Bande dessinée : "1984", de George Orwell, trois regards sur une même œuvre
Par Anne Douhaire-Kerdoncuff
En 2021, l'œuvre de George Orwell tombe dans le domaine public. Cela n'a pas échappé aux éditeurs. Trois versions du roman d'anticipation "1984" paraissent en BD. Comparatif.
Après la passionnante biographie en BD de l'auteur de La ferme des animaux parue en 2019, signée Christin, et l'entrée d'une partie de son œuvre dans la prestigieuse collection de La Pléiade chez Gallimard, trois versions de 1984, le roman d'anticipation emblématique de l'écrivain anglais paraissent à quelques semaines d'intervalle.
Orwell est passé à la postérité grâce à "1984", écrit en 1948, et à son invention prophétique de Big Brother, préfigurant, il y a 73 ans, le contrôle de la pensée et des médias. Orwell, de son vrai nom Eric Blair, n'en a rien su : il est mort en 1950, à 46 ans seulement.
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Le roman 1984 est revenu sur le devant de la scène en 2020 avec la crise de la Covid. Certains ont vu dans les restrictions des libertés liées au confinement, puis au couvre-feu, une marche vers la dictature, alors que la pandémie est survenue après l'arrivée au pouvoir de démagogues tels que Donald Trump ou Jaïr Bolsonaro. Comparatif des trois adaptations en bande dessinée.
La version la plus futée

Londres 1984. Dès les premières planches, le décor est planté : l'intérieur gris de Winston Smith où trône son télécran géant, l'objet par lequel les esprits sont surveillés en permanence - le fameux "Big Brother is watching you". A l'extérieur, tout aussi terne, on retrouve aussi les éléments essentiels à un contrôle de la pensée. La terreur est entretenue grâce à des arrestations nocturnes, et aux dénonciations…
La pression permanente est maintenue grâce à la "mentopolice", à l'instauration d'un nouveau langage (le "néo-parler"), et à l'effacement des archives où travaille Winston Smith. Dans cette dictature, pas de passé, ni d'avenir. Pas de divertissement à part les spectacles de pendaisons mensuelles. Et des semaines de la haine, dont est notamment victime le renégat Emmanuel Goldstein, ex-proche du pouvoir, désigné comme bouc émissaire.
Winston Smith est un petit ouvrier de la censure au ministère de la Vérité. Il est chargé de remanier les archives de sorte qu'elles coïncident avec la version officielle. Mais il résiste grâce à l'écriture d'un journal qui peut le faire tuer d'un instant à l'autre : "maintenant qu'il s'est reconnu comme un homme mort, il s'agit de rester vivant le plus longtemps possible", écrit Orwell. Il entretient aussi une relation avec Julia, sa seule respiration.
Dans un dessin aux tonalités grisâtres, le dessinateur et illustrateur brésilien Fido Nesti livre une version rythmée de la dystopie grâce à un découpage précis. Ses traits expriment une urgence de la dénonciation peut-être liée à l'élection de Bolsonaro à la présidence de son pays. Inspiré à la fois du stalinisme et du nazisme, le totalitarisme de 1984 est parfaitement rendu : étouffant, déprimant, d'autant plus terrifiant que le parcours du petit employé de bureau est parfaitement incarné.
1984 de George Orwell et Fido Nesti est paru chez Grasset. Traduction de Josée Kamoun
La plus belle version

Dans un dessin qui tient à la fois du style de Jean-Marc Rochette, l'auteur du Transperceneige, et de l'iconographie des affiches de propagande soviétique, Xavier Coste (A comme Eiffel, L'Enfant et la rivière, Le lendemain du monde, A la dérive) livre une version peinte très géométrique et très urbaine du roman de George Orwell. Son propos met surtout en lumière la modernité glaçante du propos. Avec des scènes de torture troublantes de réalisme.
- ÉCOUTER | 1984 dans Bulles de BD
1984 de George Orwell et Xavier Coste chez Sarbacane
La version la plus littérale et la plus accessible
Cette version de 1984 va à l'essentiel. Pas de fioritures non plus dans le dessin qui rappelle un peu celui de Bastien Vivès (Polina, Une sœur). Cette adaptation rend très accessible le propos émancipateur d 'Orwell et se lit d'une traite.

1984 de Jean-Christophe Derrien, et Rémi Torregrossa chez Soleil
Aller plus loin :
- Dans La librairie francophone, retour sur le séjour parisien d'Orwell où l'on découvre la francophobie de l'écrivain anglais, et son influence sur les récits de SF de Christin.
- Dans Affaires sensibles, Fabrice Drouelle analyse la dimension prophétique du roman d'Orwell. 1984, Londres, capitale d'Océania. Les Socialistes ont pris le pouvoir depuis longtemps. Dans son appartement, Winston Smith, fonctionnaire du ministère de la Vérité, écrit son journal profitant d’un angle mort pour fuir la télésurveillance. Pourra-t-il continuer son œuvre ? Pas sûr : « Big Brother is watching you ».
- Avec la lecture de 1984, Guillaume Gallienne nous propose d'embarquer dans l'univers inquiétant mais passionnant imaginé par George Orwell, qui nous invite à réfléchir sur la condition politique de l'homme et sur la fragilité de l'individu pris dans les rouages des systèmes totalitaires.
- Dans Blockbusters, Frédéric Sigrist revient sur la portée philosophique de 1984, la vie de son auteur la création de la novlangue, de la double pensée, l'importance pour une dictature de réécrire l'Histoire… En quoi Orwell avait vu juste sur certaines de nos évolutions, et tort sur d'autres ?
- Dans La marche de l'histoire, Jean Lebrun sal ue la nouvelle traduction de 1984, parue en juin 2018 et signée Josée Kamoun. Elle donne au livre un autre éclat, un autre tranchant.