BANDE DESSINEE – "Suites algériennes" de Jacques Ferrandez, l’Algérie d’après la guerre d’indépendance
Par Anne Douhaire-KerdoncuffLe dessinateur poursuit son œuvre consacrée à l’histoire de cette partie de la Méditerranée. Et achève (pour l'instant) un récit entamé avec les "Carnets d’Orient (1830-1954)" et les "Carnets d’Algérie" (1854-1962). Cet opus s’intéresse aux années 1962 à 2019.
En février 2019, la jeunesse algérienne se soulevait. Appelé Hirak le mouvement contestataire demandait plus de modernité démocratique, et s’opposait à une éventuelle cinquième élection de Bouteflika à la présidence… Et si les racines de cette révolte étaient à chercher dans les années écoulées depuis l’indépendance du pays en 1962 ?
Pour nous raconter cette période, Jacques Ferrandez, né en 1955 à Alger, reprend la méthode employée dans les précédents volumes de sa saga consacrée à sa terre natale, les Carnets d’Orient (1830-1954) et les Carnets d’Algérie (1854-1962)…
Il nous fait suivre des personnages, qui à la façon d’un marabout-bout de ficelle racontent l’histoire du pays pris en étau entre l’armée et la religion depuis l’indépendance.
A Alger, en 1988, on croise Paul-Yanis, journaliste, en quête de la tombe de sa grand-mère décédée en 1965
Il est le fils d’Octave et de Samia déjà croisés dans les précédents livres. Il côtoie la magnifique Nour, qui explique la lente dégradation de la condition féminine avec le nouveau code de la famille, « code de l’infamie faite aux femmes ».
Elle revient sur les ferments de la radicalité : "Tout le monde veut aller en boîte et porter des baskets de marque, mais comme notre modèle économique ne le permet pas, certains se tournent dans la religion, la haine du corps, la haine de soi…". Quelques années plus tard, le pays sera plongé dans les années noires du terrorisme.
D’autres personnages ponctuent ce récit
Un chauffeur de taxi explique l’échec du pays après l’indépendance : « Les Algériens ont fini par croire qu’ils avaient la mentalité du colon en eux. » Un autre chauffeur avait expliqué à son père à quel point l'Algérie était constituée de communauté imbriquées : berbères, arabes, juifs, descendants des Romains, des Vandales, des Carthaginois…
Une fois de plus avec ses magnifiques dessins à l’aquarelle, Jacques Ferrandez nous donne à comprendre la situation compliquée d’un pays qu’il aime tant. Lui-même est né non loin de là où Albert Camus avait vécu. Tout à la fois journaliste, dessinateur, chroniqueur sensible, et fin connaisseur, il ne prend pas partie. Ces Suites algériennes ultra documentées apportent de manière romanesque des éléments à qui veut comprendre le Maghreb d’aujourd’hui.
Comment dessiner "Suites algériennes", la leçon de dessin de Jacques Ferrandez
- Suites algériennes de Jacques Ferrandez est paru chez Casterman
=> Lire aussi une nouvelle édition du Désert sans détour par Mohammed Dib (Actes Sud), illustré par Jacques Ferrandez