Ces dix jours qui ont fait basculer la France dans le confinement généralisé
Par Adrien Toffolet
Comment a-t-on compris que nous étions confinés ? C'était il y a un an. Et ça a pris dix jours, du 6 au 17 mars 2020, rythmés par les avis d'experts scientifiques et les choix politiques. Récit.
Le mardi 17 mars, à midi, la France débute officiellement son premier confinement, après des semaines à appréhender une crise sanitaire de plus en plus angoissante et de plus en plus globalisée. De l’apparition des premiers cas de Covid-19 dans le pays, fin janvier, à l’entrée en confinement, c’est dans les dix derniers jours avant cette date fatidique que tout s’est joué.
Vendredi 6 mars : la vie continue
La France est déjà le deuxième foyer épidémique d’Europe, après l’Italie. Depuis le passage au stade 2 de l’épidémie le 28 février, le gouvernement cherche à freiner la propagation du virus. La saturation des hôpitaux guette. Des mesures strictes ont déjà été prises au niveau national, avec l’interdiction des rassemblements de plus de 5 000 personnes en milieu fermé, mais aussi au niveau local, avec interdiction de rassemblements et invitation à limiter ses déplacements pour les habitants de l’Oise, du Haut-Rhin, ou encore de la Haute-Savoie.
Tout l’exécutif se montre mobilisé et rassurant. Officiellement, la menace est réelle, mais elle présente surtout un risque pour les personnes les plus fragiles, nos aînés et les personnes présentant déjà des pathologies graves. Le chef de l’État en personne se met en scène. Emmanuel Macron s’offre une sortie au théâtre à Paris, car "il n'y a aucune raison, mis à part pour les populations fragilisées, de modifier nos habitudes de sortie." Il faut convaincre les Français de sortir malgré le coronavirus. "La vie continue", affirme le président, tout en plaidant pour des mesures "proportionnées" dans les prochains jours. Et d'ajouter :
"Si on prend des mesures qui sont très contraignantes, ce n'est pas tenable dans la durée."
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Dimanche 8 mars : la très longue préparation du stade 3
Les données de l'épidémie s'aggravent de jour en jour. Le seuil des 1 000 cas dépistés est franchi et on compte 19 décès dus à la Covid. Un conseil de défense est organisé le soir à l'Élysée. À l'issue, le ministre de la Santé, Olivier Véran, annonce l'abaissement de la jauge pour l'interdiction des rassemblements à 1 000 personnes maximum.
L'exécutif se prépare, sans donner de date, à l'activation du stade 3 de l’épidémie, soit à la gestion des conséquences de l'épidémie pour tenter d'en atténuer les effets. Si la vie continue, comme l'assure Emmanuel Macron, il n'est pas question de reporter ce moment majeur de la vie politique du pays que sont les deux tours des municipales. Le premier tour se déroulera normalement le dimanche suivant, mais dans des conditions sanitaires légèrement renforcées.

Mardi 10 mars : anticiper, adapter, regarder
Franck Riester est en quarantaine depuis la veille. Le ministre de la Culture est le premier membre du gouvernement à tomber malade du coronavirus. Pour les caméras, on soigne les apparences. Le couple présidentiel s'offre une marche sur les Champs-Elysées. À l'Élysée, on mesure le risque qu'impliquerait d'avoir un chef de l'État isolé ou malade. Emmanuel Macron maintien tous ses déplacements. Il se rend au centre d'appels du SAMU à Paris. Mais le protocole a changé. On ne serre plus la main du président.
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Sur le front de l'épidémie, la France a dépassé les 30 morts et les 1 800 cas confirmés. Toujours pas de stade 3. L'exécutif fait le choix de mobiliser la réserver sanitaire. L'aide des professionnels de santé volontaires n'est pas de trop. Selon Olivier Véran, sur franceinfo : "Nous anticipons, nous adaptons, nous regardons ce qui se passe à l'étranger, nous consultons énormément les experts." Le lendemain, le Conseil scientifique est mis en place, à la demande d'Emmanuel Macron.
