Bande dessinée : « Madones et putains » de Nine Antico, sombre panorama du patriarcat
Par Anne Douhaire-Kerdoncuff
À travers trois femmes aux prénoms de saintes au destin tragique, la dessinatrice donne à voir des vies féminines d’Italie du Sud qui subirent la guerre, la pression des hommes, et celle de la société. Elle tisse un récit teinté de macabre et composé de souterrain, de fantômes, et de secrets.
Il y a d’abord Agata, personnage imaginaire, inspiré d’un fait divers réel du début du XXe siècle. Fille d’une femme tuée par son amant, elle a été écartée du scandale et mise en internat à Palerme. Cette fille de la haute société détonne dans ce lieu qui accueille surtout des enfants handicapés, souvent miséreux. Agata, devenue momie des catacombes, inspire des jeux aux enfants...
On découvre ensuite Lucia. Inspiré par la sirène Parténope, ce personnage drague les Américains, pour survivre, dans les souterrains napolitains à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. Tondue à la Libération pour avoir couché avec les soldats allemands pendant le conflit, elle porte cette honte. Devenue naine, elle devient proxénète. Enfin, vient Rosalia, une femme courageuse qui a réellement existé et a brisé le silence de la mafia.
Nine Antico a eu envie d’écrire ces histoires après la lecture de La peau de Curzio Malaparte
Le récit par le grand correspondant de guerre et officier de liaison auprès des Alliés de l’arrivée des alliés américains à Naples. Un périple masculin dans l’Italie en ruine… De quoi inspirer ces nouvelles en BD marquées par la mort, et le sexe, et qui flirtent avec le féminisme et l’histoire. Sous prétexte de préserver l’ordre d’une société, on fait subir les pires traitements aux femmes. La touche macabre – il y a du Mercredi de la famille Addams dans ces héroïnes – apporte une touche de mystère. Elle donne une ambiance sombre et poétique à ces histoires inspirées par la culture très religieuse de la Campanie et de la Sicile du XXe siècle.
Le dessin en noir et blanc charbonneux souligne l'aspect dramatique des trois récits. D’autant que les traits de l’une des héroïnes ont directement été inspirés par une photo trouvée sur une pierre tombale à Stromboli. Par petites touches, Nine Antico distille les ingrédients d’un décor inquiétant, propice à mesurer la pression exercée sur les femmes. Beau et passionnant.
Regarder "Madones et putains", Nine Antico se met en quatre
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Madones et putains de Nine Antico est paru chez Dupuis
L’autrice sera au Festival d'Angoulême 2023
