Ce que nous apprend le livre "Au coeur du Z" sur la stratégie numérique d'Éric Zemmour

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Ce que nous apprend le livre "Au coeur du Z" sur la stratégie numérique d'Éric Zemmour

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Éric Zemmour levant les bras aux côtés de son directeur de la stratégie numérique Samuel Lafont, lors d'un meeting à Lille le 5 février 2022.
Éric Zemmour levant les bras aux côtés de son directeur de la stratégie numérique Samuel Lafont, lors d'un meeting à Lille le 5 février 2022.
© AFP - JULIEN DE ROSA

Facebook, Twitter... Et désormais Wikipédia. Dans un livre, "Au coeur du Z", en librairie ce jeudi, le journaliste Vincent Bresson raconte son infiltration auprès des jeunes avec Zemmour et comment une dizaine d'entre eux, les "wikizediens" tentent de manipuler les informations sur sa page à des fins politiques.

"Au cœur du Z" est sorti ce jeudi en librairie. Le journaliste indépendant Vincent Bresson y raconte son infiltration de septembre 2021 à janvier 2022 au sein de "Génération Z", le mouvement des jeunes avec Zemmour. Jeune homme blanc de 27 ans, doté d'une solide éducation catholique, il parvient rapidement à prendre part à la campagne, sans jamais avoir à justifier de son identité de substitution : "Vincent Carayon". 

Dans ce livre, il met au jour de nouvelles composantes de l'agressive stratégie numérique de l’équipe de campagne d'Éric Zemmour, pilotée par Samuel Lafont. Inonder les réseaux sociaux, mais aussi orienter politiquement des pages Wikipédia et spammer des groupes Facebook apolitiques. Tout ceci dans le but, selon un administrateur de Wikipédia cité dans le livre, de "faire passer des opinions minoritaires pour des opinions majoritaires". Nous vous résumons les principaux points de cette enquête. 

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"WikiZédia" : la cellule numérique fantôme pour "zemmouriser" Wikipédia

C'est le principal outil décrypté par le journaliste Vincent Bresson. Si Samuel Lafont lui-même avait révélé dans une interview au journal Le Parisien fin décembre qu' "une dizaine de personnes [étaient] en charge spécifiquement de Wikipédia", on ne connaissait pas le fonctionnement de cette cellule.

Vincent Bresson s'y est donc infiltré, en se faisant passer pour un jeune qui souhaitait y contribuer. L'enquête révèle qu'une dizaine de jeunes militants ont pour mission de "rendre Éric Zemmour, Génération Z et Les Amis d’Éric Zemmour le plus visible possible sur Wikipédia", selon un "guide" de travail rapporté par le journaliste. Ils communiquent uniquement par les messageries Discord et Telegram et ne se rencontrent jamais en vrai. 

Toute une stratégie est mise en place pour contourner les règles de l'encyclopédie en ligne, qui prévoit notamment l'interdiction d'aller à l'encontre de la "neutralité de point de vue". Il s'agit de passer sous les radars des collaborateurs de l'encyclopédie qui veillent à ce qu'il n'y ait pas de récupération politique du site. 

Un certain "Gabriel", qui se dit "chargé de la page Wikipédia du Z", donne les consignes. Les pages prioritaires ? "Zemmour et Naulleau", "Face à l'info" et certaines pages du portail de la politique française. "Pour gagner en crédibilité et imposer ses choix éditoriaux, il ne faut pas paraître orienté", conseille-t-il notamment. Vincent Bresson explique : 

Ça a l’air compliqué, mais c’est pourtant très simple. Il s’agit d’un lobbying numérique qui s’évertue à contourner les règles imposées par Wikipédia.

Le journaliste Vincent Bresson, auteur du livre "Au coeur du Z"
Le journaliste Vincent Bresson, auteur du livre "Au coeur du Z"
- Teresa Suarez / Editions la Goutte d'Or

Pourquoi un tel intérêt pour l'encyclopédie collaborative ? Car l'influence possible est très importante. "Éric Zemmour" a été la page Wikipédia la plus consultée en 2021 en France, selon la Wikimédia Foundation citée par le journaliste. Elle totalise 5,2 millions de vues, largement devant la seconde page, "Elizabeth II" (4,5 millions) et la troisième "Christiano Ronaldo" (3,9 millions). 

"Cheep" : un influent collaborateur de Wikipédia au service de Zemmour

En général, ces tentatives de manipulation politique, fréquentes de la part des militants de tous bords, sont rapidement corrigées par les modérateurs de l'encyclopédie participative. Toutefois, les jeunes avec Zemmour bénéficient sur ce terrain d'un allié de poids. Le fameux "Gabriel", selon le journaliste, n'est autre que "Cheep", l'un des principaux contributeurs de Wikipédia en langue française. Le 64ème exactement, qui comptabilise plus de 169.000 contributions depuis 2006. 