Mercredi 11 mars : ici c'est Paris
L'épidémie est officiellement déclarée pandémie par l'Organisation mondiale de la santé. En France, de nouveaux foyers de contamination apparaissent, en Corse et dans l'agglomération de Montpellier. Dans les hôpitaux, la situation se tend de plus en plus. "Il faut se préparer et ménager la monture, car cela va durer des mois", alerte l'infectiologue de l'hôpital Bichat à Paris, Xavier Lescure.
La situation appelle à un renforcement des restrictions sanitaires. Depuis plusieurs semaines les Français ont commencé à anticiper un possible confinement. Pâtes, riz, papier toilette, les rayons sont pris d'assaut. "Il n'y a pas de pénurie", tente de rassurer la Fédération du commerce et de la distribution.

Le soir, Olivier Véran annonce la fin des visites dans les Ehpads. Dans les régions les plus touchées, les écoles ferment pour deux semaines. Un peu plus tôt, à l'issue du conseil des ministres, la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye répète l'objectif de l'exécutif : "Ne pas mettre le pays à l'arrêt." Néanmoins, il est annoncé qu'Emmanuel Macron s'exprimera pour la première fois sur le coronavirus, le lendemain, lors d'une déclaration télévisée à 20h, pour rassurer les Français.
Une déclaration du directeur général de la Santé, Jérôme Salomon, renforce les inquiétudes de la population : "Le scénario italien, on doit s'y préparer." L'Italie est confinée, écoles, commerces, bars et restaurants sont fermés. L'épidémie là-bas a déjà fait plus de 600 morts et 10 000 malades. Mais le gouvernement refuse toute comparaison entre la situation italienne et celle de la France. Faut-il prendre des mesures plus contraignantes, comme Rome ? La question agite les discussions dans la population.
Sibeth Ndiaye, elle, assume les choix pris par le gouvernement, quitte à se montrer critique envers certaines mesures prises par les autorités italiennes pour limiter les déplacements avec l'étranger. "Manifestement, ce n'est pas ce qui a freiné la propagation de l'épidémie", dit-elle en conférence de presse. Remous diplomatiques de l'autre côté des Alpes. Le stade 3 de l'épidémie ? Toujours en réflexion.
Jeudi 12 mars : la santé, quoi qu'il en coûte
À ce jour, quatre départements ont leurs établissements scolaires fermés. Le ministre de l'Éducation, Jean-Michel Blanquer, reconnaît que "la liste des départements va s'allonger, c'est évident", mais que le gouvernement n'a "jamais envisagé la fermeture totale, parce qu'elle nous semble contre-productive." Encore une fois, la comparaison avec l'Italie est balayée : "Ce n'est pas notre modèle." Disant suivre les préconisations des experts scientifiques, la stratégie de l'exécutif pour faire face à l'épidémie reste celle de l'action ciblée.
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De l'autre côté de la frontière, les journalistes français en Italie lancent l'alerte. Ils signent une tribune, adressée au gouvernement, l'invitant à prendre "enfin la mesure du danger" que représente la propagation fulgurante du virus. "Au début, moi aussi j'étais le premier à insister d'abord sur la psychose. J'ai longtemps dit que les malades étaient tous très âgés, qu'ils avaient plusieurs pathologies, parce que c'était le cas. Et puis on a compris que le problème, c'était l'hôpital, le manque de lits", raconte Bruce de Galzain, le correspondant permanant de Radio France en Italie, signataire de la tribune. Et d'ajouter :
"L'objet n'était pas d'ériger l'Italie en modèle. Ce n'était pas notre rôle. Mais il y avait une expérience ici, solide. Au-delà des restrictions, chaque jour, on a un appel au sens des responsabilités et on a vraiment changé nos habitudes."
