"Bébés volés" en Espagne : un ex-médecin reconnu coupable mais pas condamné

Publicité

"Bébés volés" en Espagne : un ex-médecin reconnu coupable mais pas condamné

 Ines Madrigal, employée des chemins de fer, a été la première à accuser un médecin d'avoir falsifié son acte de naissance pour la subtiliser à sa mère et la faire adopter par une autre famille.
Ines Madrigal, employée des chemins de fer, a été la première à accuser un médecin d'avoir falsifié son acte de naissance pour la subtiliser à sa mère et la faire adopter par une autre famille.
© AFP - DOMINIQUE FAGET

L'ex-gynécologue, premier à être jugé dans l'affaires des "bébés volés", est considéré comme acteur majeur du trafic d'enfants subtilisés à leurs parents biologiques pour être confiés à des familles adoptives proches du régime franquiste. Mais en raison de faits prescrits, le tribunal de Madrid l'a relaxé ce lundi.

La décision est symbolique, mais elle donne de l'espoir pour des milliers de familles déboutées. Ce lundi, le tribunal de Madrid a reconnu Eduardo Vela coupable de "tous les délits" dont il était accusé, le considérant comme l'un des principaux acteurs du trafic d'enfants de la clinique San Ramon de Madrid, sous la dictature de Franco.

L'ancien gynécologue de 85 ans échappe toutefois à une condamnation, en raison de la prescription des faits. Le parquet avait, lui, requis onze ans de prison à son encontre.

Publicité
Affaires sensibles
54 min

Comme Ines Madrigal, première enfant subtilisée à sa famille, des milliers de nouveaux-nés auraient été soustraits à leur mère pour être confiés à des familles d'adoption proche du régime, au motif que les mères biologiques, des opposantes au régime, étaient accusées de transmettre "le gène" du marxisme à leur progéniture. 

Ce premier procès des "bébés volés" a permis de reconnaître qu'Ines Madrigal, employée des chemins de fer de 49 ans, a été séparée de sa mère biologique. Eduardo Vela est reconnu coupable d'avoir falsifié son acte de naissance en juin 1969, pour la donner à Ines Perez, une femme stérile, avec la complicité d'un prêtre jésuite. Selon le tribunal, il est "prouvé" que le docteur Vela a "certifié de sa main" qu'Ines Perez avait accouché d'une petite fille ce jour-là, "ce qui n'a jamais eu lieu". Mais selon les juges, le délit le plus grave de "détention illégale", dont le délai de prescription est de 10 ans, était déjà prescrit quand Ines Madrigal a déposé sa plainte en 2012. 

Durant l'instruction, le médecin avait reconnu avoir signé "sans regarder" le dossier médical indiquant qu'il avait assisté à la naissance d'Ines Madrigal, mais il s'était rétracté durant le procès, affirmant ne pas reconnaître sa signature. L'un des témoins du procès, une journaliste française, Emilie Helmbacher, qui avait réalisé en 2013 un reportage pour la chaîne France 2 sur le sujet, avait raconté que le Dr Vela, filmé en caméra cachée, lui avait laissé entendre qu'il avait confié le nouveau-né à Inès Perez et précisé qu'elle "n'avait pas payé"

Aucune des 2 000 plaintes n'a abouti

Dénoncé depuis longtemps par la presse et des associations de victimes, l'octogénaire a été le premier à s'asseoir sur le banc des accusés pour ce trafic qui pourrait avoir concerné des milliers d'enfants depuis la dictature de Franco (1939-1975).  Le phénomène aurait donc touché beaucoup plus de familles qu'en Argentine, où quelque 500 nouveaux-nés ont été arrachés à des détenues pendant la dictature militaire (1976-1983) et confiés en adoption à des familles soutenant le régime.                     

Nés pendant la répression qui a suivi la guerre civile (1936-1939), ces enfants espagnols étaient souvent retirés à leurs parents après l'accouchement. Souvent avec la complicité de l'Église catholique, les nouveaux-nés étaient déclarés morts sans qu'on leur en fournisse la preuve, et adoptés par des couples stériles, de préférence proches du régime "national-catholique"

Le trafic a touché à partir des années 1950 des enfants nés hors mariage ou dans des familles pauvres ou très nombreuses. Il a ensuite perduré sous la démocratie, au moins jusqu'en 1987, cette fois uniquement pour des raisons financières. Malgré l'ampleur du scandale, aucune des plus de 2 000 plaintes déposées selon les associations n'a abouti, souvent en raison de la prescription des faits.