CARTE BLANCHE : Jacques Audiard lit l'hommage écrit par Frédéric Dard à la mort de Michel Audiard, son père

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CARTE BLANCHE : Jacques Audiard lit l'hommage écrit par Frédéric Dard à la mort de Michel Audiard, son père

Jacques Audiard et Frédéric Diard
Jacques Audiard et Frédéric Diard
© Getty

Michel Audiard et Frédéric Dard étaient amis. Une amitié peu connue, y compris du propre fils de Michel. Une amitié matérialisée par cet hommage publié dans Libération à la mort du cinéaste et lu sur notre antenne cette semaine, dans "Boomerang", par Jacques Audiard.

Cinéaste, scénariste et surtout dialoguiste, Michel Audiard aimait le verbe qu'il avait haut. Ses mots ont fait le bonheur et le succès du cinéma des années 1960 et 1970. On lui doit nombre de répliques cultes, d'Un singe en hiver à Garde à vue en passant par ses collaborations avec de Broca, Grangier, Verneuil ou Lautner avec notamment les incontournables Tontons flingueurs et autres Barbouzes.

La maladie a rattrapé et emporté Michel Audiard le 27 juillet 1985. Il avait 65 ans. Deux jours après, le journal Libération publie une lettre hommage signée Frédéric Dard, à la grande surprise de son fils Jacques :

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"Le texte m'a fait un très gros effet et surtout j'ai découvert quelque chose que j'ignorais. C'était une espèce d'amitié affectueuse. Ils se sont connus en 1949 ou 1950. Ils ont commencé Le Fleuve Noir ensemble."

Au début des années 1950, plusieurs scénario de Michel Audiard ont en effet été adapté sous forme de romans et publiés au Fleuve Noir. Cette amitié qui a duré jusqu'à la disparition du dialoguiste était cependant peu connue, puisque son fils lui même ne le savait pas et ne se souvient pas avoir vu le père de Sant Antonio chez lui : "Je n'ai jamais rencontré Frédéric Dard, mais c'était visiblement une amitié qui a duré très, très longtemps." 

Il y a beaucoup d'affection dans cette amitié. C'est très surprenant. 

C'est quoi un homme en vie ?

Frédéric Dard aimait Michel Audiard. Simplement, il le dit :

"Qu'est ce qui nous prend, Michel, de mourir comme des cons, nous qui pourtant savions vivre. Nous l'avions compris que tout cela, la vie, la mort, les autres, n'était qu'un immense malentendu. Alors, parce que nous avions respiré un grand coup, cette évidence, on passait outre. 

On faisait un peu semblant, juste pour dire : semblant d'écouter, semblant d'écrire, semblant de compter en banque, de voter aussi parfois, semblant d'être Michel Audiard et Frédéric Dard. [...]

On ne demandait qu'un peu d'amour et de vin rouge. On tissait notre liberté jour après jour. Ça, oui : notre liberté, Michel ! Parfois, au coin d'un bois, après une salve de calembredaines, on a là hurlé un bon coup. Pas à la mort, Michel : à la vie. Elle était tant tellement plus redoutable, plus gueuse et féroce. J'ai encore dans l'âme certains de ces cris que tu as poussé par des nuits sans lune ou tout ça devenait trop terrible à supporter. 

Des cris comme celui que lance Anthony Quinn à la fin de La Strada quand il comprend que la vie est finie et qu'elle a eu lieu sans lui. 

Michel, je nous revois en train de pisser, chez Lipp, des Bordeaux de qualité que nos moyens nous permettaient. On ressemblait à deux bourrins dans leurs stalles et ont échangeait des répliques à cent mille balles pièces ! 

On se racontait nos maléfices, à mots couverts, on se débusquait les chagrins avec des voix sarcastiques et nos larmes rentrées s'en aller à travers nos vessies. 

Ils vont passer et repasser tes films, mon drôle. Et dire comme quoi tu as été ceci, cela. C'est l'instant tragique des capotes anglaises nécrologiques. Chacun va sortir sa boîte de superlatifs. On va t'astiquer la mémoire. [...]

Moi, ce que je vais leur répondre à ces vernisseurs de cercueils, c'est que tu auras été un vrai bonhomme en vie et qu'il n'y a pas de mort qui tienne. Tu le resteras. 

C'est quoi un homme en vie ? C'est un homme qui comprend tout et devine ce qu'il ignore. C'est un homme qui transforme sa misère en chanson de salle de garde et qui se cache pour se gratter la peau de l'âme comme si c'était celle de ses couilles. 

Un soir, dans une chambre d'hôtel à Venise, j'ai lu d'une traite son dernier livre : La nuit, le jour et toutes les autres nuits. 

J'ai reçu comme une balle dans la peau. Après l'avoir refermé, je me suis mis à chialer. Ces larmes, je l'ignorais était un acompte sur le chagrin d'aujourd'hui. Comme je me sentais inconsolable, je t'ai écrit une longue lettre à laquelle tu n'as pas encore répondu. Mais ça ne fait rien, j'attendrai."

- Frédéric Dard

Jacques Audiard lit la lettre de Frédéric Dard en hommage à Michel Audiard

2 min

Jacques Audiard a conservé la coupure de journal avec le texte de Frédéric Dard.

C'est quoi un homme en vie ? Frédéric Dard dans Libération (29 juillet 1985)
C'est quoi un homme en vie ? Frédéric Dard dans Libération (29 juillet 1985)