Canada : l'absence ou le retrait de préservatif sans consentement désormais considéré comme un crime
Par Adrien Toffolet
Un homme, accusé de ne pas avoir mis de préservatif lors d'un rapport avec une femme, brisant ainsi son consentement et acquitté sera finalement rejugé suite à une décision de la Cour suprême du Canada. La haute juridiction estime que cela doit désormais être considéré comme une agression sexuelle.
La décision de la Cour suprême du Canada est importante pour le traitement des affaires de violences sexuelles : elle apporte une clarification de ce qu'est le consentement. La haute juridiction avait été sollicitée par un homme accusé d'agression sexuelle par une femme, mais acquitté en première instance. Ce dernier a saisi la Cour après que la Cour d'appel de Colombie-Britannique ait demandé la tenue d'un nouveau procès.
Elle a donc statué dans une décision rendue le 29 juillet sur le fait suivant : le non port ou le retrait d'un préservatif lors d'un rapport sexuel entre deux personnes, alors que son utilisation était convenue comme condition indispensable au rapport, peut-il être considéré d'un point de vue juridique comme une violation du consentement et donc une agression sexuelle ?
La décision rendue fin juillet est désormais considérée comme une jurisprudence majeure par les associations de défense des femmes car elle offre enfin une protection contre la pratique, de plus en plus répandue chez certains hommes, du retrait surprise du préservatif sans l'accord de leur partenaire.
Préservatif au premier rapport mais pas au second
Les faits, détaillés dans la décision publiée en ligne, remontent à mars 2017 en Colombie-Britannique. La plaignante rencontre sur Internet un homme, Ross McKenzie Kirkpatrick, et convient d'une rencontre. Lors d'un rendez-vous les deux font connaissance, parlent d'eux et de leurs pratiques sexuelles : "La plaignante a clairement fait savoir à M. Kirkpatrick qu’elle ne donnerait son accord à des relations sexuelles que s’ils utilisaient des condoms [préservatifs en anglais - Ndlr]. (...) Elle a « mentionné qu’elle n’avait des relations sexuelles que si elle utilisait des condoms. C’est la seule approche qui lui semblait la plus sûre pour tout le monde ». Pendant cette conversation, l’appelant a convenu que le port du condom était l’approche la plus sûre pour tout le monde."
Mais l'accusé n'a tenu qu'à moitié parole. Quelques jours plus tard, ils ont un premier rapport sexuel lors duquel la plaignante "lui a demandé s’il avait des condoms et a précisé que, s’il n’en avait pas, elle en avait apporté", ce qui donne à nouveau une idée précise du caractère non négociable du port d'un préservatif. L'homme s'est alors exécuté : "La plaignante a vu M. Kirkpatrick se tourner vers la droite et prendre un condom de sa table de chevet." Suite au rapport, la jeune femme, après l'avoir demandé à l'homme, a pu constater qu'un préservatif avait bien été utilisé.
Dans la même nuit, le couple a un second rapport. Dans le noir, la plaignante "l’a vu se tourner vers sa table de chevet — la même dont il avait précédemment tiré un condom. Elle a cru qu’il mettait un condom." Ce n'est qu'au moment de l'éjaculation de son partenaire qu'elle découvre "sous le choc et paniquée" qu'en réalité il n'en avait pas mis. Le lendemain, lors d'échanges par SMS, l'accusé a justifié avoir été "trop excité" pour mettre un préservatif et trouver "très drôle" le fait qu'elle puisse considérer ce qui s'était passé comme une agression sexuelle.
Préservatif ou non, y'avait-il consentement ?
Y a-t-il ainsi eu "fraude ayant vicié le consentement" de la part de Ross McKenzie Kirkpatrick, s'interroge la justice de Colombie-Britannique en première instance. Pour cela, il doit y avoir "preuve de malhonnêteté de la part de l’accusé", peut-on lire dans la décision de justice. Le juge, au vu de la loi et des arrêts déjà rendus par la justice, considère alors que cette preuve n'existait pas car la plaignante avait consenti à l'acte sexuel, peu importe qu'il ait finalement porté un préservatif ou non, et que "M. Kirkpatrick n’avait rien fait pour tenter de tromper la plaignante et l’amener à croire qu’il avait porté un condom". L'homme est acquitté.
En appel, les juges infirment la décision, annulent l'acquittement pour que le procès soit renvoyé. Mais les magistrats ont été loin de se mettre d'accord sur l'interprétation des textes concernant ce qui pouvait être considéré comme une activité sexuelle consentie et ce qui pouvait être considéré comme une tromperie. D'où l'intérêt d'en appeler à la Cour suprême du Canada. La décision de la plus haute juridiction, sollicitée par l'accusée, ne fera finalement pas ses affaires.
Clarification majeure sur le consentement
Du point de vue des textes, pour résumer la longue analyse de la loi canadienne, la juge Sheilah L. Martin estime que "le refus ou le retrait non consensuel du condom est une forme de violence" et qu'exclure l'usage du préservatif de la définition d'un acte sexuel consenti "laisserait une lacune évitable et indésirable dans le droit en matière d’agression sexuelle".
De façon plus précise, la juge Martin ajoute : "Puisque seul oui veut dire oui et que non veut dire non, « non, pas sans condom » ne peut vouloir dire « oui, sans condom ». Si le partenaire de la personne plaignante fait fi de sa condition, le rapport sexuel est non consensuel et l’autonomie sexuelle de la personne plaignante ainsi que sa capacité d’agir en toute égalité sur le plan sexuel ont été violées."
Or dans l'affaire jugée, "le témoignage de la plaignante en l’espèce était clair : elle ne consentait pas à des relations sexuelles avec [l'homme] sans condom, mais [l'homme] a néanmoins choisi de se livrer à des rapports sexuels sans en porter un. Par conséquent, il existait certains éléments de preuve démontrant que la plaignante n’avait pas subjectivement consenti à l’activité sexuelle." Ceci exposé, la magistrate n'a pas jugé utile de se prononcer sur la fraude.
La juge a donc confirmé l’ordonnance de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique. Un nouveau procès doit se tenir, avec cette clarification majeure sur ce qu'est le consentement : l'absence - ou le retrait pendant l'acte - de préservatif, sans le consentement des parties, peut désormais être considéré comme une agression sexuelle.