Biélorussie : "Les policiers étaient complètement fous, rouges, transpirant, les yeux grands ouverts"

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Biélorussie : "Les policiers étaient complètement fous, rouges, transpirant, les yeux grands ouverts"

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Des soldats montent la garde devant la Maison du Gouvernement, située sur la Place de l'Indépendance. Ils font face à une foule d'opposition venue en masse réclamer le départ du président Loukachenko
Des soldats montent la garde devant la Maison du Gouvernement, située sur la Place de l'Indépendance. Ils font face à une foule d'opposition venue en masse réclamer le départ du président Loukachenko
- Paul DZA

TÉMOIGNAGE - Paul Dza, jeune photographe passionné par les pays de l’Est s’est rendu en Biélorussie pour couvrir la présidentielle d’août. Il s’est retrouvé au milieu des manifestants qui demandaient le départ de Loukachenko. Sans accréditation, il a couvert les violentes émeutes et raconte la peur permanente.

Début août, Paul Dza, jeune photographe français arrive à Minsk, ville qu’il connait bien, pour couvrir la présidentielle. Le 9 août, Alexandre Loukachenko annonce sa victoire. Les résultats sont immédiatement contestés par l’opposition et le peuple biélorusse se soulève contre celui qui dirige le pays depuis 26 ans. Le pays vit une série de manifestations historiques et de répressions sanglantes. Paul Dza photographie ces jours qui ont changé la Biélorussie et nous raconte la difficulté de faire son métier dans un contexte de peur et de rumeurs permanentes.

L’impression que rien n’est vrai

"Ce qui m’a le plus marqué, c’est quand internet a été coupé". Sur les téléphones, sur les ordinateurs, plus moyen d’accéder au web pendant plusieurs jours. Le régime ferme l’accès au reste du monde. Sans information, sans confirmation, sans possibilité de transmettre, les Biélorusses sont enfermés dans leur propre pays et ne peuvent plus savoir ce qui se passe vraiment. "Parfois, en me réveillant, je me demandais si c’était vrai. C’est une sensation très étrange", confie Paul Dza :

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C’était le chaos complet. Officiellement tout était calme alors que le pays traversait la plus grande crise de son existence

Le régime fait croire ce qu’il veut à sa population car il contrôle les médias officiels, seuls autorisés à diffuser pendant la coupure. Alors que les manifestations se multiplient, ils titrent sur la visite du président auprès des agriculteurs ou la croissance de la Biélorussie. "Si on vit dans les quartiers où se déroulent les manifestations, on le sait, mais sinon, on peut vivre comme si rien ne se passait. En plus, les services de l’État passent la nuit pour réparer tout ce qui a été cassé et tout nettoyer".

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La coupure d’internet rend le travail de Paul et des autres journalistes très difficile car ils ne savent pas où se rendre pour couvrir les événements :

Sans internet, c’est le flou absolu. Aucune information ne circule, on ne peut pas s'organiser alors qu’il se passe des événements gigantesques. On ne peut pas communiquer entre nous, alors beaucoup se jettent dans la gueule du loup"

Violences aveugles et déchaînées

Et la gueule du loup est armée et n'attend que l'affrontement. Paul Dza décrit les forces de l’ordre comme "des fous de violences". "J’en ai couvert des manifestations, avec des militaires, des forces de polices, mais là, ils ne cherchaient pas à maintenir l’ordre. Ils avaient des cartes, des jumelles et chercher à positionner au mieux les blindés". La police tourne dans la ville, partout, à l’affût.

Le photographe parle "d’effet tunnel". Un jour, raconte-t-il, "comme je n’avais pas internet, je me suis trompé de rue. Je suis tombé sur une rue où il y avait 500-600 policiers qui chargeait un groupe de personnes qui repartait de la manifestation". Les forces de l’ordre étaient tellement obnubilées par ce groupe qu’elles ne voient pas Paul : "Les policiers étaient complètement fous, tout rouge, transpirant, les yeux grands ouverts. Ils ont chargé et ont tout cassé sur leur passage : les pare-brise des voitures, les rétroviseurs, tout". Le photographe cache son appareil photo et arrive à s’enfuir. Après cinq minutes de marche, il se pense sorti d’affaire :

Le chauffeur d’un des camions de police m’a vu arriver. Il est sorti, a mis sa cagoule, pris sa matraque et m'a couru après. La course-poursuite a duré 10 minutes. Qu’est-ce qui justifie de poursuivre quelqu’un aussi longtemps, alors qu’il est seul ? Il y avait une envie de se déchaîner sur tout ce qui bougeait. C’est pour cela que je parle de folie"

Par chance, Paul Dza a réussi à échapper de justesse à l’arrestation. Mais des dizaines d’autres journalistes sont arrêtés alors qu’ils couvrent les événements et certains ont été jetés en prison et torturés. Les policiers font des descentes dans les hôtels pour interpeller les reporters et arrêtent en masse les jours précédents les manifestations. Certains journalistes étrangers sont expulsés avec une interdiction de revenir dans le pays entre 5 à 10 ans. Paul Dza réussit à quitter le pays... et espère très vite y retourner. Depuis qu'il est rentré en France, les manifestations se poursuivent à Minsk mais elles semblent moins violentes. Sous la pression internationale et les images choquantes diffusées sur les télés du monde entier, le régime a changé de tactique. C'est désormais l'armée, et non la police, qui encadre les rassemblements et qui, semble-t-il, poursuit la répression façon moins arbitraire. 

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