"Il s’agit donc d’un utilisateur extrêmement expérimenté, que la communauté nomme "Autopatrolled 35", note Vincent Bresson, ce qui signifie que ses "modifications sur les pages sont considérées comme vérifiées automatiquement."

"Cheep" a donc tenté à plusieurs reprises de modifier la page d'Éric Zemmour. En octobre 2021, il a d'abord essayé de descendre plus bas dans l'article l'expression "classé à l'extrême droite" et de la nuancer ainsi : "Classé à l'extrême droite en France par la plupart des médias français ou au sein de la "droite hors les murs" par des historiens et politologues." 

De vifs échanges avec la communauté Wikipédia

Deux mois plus tard, en décembre, il a tenté d’ôter de la page d'Éric Zemmour les éléments concernant la polémique liée à son clip d'entrée en campagne, où il utilise des imagées non autorisées de films ou de chaînes de télévision. Plus tard, il ajoute une photo du Maréchal Pétain et de Laval, et tente d'inscrire en légende que "leur responsabilité dans la Shoah en France est sujette à débat". "Une affirmation totalement fausse", précise le journaliste.

Ces actions lui valent de vifs échanges avec la communauté Wikipédia, dont un membre souhaite le bloquer une semaine de la plateforme. "Son ancienneté le sauve", écrit Vincent Bresson. Sa modification est néanmoins masquée pour "contenu illégal".  Depuis la révélation des faits ce matin, la page Wikipédia d'Éric Zemmour est mise sous "semi-protection étendue" et un message avertit les internautes que cette page a été modifiée par "le principal intéressé ou une personne en lien étroit avec le sujet". 

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Chez les contributeurs administrateurs de Wikipédia, nombreux sont ceux qui réclament le "bannissement" de "Cheep" ainsi que celui de six autres comptes. Selon une source interne contactée par l'AFP, la sanction pourrait être prononcée dans les heures ou dans les jours qui viennent.

Le responsable du numérique d'Éric Zemmour, Samuel Lafont ne confirme pas la présence de "Cheep" dans leurs rangs, mais confirme l'existence de plusieurs "boucles" dédiées à Wikipédia afin "d'améliorer la page d'Éric Zemmour qui était très orientée contre lui avec des changements de page tenus par la gauche."

C'est le jeu de Wikipédia, c'est une encyclopédie participative. C'est normal que chacun apporte sa pierre à l'édifice.

Inonder des groupes Facebook non-politisés

Vincent Bresson s'est également intéressé à la stratégie déployée par l'équipe d'Éric Zemmour sur Facebook. Dans une conférence en ligne auquel le journaliste infiltré a eu accès, le directeur de la stratégie numérique du candidat, Samuel Lafont, "prophétisait que Facebook serait l'un des cœurs de la bataille finale." Sans en dire plus, il invitait les jeunes militants qui le souhaitaient à contacter des membres de l'équipe de campagne pour participer à la communication du parti "Reconquête !" sur Facebook.

Dans un SMS, la mission de Vincent lui est détaillée. "Il s'agit d’investir le plus de groupes Facebook possible sur tous les thèmes et de publier sur ces groupes, commenter les publications avec du contenu sur Zemmour."

On lui propose de choisir trois thématiques, ce à quoi il répond "Mylène Farmer", "Gauchos" et "Foot". Il se retrouve alors avec une liste de groupes liés à ses thèmes, comme "La France Insoumise", "Contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes", "Si toi aussi tu es supporter du Racing Club de Lens et fier de l’être" et "Mylène Farmer : le mythe français". 

On lui précise qu'il faut, écrit-il, "poster massivement, faire des copier-coller avec les contenus partagés sur "J’agis pour Zemmour", voire publier le même post sur vingt groupes". S'il se fait bloquer d'un groupe ? On lui en envoie d'autres. 

Les réseaux sociaux haussent la vigilance

Pour Vincent Bresson, qui a quitté le mouvement "Génération Z" à la mi-janvier, l'objectif de cette campagne est de "laisser entendre qu’une lame de fond extrêmement large pousse la candidature d’Éric Zemmour". Une stratégie payante, puisque 10 jours après sa candidature, le candidat regroupait déjà 60.000 sympathisants. 

Selon notre baromètre France Inter et Visibrain, plateforme de veille des médias sociaux, Éric Zemmour est arrivé largement en tête des candidats les plus cités sur les réseaux sociaux en décembre et en janvier, " 24% des publications sur la présidentielle [étaient encore] directement associées à lui". 

Toutefois, si tous les candidats font campagne sur les réseaux sociaux, les plateformes haussent la vigilance. Après la publication d'une enquête du journal Le Monde affirmant que l'équipe de campagne d'Éric Zemmour "gonfle artificiellement" sa présence sur Twitter - accusation balayée par Samuel Lafont qui a déclaré "on fait tout à la main, on n'a pas besoin de robots" - le réseau social à l'oiseau bleu a déclaré "procéder à des vérifications".