CARTE BLANCHE - Etienne Klein : "Notre Terre qui êtes ici…"

Physicien, philosophe des sciences, directeur de recherche au Commissariat de l'Energie Atomique, et alpiniste, Etienne Klein était l'invité d'Augustin Trapenard dans l'émission Boomerang. Il a lu un texte inédit, un appel à se recentrer sur notre planète, à en prendre soin. Pour les hommes, elle est vraiment unique.
Etienne Klein :
Notre Terre qui êtes ici…
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Si la situation se dégradait trop ici-bas, d'aucuns rêvent que nous pourrions aller nous faire voir ailleurs.
Est-ce bien raisonnable ? J'en doute
Il y a déjà un sacré problème de transport, les exoplanètes les plus proches étant à plusieurs années-lumière. Un voyage vers l'une d'entre elles prendrait des millions d'années. Il faudra donc aimer à la folie, être confiné, se laisser traverser par des rayons cosmiques sans déclencher des cancers à une cadence d'essuie-glace.
Et, surtout, concevoir des enfants au bon rythme pour renouveler l'équipage, en tenant compte du petit nombre de lits disponibles.
Bref, il faudrait vraiment avoir de la suite dans les idées, ce qui vaut toujours mieux qu'avoir des idées dans la suite, comme on dit désormais, je crois, dans les Sofitel.
Il y a un autre argument que j'emprunte à Husserl, le philosophe, dans un texte de 1934 intitulé "La terre ne se meut pas" : le philosophe allemand défend l'idée que la Terre n'est pas pour nous une planète comme une autre. Elle est le sol originaire et irremplaçable de notre ancrage corporel, de sorte que, pour nous, elle n'est pas en mouvement. Et il est illusoire d'espérer nous émanciper de sa présence attractive et nourricière.
Nous serions, en somme, des Terriens avant d'être des humains.
Si bien que si nous campions très loin de la Terre au point de ne même plus l'apercevoir, nous perdrions certainement notre équilibre psychique et notre façon d'être au monde.
Changer de planète, ce serait devenir autre
Pardon pour le truisme, mais la Terre est bien la seule planète qui soit là où nous sommes, ce qui fait d'elle notre "archi-foyer" pour parler, là encore, comme Husserl.
Même si on lui découvrait des sœurs jumelles, elle n'en deviendrait pas pour autant quelconque pour nous.
Alors, avant d'imaginer que nous pourrions la quitter pour de bon, commençons par sauver la possibilité de notre présence continuée".
C'est là tout le paradoxe de notre situation : au moment même où nous découvrons la banalité astrophysique de notre planète, nous devons prendre conscience de son unicité relativement à nous.
Ecouter Etienne Klein dire sa carte blanche : "Notre Terre qui êtes ici" :
Carte blanche d'Etienne Klein
2 min
- ECOUTER | Boomerang avec Etienne Klein