Dans cette échappée poétique signée Mathieu Bauer, la musique protéiforme de Sylvain Cartigny et le verbe éclairé de Stéphane Goudet célèbrent l’inventivité de Buster Keaton.
Parmi tous les burlesques géniaux de l’âge d’or des années 1920 (Charlie Chaplin, Fatty, Harold Lloyd, Harry Langdon, Laurel et Hardy), Buster Keaton a sans doute le style cinématographique le plus reconnaissable. Il aime les grands espaces et les plans d’ensemble, pour y perdre son héros, le contraindre à s’affirmer contre les éléments.
Ni ciné-concert classique, ni conférence didactique, ce spectacle Buster au Nouveau Théâtre de Montreuil ouvre des fenêtres inattendues sur l’œuvre d’un cinéaste aussi populaire que génial, en nous transportant au-delà du grand écran. Le chef-d’œuvre muet La Croisière du Navigator, romance en haute mer à la fois hilarante et sentimentale, est passé au crible du regard passionné de Stéphane Goudet, historien du cinéma et directeur du cinéma Le Méliès voisin.
Je suis depuis toujours émerveillé par cette figure de l’homme que l’on a surnommé «l’homme qui ne rit jamais», «la figure de cire» ou encore «le visage de marbre»: Buster Keaton. Ses films ont toujours suscité en moi à la fois un plaisir enfantin de spectateur et l’admiration face à l’immense cinéaste et artiste qu’il était. Beaucoup sont entrés au panthéon de ma cinéphilie et restent des références dans mon imaginaire d’artiste.
Mathieu Bauer
Dans La Croisière du Navigator, l’immensité du bateau préfigure l’infini des océans, qui menace d’absorber les personnages. Le privilège qu’accorde Keaton aux plans larges a pour corollaires un travail magnifique sur la profondeur de champ et une rigueur exemplaire dans la composition des images. Rigueur qui fait de lui, selon l’écrivain Petr Kral, la figure même du cinéaste géomètre.
Aux séquences parfois arrêtées, ralenties ou diffractées, répondent les ambiances sonores, les crescendos dramatiques et les envolées étourdissantes d’une partition inspirée par les musiques improvisées. Mathieu Bauer officie aux percussions et à la trompette, Sylvain Cartigny à la guitare et aux claviers, et Lawrence Williams au saxophone et au chant. Le fildefériste Arthur Sidoroff, lui, arpente l’espace entre l’écran et la salle, en ombre du cascadeur défiant la gravité.
L’écran et la scène fusionnent : on contemple la musique, on entend le film. On comprend ainsi pourquoi les films du maître du muet gardent leur fraîcheur presque cent ans plus tard. Ils racontent l’histoire éternelle de l’humain, être vulnérable qui s’efforce de s’adapter à son environnement pour trouver sa place dans le monde.
Distribution
- adaptation, mise en scène et montage Mathieu Bauer
- d’après le film La Croisière du Navigator de Donald Crisp et Buster Keaton
- collaboration artistique, composition Sylvain Cartigny
- dramaturgie Thomas Pondevie
- texte Stéphane Goudet
- création lumières Alain Larue
- création son Dominique Bataille, Alexis Pawlak
- création costumes Nathalie Saulnier
- régie générale et vidéo Florent Fouquet
- assistanat à la mise en scène Anne Soisson
- avec Mathieu Bauer, Sylvain Cartigny, Lawrence Williams musiciens Stéphane Goudet conférencier Arthur Sidoroff circassien