebande à un petit vendeur de rue, ils arnaquent un tout petit peu, ils ne payent pas leur addiction au café, et considèrent que c'est normal. Ils ont donc déjà un peu franchi la limite. Je trouve intéressant que le réalisateur n'angélise pas. Il montre des gens de terrain qui font ce qu'ils peuvent pour se débrouiller avec des situations extrêmement compliquées, nauséeuses, qui dérapent à la vitesse du vent.
Je trouve exceptionnelle la manière de Jimenez de faire monter la tension pour la faire exploser à l'écran. Il y a la scène de poursuite du début qui se termine effectivement par une voiture qui recule sur elle-même et percute un mur.
Ce qui est raconté est aussi une vérité. Je ne pense pas un instant que le film puisse faire voter pour le Front national. De toutes les façons, il faudrait être idiot pour penser qu'un film comme BAC Nord va faire se précipiter les gens à adhérer à ce parti-là.
Je pense que les opinions sont faites depuis longtemps, et qu'un film n'a malheureusement aucun effet, ni positif et négatif.
Le cinéma d'action est toujours traité en France de façon ambiguë : "Je veux faire un film de genre et en même temps, je vais prendre un petit peu de distance, et en même temps, je vais dans la quintessence du genre…"
Là, il est pleinement dans cette virilité un peu poisseuse des polars même si les personnages féminins s'en sortent plutôt bien.
On peut reprocher à Jimenez de ne pas être de l'autre côté, de ne pas montrer le vis-à-vis. Mais cela nous permet de mesurer le quotidien pas toujours rose, ni angélique, de ces flics de terrain et de quartiers. C'est un très grand film policier."
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