BD - "Perpendiculaire au soleil" de Valentine Cuny-Le Callet : l'amitié malgré le couloir de la mort

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BD - "Perpendiculaire au soleil" de Valentine Cuny-Le Callet : l'amitié malgré le couloir de la mort

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Détail de la couverture de Perpendiculaire au soleil de Valentine Cuny-Le Callet
Détail de la couverture de Perpendiculaire au soleil de Valentine Cuny-Le Callet
- Delcourt

En 2016, la dessinatrice entame une correspondance avec Renaldo McGirth, un condamné à mort, incarcéré depuis plus de 10 ans en Floride. Dans un dessin en noir et blanc, la bande dessinée raconte leur relation épistolaire et la vie dans le couloir de la mort.

"Perpendiculaire au soleil" a reçu notre label Jeune Talent : une façon d’attirer le regard sur une jeune autrice à laquelle qui nous croyons.

Un pavé de 436 pages qui se lit d’une traite

Par militantisme contre la peine capitale, il y a six ans, Valentine Cuny-Le Callet se lance dans une correspondance avec un jeune Noir qui attend dans le couloir de la mort d’une prison américaine. Au départ, Valentine ne voulait pas savoir pourquoi son correspondant était incarcéré. Mais, la curiosité gagne. Autorisée par le condamnée à s'informer sur son dossier, elle apprend que Renaldo McGirth est accusé du meurtre de Diana Miller, la mère de Sheila dont il était l’ancien dealer. Le 21 juillet 2006, trois jeunes ont rendu visite à la jeune femme, une visite qui a tourné au drame. Sur les trois, seul Renaldo a été condamné à mort.

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La correspondance qui s’installe entre la jeune dessinatrice française et le détenu est une vraie relation. Chacun cherche à en savoir plus l’un sur l’autre. Valentine pose des questions. Le prisonnier répond, et l’interroge à son tour. Au fil de leurs lettres, des images qu’ils s’échangent, des rares visites, naît le récit graphique de leurs vies parallèles. L’existence du condamné entre cinq mètres carrés donne une vision de l’intérieur du couloir de la mort. La prison est gérée comme une entreprise privée, d’où un certain zèle des gardiens. Le livre questionne avec une intense émotion la brutalité du système carcéral, avec ses multiples règlements : les lettres sont régulièrement censurées, les envois de colis très cadrés. Même pour les livres : les couvertures en carton rigide sont interdites.

Détail d'une planche de "Perpendiculaire au soleil" de Valentine Cuny-Le Callet
Détail d'une planche de "Perpendiculaire au soleil" de Valentine Cuny-Le Callet
- Delcourt

Un livre émouvant

De multiples trouvailles graphiques évoquent l’enfermement et dressent le portrait de ce jeune homme très attentionné et à l’écoute de sa correspondante. Comme cela pourrait l’être dans une relation à l’extérieur, la franchise est de mise. Rien n’est éludé : ni le risque d'un échange intéressé, ni la question de l’évolution de leur relation. Le récit est particulièrement instructif quand il évoque le racisme anti-noir qui traverse toute la société américaine. Ce témoignage fort, touche et réjouit par son dessin. Un grand livre d’autant plus émouvant qu’il est dessiné par une jeune autrice qui n’était pas née au moment de l’abolition de la peine de mort en France. Au moment de la publication de ce livre, 2414 personnes attendent aux Etats-Unis dans le couloir de la mort.

Perpendiculaire au soleil de Valentine Cuny-Le Callet est publié chez Delcourt/Encrages

Détail d'une planche de "Perpendiculaire au soleil" de Valentine Cuny-Le Callet
Détail d'une planche de "Perpendiculaire au soleil" de Valentine Cuny-Le Callet
- Delcourt

Valentine Cuny-Le Callet : "Cette BD est le beau bébé né de notre amitié"

"J’ai 25 ans. Et j'ai eu la chance d’avoir su dès mon plus jeune âge ce que je voulais faire : raconter des histoires, quelle que soit la forme. Après mon bac général, j’ai intégré les Arts décoratifs de Paris où j'ai étudié à la section image imprimée. J’ai aussi effectué un petit passage à Chicago, à la School of the Art Institute où j'ai étudié l'écriture, l'art-thérapie et la lithographie. Aujourd'hui, je suis étudiante à la Sorbonne en doctorat d’arts plastiques qui porte sur la pratique des arts plastiques dans le couloir de la mort aux Etats-Unis.

Ronaldo et elle

Sur le papier, Ronaldo et moi n’avons pas beaucoup de choses en commun. Je suis une jeune femme blanche, parisienne et étudiante en art. Lui, a été arrêté à 18 ans. Il est afro-américain et vit dans un des Etats où les traces de la ségrégation se font encore brutalement sentir. Malgré ces différences, nous avons plein de points communs : notre amour de l'écriture, du dessin. Mais aussi de la musique, et cela nous a beaucoup rapprochés.

De la correspondance au projet graphique

Le déclic a été l’une de mes premières visites à Renaldo. Étudiante aux Etats-Unis, j’en avais profité. J'ai eu la chance assez exceptionnelle de le voir trois jours d'affilés. Au terme de sessions de six heures, je sortais de la prison épuisée, mais avec une envie folle de tout écrire. Je me suis retrouvée avec une quinzaine de pages de notes. Je me suis dit qu’il y avait peut-être quelque chose à faire. J'en ai parlé à Renaldo qui était d'accord. C'est d'abord un livre qui a été publié chez Stock en 2020 : Le monde dans cinq mètres carrés, et deux ans plus tard, Perpendiculaire au soleil en BD.

Un intérêt ancien pour l’interdiction de la peine de mort

La peine de mort est abolie depuis 1981 en France. Mais depuis 2015, plus de la moitié de la population française est favorable à son rétablissement. C'est heureusement impossible grâce aux traités européens, de la remettre en place. Mais ce « plébiscite » est assez inquiétant.

Au moment des attentats, le sujet de la peine de mort est revenu dans le débat public de manière très brutale. C’est pour cela que j'ai eu envie de faire quelque chose sur ce sujet. La question de la prison qui m'intéresse aussi. Et là, on pourrait parler assez longuement de la France qui se fait épingler presque chaque année par la Commission européenne des droits de l'homme. Et auparavant, mon professeur de philo et la fréquentation par ma famille de Nan Aurousseau (écrivain et réalisateur qui a été emprisonné dans sa jeunesse) m’ont éveillée à l’injustice de la prison.

La BD et après ?

J'aimerais d’abord trouver un moyen de faire parvenir à Renaldo cette BD sur laquelle il a travaillé. Pour l’instant, il ne peut pas y avoir accès pour moult raisons. Il est censuré parce que c'est une couverture rigide, parce que c'est en français, et parce que les images dessinées ne passent pas… J’aimerais aussi que ce livre soit une base pédagogique de débats dans les écoles. Mais je n’attends plus grand-chose : cette BD est le beau bébé de notre amitié !"

Le label « Découverte jeune talent » France Inter

Perpendiculaire au soleil a reçu notre label Jeune Talent : une façon d’attirer le regard sur une jeune autrice à laquelle qui nous croyons. Ce partenariat sans contrepartie financière pose un coup de projecteur sur les artistes de BD de demain.

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