Cannabis, tabac, écrans... Les addictions en "nette augmentation" pendant la crise sanitaire
Par Léa Guedj
L'association Addictions France alerte sur la hausse des consommations de tabac, de cannabis, de psychotropes, et du temps passé devant les écrans depuis le début de l'épidémie, en particulier chez les publics les plus fragilisés, comme ceux qui avaient déjà des addictions et les plus précaires.
Une étude BVA-Addictions France, publiée ce jeudi, révèle que plus d’un consommateur sur trois a nettement augmenté sa consommation de tabac, cannabis et/ou médicaments psychotropes pendant la première année de crise sanitaire. L'enquête a été réalisée par Internet du 15 au 24 février 2021 sur un échantillon national représentatif de la population âgée de 15 ans ou plus résidant en France métropolitaine, composé de 2 001 personnes.
Elle montre l'impact de l'épidémie et des restrictions sanitaires (couvre feu, limitation des déplacements, distanciation physique, situation économique...) sur le moral des Français, ce qui "favorise les conduites addictives", indique Addictions France. 86% d'entre eux témoignent d'un "impact négatif" de cette situation, principalement sur leur santé psychologique et leur moral.
De "grandes difficultés" chez les personnes suivies pour des addictions
Plus d’un tiers des consommateurs de tabac, de cannabis et de médicaments psychotropes (anxiolytiques, antidépresseurs, somnifères) ont augmenté leur consommation, surtout pendant le premier confinement.
L'impact a été encore plus grand sur la consommation des personnes qui ont déjà été suivies pour des problèmes d'addiction avant la crise. Six sur dix ont augmenté leur consommation de tabac et d'alcool et la moitié ont consommé plus de cannabis. Elles ont donc eu besoin d'être davantage accompagnées pendant cette période pour 78% d'entre elles, selon le sondage.
Un constat qui se confirme sur le terrain. Lisandru Colombani, chef de service au centre d’addictologie de Bastia a été confrontée à "des demandes plus urgentes, il fallait accueillir très rapidement. On a aussi observé des gens qui ne venaient plus sur nos centres depuis des années et qui sont revenus, parce qu’ils avaient des difficultés à ne pas consommer ou ils avaient rechuté", relate le psychologue.
Un "effet substitution" sur les psychotropes
Les personnes qui avaient déjà été suivies pour des problèmes d'addiction ont aussi été plus concernées par l'augmentation de la consommation de psychotropes. 27% d'entre elles ont commencé à prendre au moins un médicament (anxiolytiques, antidépresseurs ou somnifères) au cours de l’année écoulée.
"Un effet substitution, explique Bernard Basset, notamment parce que c'est plus facile d'accès et vécu comme plus légitime pendant cette période". La consommation de médicaments a ainsi remplacé la consommation d'autres substances psychoactives dans un tiers des cas.
Mais, d'après le sondage, la population générale n'est pas épargnée, puisque près d'un Français sur 10 (8%) s'est également initié aux médicaments psychotropes. Quant à ceux qui en prenaient déjà, leurs consommations ont augmenté pour environ un tiers d'entre eux.
L'alcool fait exception mais pas le cannabis
L'alcool fait exception dans le triste tableau des addictions, puisque sa consommation a autant augmenté que diminué parmi les consommateurs. "Ceux qui avaient des difficultés avec l'alcool ont davantage consommé, analyse Bernard Basset, mais de l'autre côté, les occasions de boire de l'alcool dans le cadre de relations sociales ont été restreintes par les mesures sanitaires__." Et puis, il y a eu "des gens qui se sont saisis de ce moment pour tenter d’arrêter plus rapidement", ajoute le psychologue Lisandru Colombani.
En revanche, la consommation de cannabis a augmenté chez un tiers des consommateurs. "On avait fait l'hypothèse que les consommations de produits illicites allaient baisser, parce que les circuits de distribution seraient perturbés par les confinements, se souvient Bernard Basser, mais aucun patient ne nous dit avoir eu du mal à se procurer de la drogue. Les circuits n'ont pas eu de mal à s'adapter, notamment avec les livraisons à domicile."
Les étudiants se réfugient devant les écrans
L'addiction qui bat tous les records, ce sont les écrans. Un Français sur six a augmenté le temps passé devant les écrans. Les étudiants sont les plus accros, avec 5h42 passées quotidiennement devant les écrans à des activités de loisirs. Un temps qui a augmenté depuis un an pour 74% d'entre eux.
Plus d'un tiers des étudiants ont également augmenté le montant qu’ils consacrent aux jeux d’argent et de hasard en ligne depuis un an, soit deux fois plus que la moyenne chez les Français.
La solitude, l'anxiété et... la précarité
L'ennui, la frustration, l'anxiété, la solitude, la recherche d'une source de plaisir... Ce sont les principales raisons qui ont conduit à l'augmentation de ces consommations. "Des patients nous disaient qu’il n’y avait rien d’autre à faire, que c'était pour faire face à l’ennui et au climat anxiogène", décrit Lisandru Colombani.
L'étude révèle aussi "de très fortes inégalités" concernant les répercussions psychologiques de la crise sanitaire. Elles ont principalement touché les personnes dans une situation financière très difficile, celles déjà suivies pour une addiction, celles ayant connu un arrêt de leur activité professionnelle lors de l'année écoulée, celles qui étaient seules ou ont subi des violences au cours des deux confinements et les étudiants. Les mêmes catégories de populations qui ont, de fait, le plus augmenté leurs consommations addictives.
Un accompagnement des addictions perturbé
La crise a également eu un impact majeur sur l'accès aux soins. Près de quatre personnes sur dix ont dû renoncer à une consultation, des soins, un accompagnement, un rendez-vous d’information ou de suivi concernant leur addiction au cours de l’année écoulée. La situation a poussé certains patients à se "perdre dans nature", découragés par les restrictions.
L'accueil en centre a également été dégradé, en particulier lors du premier confinement. "On ne pouvait pas absorber toutes les demandes qu’on avait, alors on traitait les demandes les plus urgentes", se souvient Lisandru Colombani. Dans son centre de Bastia, pendant trois mois, ils n'étaient "que deux ou trois professionnels présents au centre" et ne se permettaient d'ouvrir les portes qu'à "une personne vraiment en détresse, quand on ne pouvait pas la laisser dehors, car trop imbibée de substances". Depuis, les conditions ont changé, le centre a pu s'adapter, et "o_n a même développé l’accueil sans rendez-vous"_ pour les situations "les plus urgentes".