Cafés coworking : passer sa journée au bistro, c'est aussi parfois pour travailler
Par Julien BaldacchinoIls s'appellent Le Nuage, Anticafé ou 10h10. Ces nouveaux lieux sont des cafés comme les autres, à un détail près : vous ne payez pas à la consommation, mais au temps passé. Des lieux prisés par les étudiants et les jeunes travailleurs.
Le matin, les allées du Cnit, l'un des deux centres commerciaux de La Défense à Paris, sont désertes. Alors que les quelques restaurants du lieu se préparent aux sorties des bureaux à midi, au sous-sol, quelques tables de l'Anticafé sont déjà occupées. Sur l'une d'elles, adossée à un mur végétalisé et éclairée par une lumière "cosy", Marie et son amie ont troqué la tasse de café et les croissants pour des cahiers et des ordinateurs portables. "Nous sommes venues travailler sur un projet commun. Ici, c'est à mi-chemin entre nos deux lieux d'habitation", explique Marie.
Dans ce café, elles ne paieront pas le nombre de boissons qu'elles ont consommé, mais le temps passé à table. Cinq euros par heure au tarif normal, plafonné à 24 euros pour une journée complète. "On a un lieu calme où travailler, et en même temps on peut consommer et grignoter des petites choses", se réjouit Marie, qui travaillait sur ce projet commun de chez elle jusqu'à présent.
"La clientèle d'un Anticafé, c'est environ 10% de touristes, 30% d'étudiants, et 60% de gens qui viennent créer quelque chose, du travailleur freelance à l'artiste qui vient dessiner", explique Anne-Laure Faou, directrice de la communication et du marketing de cette enseigne, la plus grosse franchise du genre, avec 13 lieux, à Paris et ailleurs.
Pas de bureau fixe, mais un prix cassé
Parmi ces créateurs, Stéphane, 25 ans, programme des applications mobiles et des sites web. Assis confortablement à une table d'un des cafés de l'enseigne, il vient ici tous les jours depuis un an et demi. "Quand j'ai commencé mon premier stage, pour ne pas rester travailler chez mes parents, je me suis installé dans un Anticafé". Il n'est pas travailleur indépendant, mais est salarié d'"une petite structure qui n'a pas de locaux, où chacun peut travailler d'où il veut".
Pour pouvoir venir tous les jours, il faut compter quelques centaines d'euros par mois. Chez Anticafé par exemple, le forfait mensuel s'élève à 240€. "C'est le prix du coworking le moins cher de Paris", se réjouit Jérémy Navon, co-fondateur de l'entreprise Pitch My Startup, installé dans l'une des alcôves d'un autre café de la franchise. "Sauf qu'ici, le lieu est chaleureux et les boissons et le café sont à volonté". En revanche contrairement à un espace de "coworking" classique, pas de place attribuée, même s'il n'est jamais compliqué de trouver un petit espace où travailler.
Esprit start-up
Un modèle qui rappelle ses débuts à Jérémy Navon, mais sans les inconvénients : "On bossait dans des cafés, comme beaucoup d'entrepreneurs, mais le problème de la majeure partie des cafés parisiens, c'est que vous arrivez le matin, vous prenez un premier café, un deuxième, puis arrive l'heure du déjeuner. Et là, soit vous commandez à déjeuner, soit vous partez. En général, on partait".
Avec son associé Gabriel, c'est dans le café installé récemment en bordure de l'incubateur de startups géant Station F, dans le XIIIe arrondissement de Paris, qu'ils travaillent désormais et reçoivent leurs contacts.
Cela nous permet d'être proches de l'écosystème des startups
Ces jeunes entrepreneurs qui ont un besoin accru de mobilité et de contact, c'est l'une des clientèles-clés de ce nouveau type de cafés. D'où l'ouverture d'un Anticafé à Station F, "où nous sommes le sas public entre l'extérieur et l'intérieur où il est plus compliqué d'entrer, les gens font les réunions chez nous", explique Anne-Laure Faou.
Gros comptes
Mais quelle rentabilité pour un lieu qui propose une facturation au temps, avec un service à volonté ? Comme dans beaucoup de commerces à volonté, l'enseigne parie sur la rationalité de ses clients. Selon Anne-Laure Faou, "les gens sont respectueux du concept, de façon générale peu de clients prennent cinq cafés et dix tartines dans l'heure".
Une autre clé pour le développement de ce modèle économique, c'est de séduire des gros comptes. La chaîne lorgne de plus en plus sur le monde des entreprises, et plus seulement des petites structures et des startups. Le nouveau lieu, implanté en plein cœur de la Défense, dispose d'une immense salle privatisable "pour des sociétés qui souhaitent y organiser des séminaires ou des réunions de travail".
L'une des premières entreprises à avoir signé un partenariat d'envergure avec les Anticafé, c'est l'agence de communication Humanseven, basée près de la Défense. "L'ensemble de nos collaborateurs, et nos clients aussi, ont une carte avec des heures qu'ils peuvent consommer dans les Anticafés", explique la présidente de l'agence, Elisabeth Billiemaz, qui a signé le partenariat il y a un an. "L'idée, c'est qu'ils puissent aller y travailler à plusieurs sur un projet pendant un ou plusieurs jours, ou qu'ils puissent faire des réunions avec les clients dans Paris", ajoute-t-elle, expliquant que ce modèle repose essentiellement, là encore, sur la confiance faite aux salariés.
Avec ce modèle économique particulier adressé autant aux petits travailleurs qui y voient une aubaine économique qu'aux grandes entreprises, les cafés-coworking se développent à une vitesse exponentielle. "On a ouvert autant de cafés en six mois qu'en quatre ans auparavant", se félicite Anne-Laure Faou qui vise désormais les capitales européennes. Et à Paris, hors de cette franchise, une dizaine de lieux similaires existent... sans compter une nouvelle concurrence : des institutions, comme l'assureur Maif, ont ouvert des espaces de travail certes sans café ni croissants, mais totalement gratuits d'accès.