Bracelet anti-rapprochement : comprendre le dispositif en 5 questions
Par Joséphine de RubercyLe tribunal d'Angoulême a prononcé jeudi, pour la première fois en Charente, une obligation de porter un bracelet anti-rapprochement. Censés protéger les victimes de violences conjugales en maintenant à distance leur (ex)conjoint violent, ils concernent 5 juridictions françaises. Mais comment le dispositif fonctionne ?
Chaque jour, des milliers de femmes subissent des violences conjugales en France. Et parfois, elles y laissent la vie : 146 féminicides ont été comptabilisés par l'AFP en 2019, le collectif Féminicides par compagnons ou ex lui, en relève 152. En 2020, il les estime, pour le moment, à 66.
Pour lutter contre ces violences, le gouvernement propose d'équiper les conjoints ou ex-conjoints de bracelets anti-rapprochement (BAR). Adopté définitivement par le Parlement le 18 décembre 2019, ce dispositif a été officiellement mis en place le vendredi 25 septembre d'abord dans 5 juridictions puis sur l'ensemble du territoire français.
"Il s’agit d’un dispositif de contrôle télématique garantissant une protection très efficace de la victime", explique Isabelle Rome, haute fonctionnaire à l'égalité femmes-homme. Alors, vraiment efficace ? On ne le saura que lorsque le BAR aura été testé. En attendant, 5 questions pour comprendre ce dispositif.
À quoi ressemble-t-il et comment fonctionne-t-il ?
Le bracelet anti-rapprochement est porté par l'auteur des violences. placé à sa cheville, le dispositif fonctionne à l’aide d’une technologie GPS qui permet de le géolocaliser. "Une communication est établie entre le système d’information et chacun des appareils déployés, via le réseau privé et sécurisé interne à la justice. Il n’y a pas d’accès à Internet" ajoute-t-elle.
La victime est équipée d'un boîtier, qu'elle devra toujours garder sur elle, et qui lui permet d'être également géolocalisée. Autour d'elle, un périmètre est décidé par le juge pour maintenir à distance l'auteur des violences. Dès qu'il franchit ce périmètre, ou qu'il se rend au domicile ou sur le lieu de travail de la victime, il reçoit une alerte lui demandant de s’éloigner. Si l’(ex)conjoint ignore ce premier signal, en restant dans la zone interdite, un centre de contrôle du dispositif est immédiatement prévenu. C'est lui qui joindra ensuite les forces de l'ordre.
Chaque appareil est doté d’une batterie, dont l'autonomie est de 48h et que l’auteur est tenu de charger. "À défaut, il se met en infraction" assure la haute fonctionnaire à l'égalité femmes-hommes. "Ce dernier point fait l’objet d’une disposition prévue dans un décret, dont l’examen est en cours au Conseil d’Etat et dont la publication interviendra avant le lancement du dispositif, en septembre 2020".
La couverture GSM du dispositif est assurée par différents opérateurs. Mais que se passe-t-il dans une zone blanche, ou qui n'a que très peu de réseau ? "Par la configuration de son système, l’appareil cherchera toujours à se connecter à l’opérateur qui couvre mieux la zone où se trouve la victime que ce soit en 2G, 3G ou 4G. Outre-mer, l’ensemble des opérateurs sont également compatibles avec ce dispositif" garantit Madame Rome.
Dans quels cas peut-il être attribué ?
Il pourra être délivré "chaque fois que le magistrat estimera que la victime se trouve dans une situation de danger qui nécessite une telle protection" expose-t-elle. Il s'agit de situations dans lesquelles d'autres mesures, comme l'ordonnance de protection ou le 'téléphone grand danger', ne suffiront pas. Il ne peut pas être administré à quelqu'un qui est condamné à la prison, où la mise à l'écart de l'auteur des violences est totale.
"Le BAR est une peine, et on ne peut pas avoir une peine sans condamnation", rappelle Emmanuelle Rivier, avocate spécialisée dans les violences conjugales. Le BAR pourra donc être administré _"dans le cadre d'une procédure pénale, si le compagnon ou ex-compagnon est condamné_". Avant le jugement, _"un contrôle judiciaire peut être assorti d'un BAR pour appuyer une demande d'éloignement"_ complète-t-elle, notamment si le mis en cause est considéré comme très violent, et qu'il y a des risques de récidives.