À l'Elysée, la journée est longue. Emmanuel Macron consulte à deux reprises le Conseil scientifique, le matin et l'après-midi. Les résultats d'une étude épidémiologique de l'Imperial College de Londres, sur la situation en France et les scénarios de progression, lui sont présentés. Les modélisations montrent que l'épidémie pourrait provoquer de 300 000 à 500 000 morts si des mesures ne sont pas prises. Le soir, le président doit parler aux Français. Ces estimations ne seront révélées que le dimanche suivant, par le journal Le Monde.

La France fait face à la "plus grave crise sanitaire" qu'elle ait connue "depuis un siècle", dit le président. Le ton n'est plus le même. Le constat non plus. Il est 20h, Emmanuel Macron annonce la fermeture des crèches, des écoles, collèges, lycées et universités, dès le lundi 16. Le télétravail est encouragé. La priorité absolue affichée par l'exécutif est la santé. Pour la première fois, le chef de l'État lance le "quoi qu'il en coûte". Toutefois, le premier tour des municipales est maintenu : "Il est important en ce moment, en suivant l'avis des scientifiques comme nous venons de le faire, d'assurer la continuité de notre vie démocratique et de nos institutions."
Vendredi 13 mars : faire garder les enfants
Sur les réseaux sociaux, pleuvent les vidéos de réactions de jeunes, devant l'allocution d'Emmanuel Macron la veille, exultant en l'entendant dire que les établissements seront fermés dès lundi. 12 millions d'élèves, de la maternelle au lycée sont concernés.
Jean-Michel Blanquer est partout pour faire le service après annonces, du matin à France Inter au soir sur France 2. Le stade 3 devrait être vite activé selon lui. Pour les parents, le casse-tête est double. Il faut à la fois organiser tant bien que mal la garde à la maison des enfants, et organiser le travail, avec autant de difficulté, depuis chez soi. Télétravail ou arrêt de travail ?
Une image, aussi, est partagée en masse sur les réseaux sociaux, une affiche de l'illustrateur Mathieu Persan, qui représente une maison et un message écrit à l'intérieur : "Restez à la maison". Ambiance. Le soir, nouvelle douche froide : Edouard Philippe est invité du 20h de TF1. Les rassemblements de plus de cent personnes sont désormais interdits. Encore et toujours, "L'idée c'est de faire en sorte que nous puissions ralentir la progression, la circulation du virus." Bref, le stade 2 de l'épidémie.
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Les esprits se préparent à pire. Les Français commencent à sentir venir, tout doucement, la perspective d'un confinement national. Mais quand ? La vie sociale est déjà malmenée. La Ligue professionnelle de football suspend les championnats de Ligue 1 et Ligue 2. Plus aucun match, jusqu'à nouvel ordre, même avec des gradins vides. Le secteur de la culture est quasiment mis à l'arrêt : la plupart des musées, théâtres et salles de spectacles doivent fermer leurs portes. Les organisateurs du Printemps de Bourges, l'évènement qui lance la saison des festivals d'été de musique depuis 44 ans, annoncent que l'édition 2020 est annulée.
Samedi 14 mars : un dernier verre et puis…
Finalement, le stade 3 de l'épidémie est activé dans la journée. Les réseaux sociaux s'animent de critiques sur la stratégie du gouvernement, sur le non report des élections alors que la France est déjà quasiment à l'arrêt, sur le manque de transparence dans les choix qui sont faits. Edouard Philippe et Olivier Véran consultent le conseil scientifique. Les médecins sont inquiets, l'épidémie progresse toujours vite, le virus circule désormais sur tout le territoire. Le bilan des autorités sanitaires fait état de 4 500 malades depuis le début de l'épidémie et 91 morts. Les experts ne conseillent pas au gouvernement de reporter les élections, mais ils l'invitent à prendre des mesures plus contraignantes. Ce sera chose faite le soir même.

