BD : "Sacrées Sorcières" de Roald Dahl adapté par Pénélope Bagieu
Par Anne Douhaire-KerdoncuffLa dessinatrice, dont le livre féministe "Les Culottées" arrive en série sur les écrans en mars, adapte le mythique livre jeunesse de l’Anglais Roald Dahl en bande dessinée. Et en fait un thriller jeunesse mis au goût du jour, vivant et haut en couleur.
C’est bien connu : les sorcières détestent les enfants. Et si elles pouvaient trouver un moyen de les réduire à néant… Elles le feraient sans hésiter. Il faut donc s’en protéger à tout prix. Le hic ? Elles sont habillées comme tout le monde. Comme elles sont chauves, elles dissimulent leur calvitie sous des perruques, et leurs orteils crochus dans des chaussures… Elles sont difficiles à identifier.
Sacrées sorcières a fait partie à sa sortie (1983 et 1984 en France) des livres qui ne prenaient pas les enfants pour des idiots… Et ne leur épargnait pas beaucoup de frousses : perdre ses parents dans un accident et être attaqué par une confrérie de sorcières, ce n’est pas rien !
Penelope Bagieu ( California Dreamin', Les Culottées…) s’empare du livre, et tout en le respectant, le met à sa sauce : la grand-mère du petit garçon, est la sienne, les sorcières, sur lesquelles ont apprend beaucoup, ressemblent aux femmes qu’elle dessine d’habitude, l’histoire se fait à la fois plus cruelle, et plus savoureuse…
Penélope Bagieu : "Il reste encore à faire des choses pour sortir la BD de ce club de garçons"
France Inter : Adapter Sacrées sorcières, c’était un rêve de petite fille ?
PENELOPE BAGIEU : "Non, parce que je ne m'étais jamais imaginé l’adapter un jour. En revanche, Sacrées sorcières, c'est vraiment un amour de petite fille parce que c'est mon premier vrai choc littéraire. C’était la première fois que j'ai adoré un livre, que je n'arrivais pas à le reposer tellement j'étais prise dans le suspense.
J’ai eu très peur en le lisant, ce que je ne pensais pas être possible.
L’adapter, c’est une vraie victoire d'enfant.
Vous n’étiez pas impressionnée de vous attaquer à un monument de la littérature enfantine ?
Cela fait vantarde de dire cela, mais non.
J’écris une histoire qui s’appuie sur le roman, mais qui est suffisamment différente pour que ce soit la mienne.
Quelle tonalité propre vouliez-vous donner ?
Je n'avais pas d'intention particulière mais je l’ai fait comme si je racontais l'histoire à quelqu'un qui ne l’avait jamais entendue. J'ai alors eu la liberté de la dessiner comme je voulais. Je me suis réappropriée le récit. Les personnages et l’époque ne sont pas les mêmes que dans le livre. Et puis, enfant, quand je lisais Sacrées sorcières, il y avait des choses que j'imaginais se passer différemment du récit, c'était l'occasion de changer et de les raconter à ma manière.
Quels sont les changements vous avez effectués ?
Le livre est sorti quand je suis né, il y a un petit moment, donc, le contexte a changé depuis. Les enfants ne sont plus vraiment les mêmes. Et puis j'ai aujourd’hui un regard différent sur les sorcières.
J’ai installé un nouveau personnage féminin. Quand j'étais enfant, ce n'était pas du tout un problème de m'identifier au héros qui est un garçon, parce que c'est quelque chose qu'on fait assez automatiquement quand on est une petite fille.
Mais je trouvais intéressant de pouvoir proposer une alternative aux lecteurs et lectrices, de leur dire : « Il y a ce héros qui est très bien, mais il y a aussi cette fille qui est super cool. Vous pouvez vous identifier à elle. »
Où est votre touche féministe ?
C'était important pour moi de remettre les pendules à l'heure sur ce qu’englobait le concept de sorcière. Pendant longtemps, on a quand même utilisé ce mot et ce mythe pour exprimer la misogynie.
J’ai fait un petit aparté historique dans le livre pour expliquer aux enfants qu'il y avait les sorcières de contes de fées qui sont des créatures maléfiques, qui n'existent pas dans la vraie vie.
Mais que pendant longtemps, le mot « sorcières » a servi à persécuter des femmes.