Le bracelet pourra aussi être délivré dans le cadre d'une procédure civile. "Le juge des affaires familiales pourra le proposer s'il a prononcé une ordonnance de protection" signale l'avocate. Mais dans ce cas-là, il faudra demander son accord à l'auteur des violences.
Pourquoi faudra-t-il demander l'accord à la personne violente lorsqu'elle n'est pas condamnée et que se passera-t-il si elle refuse ?
Lorsqu'elle est équipée du bracelet anti-rapprochement, la personne violente est placée "sous le coup d’une mesure de contrainte et de surveillance" explique Isabelle Rome, haute fonctionnaire à l'égalité femmes-hommes. Or, au stade de l’ordonnance de protection, on est encore au civil, ce n'est pas "une condamnation pénale restrictive des libertés" comme l'est la prison ou le bracelet, assure-t-elle. "C_ela implique donc le respect de certaines_ exigences constitutionnelles". Ces exigences, Emmanuelle Rivier les appréhende aussi : "À ce stade, il y a la présomption d’innocence et surtout, le respect de la liberté individuelle".
Si le mis en cause refuse, le juge aux affaires familiales en informera néanmoins le procureur "qui pourra, le cas échéant, déclencher une enquête pénale" spécifie Isabelle Rome. Dans ce nouveau cadre, il pourra imposer un bracelet à l'auteur des violences s'il l'estime nécessaire.
Combien seront opérationnels en septembre et dans quels départements ?
Les premiers bracelets anti-rapprochement sont opérationnels depuis le 24 septembre, selon un décret paru ce jeudi au Journal officiel. "Il sera techniquement possible de gérer 1 000 dispositifs" indique Isabelle Rome. "Le nombre de bracelets délivrés dépendra, en revanche, des décisions rendues par les juges et des situations de violences conjugales qu’ils auront à examiner dans ce cadre". Depuis la rentrée, cinq premiers sites peuvent utiliser cet appareil : les juridictions d’Angoulême, Bobigny, Douai, Pontoise et Aix-en-Provence.
C'est le tribunal d'Angoulême qui a prononcé jeudi, pour la première fois en Charente, une obligation de porter un bracelet anti-rapprochement. L'homme condamné ne pourra ainsi pas s'approcher à moins de 3km de son ex-compagne qui vit dans l'agglomération d'Angoulême. La juridiction charentaise dispose pour le moment de trois bracelets anti-rapprochement.
En novembre 2020, "ce sera au tour d’un site par ressort de cour d’appel de pouvoir le faire (excepté sur certains territoires ultra-marins nécessitant des tests complémentaires)" ajoute la haute fonctionnaire. Au 31 décembre 2020, la totalité des juridictions en seront munies d'après le ministère de la Justice.
Et ailleurs en Europe ?
Le bracelet anti-rapprochement est déjà utilisé à l'étranger. En Espagne notamment, le dispositif fait ses preuves depuis douze ans : aucune femme porteuse d’une balise n’a été tuée par son ex-compagnon depuis sa mise en place en 2008. Là-bas, les auteurs de violences portant un bracelet de ce type est estimé à 1 150. Un peu plus d'un million de plaintes pour violences conjugales ont été enregistrées dans le pays entre 2009 et 2017. Et le nombre de femmes assassinées est passé de 76 en 2008 à 47 en 2018. Rappelons qu'en France, on est encore à près de 150 féminicides. Le principe de ce bracelet a été inscrit dans la loi dès 2010 sous forme d'expérimentation, mais jamais réellement appliqué.
La question est : le BAR sera-t-il aussi efficace en France ? "Tout permet de le penser", affirme la haute fonctionnaire à l'égalité femmes-hommes. "L’objectif intangible est de faire chuter ce chiffre macabre des homicides conjugaux, à l’instar de nos voisins ibériques" ajoute-t-elle.
Mais ces voisins ibériques eux, avaient déboursé 15 millions d'euros pour lancer le dispositif. L'année dernière, ce sont 7 millions d'euros qui lui étaient consacré dans le budget du gouvernement. En France, Marlène Schiappa avait évoqué le budget prévu pour la mise en place du bracelet en octobre dernier : 5,6 millions d’euros au départ, puis 1,8 million, chaque année.