Canicules, pluies diluviennes, sécheresses : pourquoi sommes-nous très mal partis ?
Cet hiver, les nappes phréatiques ne se sont pas reconstituées et pour la première fois en France, nous abordons en manque d'eau les saisons les plus chaudes. Pourquoi ce phénomène ? Est-ce amené à durer ? Que faire pour lutter contre la sècheresse ?
Emma Haziza est hydrologue. Cette spécialiste de l'adaptation au changement climatique et présidente fondatrice du centre de recherche Mayane était l’invitée de l’émission "La Terre au carré". Au micro de Mathieu Vidard et Camille Crosnier, elle s’est montrée alarmiste. Alors que le rapport du GIEC pointe l’urgence de prise de mesures, la spécialiste des questions de l’eau pointe l’importance de remettre cette ressource naturelle au cœur de nos politiques.
Une sécheresse… hivernale
Interrogée par Mathieu Vidard sur la particularité de l’épisode de sécheresse que nous traversons, l’hydrologue Emma Haziza explique : "Habituellement, nous démarrons le printemps avec un excédent d'eau. Nous avions de l’eau en « réserve » pour nous confronter aux températures supérieures, et aux vents secs du printemps. Malgré cela, des canicules nous faisaient plonger dans des états de sécheresse intenses rapidement.
Cette année, durant les mois de janvier et février, les mois qui permettent cette « recharge hivernale », il n'y a quasiment pas eu une goutte de pluie sur notre métropole. On démarre le printemps complètement déficitaires".
Un épisode jamais vu ça auparavant
L’hydrologue alerte : "On est vraiment dans une situation nouvelle. Il y a toujours eu une variabilité. Mais là, on est sur une tendance qui se confirme depuis 2017 et qui ne fait que s'accentuer : le résultat est toujours le manque d'eau et ses répercussions. Nous découvrons le problème, puisqu'en France, nous vivons dans un pays tempéré.
Cette sécheresse régulière révèle nos erreurs de gestion des territoires. Avec l'agriculture ou l'urbanisation, nous avons posé des jalons qui accentuent notre vulnérabilité au manque d'eau".
Dès 2001, le GIEC prévenait
Emma Haziza rappelle qu' "un rapport du GIEC de 2001 annonçait une accélération des sécheresses sur le pourtour méditerranéen" et observe : "Aujourd’hui, on constate une accentuation d’alternance de précipitations diluviennes, et de périodes avec anomalie de pluviométrie de longue durée comme en Provence, et dans la zone qui va jusqu'à Nice. Deux autres zones sont particulièrement touchées : le Grand-Ouest et les Charentes".
La faute, entre autres, à "l’effet de continentalité"
On a oublié l'effet de continentalité. Emma Haziza explique : "Les pluies qui arrivent de l'Atlantique permettent des pluies sur la Bretagne. Cette pluviométrie à Brest permet d'avoir le taux d'humidité nécessaire pour, avec les vents continentaux, donner des pluies à Strasbourg.
Mais les situations anticycloniques récurrentes changent le sens des vents : au lieu d'amener l'humidité de l'Atlantique en direction des terres, on perd notre humidité [qui repart au large]. Et si on n'a pas de réserves avec des masses humides dans les sols, cette boucle de rétroaction du cycle de l'eau ne se fait plus et c'est pour cela que le grand Est est particulièrement touché".
Les bassines ne sont pas la solution
Interrogée par Camille Crosnier sur l’idée de faire des réserves d’eau, l’hydrologue répond : "C'est le grand fantasme de l'homme de récupérer le surplus d'eau pour le redonner là où il n'y en a pas assez.
Mais mécaniquement, c'est plus compliqué. Les nappes sont déjà à sec. Si vous enlevez l'eau souterraine directement connectée aux rivières, elles vont être à sec deux fois plus rapidement, donc vous plongez deux fois plus vite dans un état de sécheresse !"
L’eau, premier gaz à effet de serre
"42°C à Paris en 2019 et 46°C dans le Gard nous ont fait basculer dans cet état de sécheresse extrême…" poursuit Emma Haziza. Elle ajoute : "La canicule et les dômes de chaleur sont liés à cette question de la sécheresse, et entraînent des risques d'inondation, puisque l'eau s'évapore massivement. Comme la vapeur est le premier gaz à effet de serre sur la planète. Elle va réchauffer l'atmosphère… C'est un cercle vicieux".
Restriction d'eau, résilience alimentaire et prise de conscience
Comment lutter contre les sècheresses ? Selon l’hydrologue :
"Nous devons d’abord cesser le déni sur la question de l’eau. On est face à un mur.
Devant l’urgence, nous devons repenser notre mode de fonctionnement, revoir complètement nos pratiques agricoles… Pour cela, nous devons remettre de la matière organique dans les sols, dépolluer les eaux souterraines… Individuellement, nous pouvons penser à réduire notre consommation, et à la récupération des eaux de pluie.
Nous devons également viser la résilience alimentaire. Pour nous nourrir, nous usons à peu près 3000 litres d'eau par jour ! Pour nous habiller aussi nous en usons beaucoup. Il faut avoir en tête tant que le problème de l’eau ne sera pas mis au cœur de nos réorganisations, nous ne pourrons pas réduire le réchauffement climatique".
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