Ce personnage de grand-mère, c’est la vôtre ?
J'ai découvert le livre à huit ans alors que j'étais chez ma grand-mère. Sa présence a été très importante dans ma vie. Elle était parfois un peu à côté de la plaque, mais elle était aussi très rassurante. Alors qu'elle était minuscule, pour moi, elle était infaillible.
La grand-mère du livre partage quelques traits physiques avec la mienne. Normal, quand je le lisais enfant, j’étais persuadée que c’était ma grand-mère.
Cela a donc été très facile de la mettre en scène : elle m’est venue très simplement avec sa gestuelle, et sa façon de protéger son petit- fils.
Qu'est-ce qui était compliqué ?
Rien n’a été compliqué, mais c’était des défis de dessin : je ne suis pas forcément très habituée à dessiner de l'action, et il y en a pas mal. Et faire vivre des souris n’est pas la chose la plus facile en dessin. Il fallait qu'elles soient expressives et en même temps, qu'il n’y ait pas d’anthropomorphisme.
Cette contrainte m'a apporté plein de plaisir à dessiner.
Mes sorcières, elles, devaient être à la fois terrifiantes et un tout petit peu grotesques pour qu'on puisse ne pas avoir trop peur d'elles.
Mais globalement les scènes étaient tellement claires dans ma tête que c'était vraiment un plaisir de me demander comment les dessiner pour que ça soit aussi chouette que dans mon souvenir.
Vos sorcières sont, de fait, assez terrifiantes. Mais ce qui frappe, c'est que ce sont des femmes d'aujourd'hui…
Elles ressemblent à des femmes d'aujourd'hui. Sauf qu'elles sont des créatures magiques qui choisissent de prendre l'apparence d'une femme pour duper les enfants. J'avais envie qu'elles ressemblent à ce que ressemblerait une femme si on leur avait décrit ce qu'était une femme alors qu'elles n'en avaient jamais vues.
Donc, elles en font un peu trop. Elles ont des tenues que ne mettent plus vraiment les femmes d'aujourd'hui, leurs perruques ressemblent à des pâtisseries. Et leurs cheveux font penser aux drag queens.
A-t-il été difficile de parler aux enfants ?
J'ai un public un peu plus jeune que prévu avec Les culottées. Depuis la parution de ces albums, j'ai rencontré beaucoup d’enfants. Cela m’angoissait beaucoup de m’adresser à eux. Mais à force de les croiser je me suis dit que ce n’était pas la peine de chercher à écrire spécifiquement pour la jeunesse. Les jeunes lecteurs peuvent rigoler de choses qui me font rire. Et je me reposais sur une histoire tellement parfaite. C'était assez confortable, je n'avais pas à m’interroger sur la qualité de l'histoire.
Que pensez-vous de 2020 année de la BD ?
Je suis un peu circonspecte. Pour l’instant, je ne vois pas la lumière mise sur le vrai sujet : la précarité des auteurs.
Si cette année est l'occasion de trouver des solutions pour qu’auteur devienne un métier vivable, qu’il permettre aux auteurs d'en vivre et pas juste de survivre, je serais ravie. Mais j'ai l'impression que c'est beaucoup d'annonces et de communication.
Le féminisme, est l‘une de vos principales causes. Qu'est ce qui, d'après vous, reste à faire dans la bande dessinée ?
Continuer exactement comme ça, et ne pas faiblir ! Il y a eu beaucoup de victoires ces dernières années, notamment pour les festivals de bande dessinée, et les institutions qui se sont mises au goût du jour. Ils ont découvert qu'il y avait beaucoup de femmes dans la bande dessinée et beaucoup de lectrices.
Malgre ces belles avancées, j'observe que lorsqu'une femme est en sélection pour le Grand Prix ( Catherine Meurisse), on pense que c'est un acte politique. Et qu'on l'a mise là, histoire de mettre une femme.
Et on n'arrive toujours pas à accepter qu'elle soit juste une autrice de très grand talent.
Cela prend du temps de finir de venir à bout de cette vieille image de club de garçons de la BD."
Comment j’ai dessiné Sacrées sorcières, la leçon de dessin de Pénélope Bagieu
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Sacrées sorcières de Pénélope Bagieu, d’après Roald Dahl est paru chez Gallimard BD
A venir La série Les Culottées sur France 5 etc…
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