Edouard Philippe annonce des mesures de "distanciation sociale". Tous les lieux recevant du public non indispensables à la vie du pays doivent fermer leurs portes à minuit, ce qui signifie la fermeture entre autres, des restaurants, bars, discothèques, cinémas. Comme en Italie. Pendant ce temps, en Espagne, le confinement généralisé entre en vigueur. Il est interdit de sortir de chez soi sans justificatif, sauf exceptions.
Lors de sa prise de parole, au moment de justifier la décision de renforcer les restrictions sanitaires, le Premier ministre pointe des responsables. "Les premières mesures prises de limitation des rassemblements ont été imparfaitement appliquées", et malgré la prise de parole solennelle d'Emmanuel Macron quelques jours plus tôt, Edouard Philippe dit avoir vu "trop de gens dans les cafés, les restaurants". Ses mots n'ont pas plus d'effet. Une dernière fois, les terrasses des bars et des restaurants font le plein. À minuit, les bars ferment. La bamboche, c'est terminé.

Dimanche 15 mars : on vote peu, on se met au vert
Les bureaux de vote ouvrent aux heures prévues. On distribue du gel hydroalcoolique, mais il est conseillé de venir avec son propre stylo. Sans surprise, il n'y a pas foule. Que font les Français qui n'ont pas la gueule de bois ? Beaucoup appliquent un principe de précaution et ne veulent pas prendre de risques en allant voter. Certains se mettent devant la télé. 1 million de personnes regarde "Le jour du Seigneur" sur France 2, soit 10,6% de part d'audience, contre 7% habituellement (le record sera atteint pendant le confinement, le dimanche de Pâques, avec 20% de part d'audience).
Grand soleil partout dans le pays. Les parcs et jardins voient défiler du monde. Les marchés aussi. Le temps est encore à l'insouciance pour certains. D'autres s'entassent dans les trains ou chargent leurs voitures de valises et de provisions, en partance pour la campagne. C'est l'exode. Il faut partir le plus vite possible, prendre les derniers trains, ceux qui n'ont pas été supprimés à cause de la limitation des transports longue distance exigée par le gouvernement. Tout laisse à penser que le confinement est imminent.

Au soir du premier tour des municipales, le verdict des urnes est sans appel. L'abstention est la grande gagnante, avec un record à 55,34%. À droite comme à gauche, les responsables politiques demandent le report du second tour.
Lundi 16 mars : un confinement qui ne dit pas son nom
Depuis 8h du matin, l'Allemagne a fermé ses frontières avec la France. La région Grand Est est la plus touchée par le Covid. Il se trame quelque chose. Emmanuel Macron participe à une réunion téléphonique depuis l'Élysée avec la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, le président du Conseil européen, Charles Michel, et la chancelière allemande, Angela Merkel. Juste après, avant d'entrer en conseil de défense, le président français prévient sur Twitter qu'il annoncera "des décisions exigeantes dans les prochaines heures". Un confinement généralisé comme en Italie et en Espagne ? Rien ne fuite.
À Matignon, Edouard Philippe convoque les chefs de partis et les associations d'élus. Le chef de l'État, lui, s'entretient avec les dirigeants du G7, mais aussi les présidents du Sénat, Gérard Larcher, et de l'Assemblée nationale, Richard Ferrand, ainsi que ses prédécesseurs, François Hollande et Nicolas Sarkozy. Le conseil scientifique préconise au gouvernement un confinement à l'italienne. Les français attendent. Le directeur général de la Santé, Jérôme Salomon, annonce que la situation est "inquiétante", car "le nombre de cas double désormais tous les trois jours". Le dernier bilan de Santé publique France fait état de 6 633 malades et 148 morts.
Il est 20h. 35 millions de personnes sont devant leur télévision. Les hésitations des dernières semaines laissent place à la radicalité et à la fermeté. À compter du lendemain, à midi, seuls les trajets "absolument nécessaires" sont autorisés, pendant les quinze jours suivants, au moins. Tout écart sera sanctionné. Le second tour des municipales est reporté. Emmanuel Macron ne prononce pas le mot confinement. La phrase "Nous sommes en guerre", est répétée à six reprises.