"Back to Corsica" : la série télé drôle (et réaliste) sur la jeunesse corse
Par Christine Siméone
Si vous n'avez pas encore vu la série "Back to Corsica", sur France.tv Slash, faites-le vite. Cette première série de la réalisatrice Felicia Viti dresse un portrait drôle et sans concession de la jeunesse corse : ceux qui aiment se moquer de la Corse verront à quel point ils jouent petit bras.
Je ne suis pas Corse. Je fréquente beaucoup la Corse, et les Corses, et je rentre de vacances en Corse. Au bureau, la mine moqueuse, les collègues me demandent : "Alors, comment ça va au village ?" Je ne sais pas répondre à cette question, trop personnelle, trop étrangère. Je réponds donc : "Regardez 'Back to Corsica', et vous comprendrez". Ils ont regardé, ils ont aimé, et maintenant ils veulent que j'écrive un article. Gêne. Du patron de France 3 Corse au figurant de l'épisode 5, je connais trop de protagonistes de cette série. Les collègues insistent, je me lance.
Back to Corsica est proposée par Via Stella sur la plateforme France.tv Slash, dédiée aux 18-30 ans. Ce n’est pas mon village, c’est celui d’à côté. Levie, je balance. Avec des personnages que je connais un peu. Jean-Jean le berger, l’intello du coin, connait aussi bien ses brebis que Bergman, le cinéaste. Sa bergerie sert de décor, j’en connais les herbes séchées par l’été, la maisonnette et la cafetière auprès desquelles les visiteurs privilégiés trouvent refuge. Sa fille, Félicia Viti, est la réalisatrice de cette série "toc de ouf". C’est comme ça qu’on dit au village.
"Oh Bichon, tu dégages ou je te dégage !"
En jouant avec les codes de la télé-réalité, Félicia Viti fait carburer sa caméra (petits moyens, grande débrouille) à l’autodérision, et dépeint une jeunesse qui aime son pays, trop peut-être, et qui perd parfois son avenir tellement les horizons sont vastes et beaux. En Corse, la beauté te porte et t’emporte.
Andrea, l’héroïne principale, en fait les frais. Elle arrive du continent (c’est l’hexagone de la carte de France) pour l’été. À l’aéroport, c’est un "Oh Bichon, tu dégages ou je te dégage !" qui accueille le spectateur, avec la voix rauque de la blonde Marie-Luce, la copine d’Andrea. Ainsi est donné le ton d’une saga qui promet jurons et "macagnes" en fanfare, balancés sans prévenir par des comédiennes et des comédiens hors pair.
"Macagnes" ou "cacciates", selon que tu es du nord ou du sud de la Corse, c’est pareil. Ce sont les bons mots ou farces pour faire marcher le touriste, en lui faisant croire que tu manges du saucisson d’âne (par exemple). Dans Back to Corsica, on pisse portière ouverte sur le bord de la route, on se promet pour une fois un été à la cool, pas alcoolo et avec de gros dodos, mais on sent par avance qu’il n’en sera rien.
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Cette chronique de la vie des Corses en été pourrait s’appeler : "Sea, sex au compte-goutte et sun, beaucoup, beaucoup de sun", comme dit Andrea.
La jeune fille s’éprend d’une belle vacancière accompagnée d’un jeune homme. Rien de romantique, les filles s’embrassent dans un vieux C15 pourri qui sent le fromage. Elles ne se font aucune promesse, même si "ce n'est pas ce que j'avais compris en sentant ta langue dans ma bouche". Andrea l’homosexuelle, et Marie-Luce l’hétéro célibataire malgré elle, expliquent le mode d’emploi des plans drague. En Corse, il y a si peu de monde, que tout le monde sait tout sur tout le monde, alors "s’il y a une clé, c’est la discrétion. Tu peux tout faire, mais faut pas se faire prendre, et ça, ça demande du talent", dit Marie-Luce, car "si les murs ont des oreilles, le maquis, il a des yeux".
La mémé habillée disco qui tire les cartes, le notaire copain avec le berger et le papi qui cultive son cannabis
Félicia Viti ose montrer l’homosexualité féminine, rarement évoquée en Corse.
"C’est quoi ce sac de gouines ?", entend-on au bal de Levie (en Corse, il y a une fête annuelle par village, qu’on appelle encore bal, même avec de la techno). Ça finit en baston, et le lendemain les mêmes qui se sont battus font équipe dans un concours de pétanque. "À Levie, on fait un concours de triplettes, parce qu’à Carbini, ils le font en doublette", explique l’organisateur. Là, tu mesures dans son regard l’importance de la compétition entre villages. Il y a toujours un moment où il faut avoir l'air plus malin que le village d’à côté.
Sur la plage aussi, il s’agit de se montrer inventif.
"-J’ai pas l’autorisation pour mettre un comptoir sur la plage, je te l’ai déjà dit", explique Jean-Charles, le patron de la paillote.
-"Laisse-moi faire, pas de comptoir, OK, mais laisse moi faire le son, de l’électro, tu verras, chì tanti Capo, il y aura plein de femmes", répond le cousin.
-"Y aura pas de femmes, il n’y aura que des drogués"...
-"Mais non Jean-Charles, c’est des mélomanes."
"Back to Corsica" est bercée de musique des années 80, et respire l’herbe qui fait rire, ou pas, peu vue au grand jour, mais fort bien connue, parfois assaisonnée d’une pincée laiteuse.
La série de Felicia Viti, avec ses dialogues crus et drôles, est la meilleure façon d’apprendre le corse, le vrai, cette langue qui s’épèle en français, se ponctue de langue corse, mais signifie dans les "mmm" et les silences, tant d’histoires souterraines.
Tout est vrai dans cette fiction comique. La mémé habillée disco qui tire les cartes, le notaire copain avec le berger, le papi qui cultive son cannabis, le vieux beau qui se prend pour un champion au pieu, sans parler de l’intellectuelle, qui, sans rire, espère apporter un peu de culture et d’art. Mais dans ce pays, ce qui fait le lien entre tous, c’est la terre, la belote et le haut et franc-parler.
En conclusion, pour répondre à la question : "Alors, comment ça va au village ?", je dirais : "Ça va, ça va."