"Chez Nous" de Lucas Belvaux : quasi western ou démonstration trop didactique ?

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"Chez Nous" de Lucas Belvaux : quasi western ou démonstration trop didactique ?

Détail de l'affiche de Chez Nous de Lucas Belvaux
Détail de l'affiche de Chez Nous de Lucas Belvaux
- Synecdoche, Artémis Production, France 3 cinéma, RTBF

Faut-il aller voir le dernier film de Lucas Belvaux consacré au FN dans le Nord de la France à travers l’évolution d’une infirmière qui devient élue du parti ?

La réponse avec les critiques cinéma de l'émission du Masque et la plume : Sophie Avon (Sud-Ouest), Michel Ciment (Positif), Jean-Marc Lalanne (Inrockuptibles) et Xavier Leherpeur (7ème Obsession) et Jérôme Garcin (L’Obs et France Inter).

Une démonstration un peu didactique, mais la manière dont le destin de cette petite infirmière bascule dans l’extrémisme est assez bien dessiné.

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La présentation par Jérôme Garcin :

Le film Chez nous a été qualifié par Gilbert Collard de film anti-FN. C’est le nouveau film de Lucas Belvaux dont il cosigne le scénario avec l’écrivain Jérôme Leroy. C’est avez Emilie Dequenne, André Dussollier, et en clone de Marine Le Pen, Catherine Jacob, qui joue moins bien que l’original. Nous sommes dans une petite ville du Nord de la France, Pauline (Emilie Dequenne), élève deux enfants, et s’occupe de son père malade, un ancien métallo et toujours communiste, joué par Patrick Décamps. Elle exerce le métier d’infirmière à domicile. Tout le monde l’aime : elle est si dévouée, et populaire que le bon docteur Berthier, joué par André Dussollier, qui oeuvre en sous-mains pour le Bloc patriotique. Il réussit à la persuader d’entrer dans ce parti d’extrême-droite, et de se présenter aux municipales. Et après avoir rencontré la patronne du parti, Agnès Dorgel, jouée par Pauline Jacob, Pauline accepte, quitte à rompre avec son père. La scène est assez violente. Chez nous, est un film à thèse qui s’adresse à ceux qui seraient tentés de céder aux chants de ces sirènes. Avec ce que la démonstration peut avoir de didactique, mais je trouve que la manière dont le destin de cette petite infirmière bascule dans l’extrémisme est assez bien dessiné.

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Ce n’est pas le meilleur de film de Belvaux, mais c’est un film nécessaire, qui témoigne d’un vrai talent.

Michel Ciment :

Je trouve le projet tout à fait louable, surtout dans cette campagne électorale où aucun des candidats à la présidentielle ne démonte, n’attaque le discours de Marine Le Pen. Ils sont tellement déchaînés à se dévorer les uns les autres qu’ils oublient de démonter le programme et les méthodes de séduction du Front National. Je trouve que c’est courageux de la part de Belvaux dans un cinéma français atone qui parle peu de politique. On parle beaucoup de social, mais pratiquement jamais de politique. Le film n’est pas sans défaut : il y a le côté didactique, la présentation des groupes neo-nazis n’est pas très convaincante, l’aspect « film noir » non plus, mais l’itinéraire de cette fille très influencée par son médecin, son ami, joué formidablement par André Dussollier, qui l’embrigade dans ce parti qui est en fait le Front National. Tout cela est très bien montré avec le père qui est militant communiste : un père très convaincant qui a donné dans les luttes ouvrières. Ce n’est pas le meilleur de film de Belvaux, mais c’est un film nécessaire, qui témoigne d’un vrai talent. Ce que l’on peut regretter, c’est Catherine Jacob qui n’est pas à la hauteur du rôle du personnage de Marine Le Pen qui est plus maligne. Le paradoxe, c’est qu’André Dussollier qui joue l’intermédiaire est sacrément efficace et plus convaincant politiquement que Catherine Jacob.

Lucas Belvaux filme très bien la terre, ce lieu. Il est très fort pour ça, c’est un peintre du paysage.

Sophie Avon

Oui, on a le sentiment qu’elle a un modèle avec Marine Le Pen et que dans le même temps, elle veut s’en défaire, donc elle fait du Catherine Jacob, tout en étant inspirée par Marine Le Pen. Donc, il y a quelque chose qui ne va pas. Je suis d’accord avec Michel Ciment sur le courage du film. Et c’est vrai qu’on n’a pas beaucoup de cinéastes qui empoignent le réel comme ça, surtout en ce moment. Paradoxalement, Lucas Belvaux est d’une telle honnêteté, et qu’il a tellement peur de tomber dans la caricature que d’une certaine manière, ça l’encombre à un moment. Il veut rendre compte dans tous ses recoins du fait que le parti est très hétérogène. Il veut bien dissocier les électeurs du parti. Il veut montrer beaucoup de choses dont les différentes strates du parti, et que les gens se tapent dessus entre eux. Il a un tel souci de probité, qu’il se retrouve à manipuler une machine qui le prive à un moment de liberté, et prive le film d’une certaine âpreté et du souffle qu’il pourrait avoir, qu’il essaye de remplacer par le côté film noir que j’aime bien par ailleurs. Ça c’est dommage.

Après c’est une fiction et ça repose sur des personnages. Là, où je suis moins d’accord avec Michel Ciment, c’est que je trouve le personnage de Guillaume Gouix formidable. Ce comédien très subtile arrive avec sa « gueule » et arrive à faire cohabiter la fragilité et la brutalité en même temps. Je le trouve attachant et en même temps, il dit des choses épouvantables. Pourtant il a une dose d’humanité incroyable. Je suis moins convaincue par le personnage de Pauline que je trouve un peu utilitaire, un peu didactique, même si je sais qu’il y a des gens de gauche qui basculent très à droite. Je trouve qu’elle le fait de manière un peu candide. Mais Lucas Belbaux filme très bien la terre, ce lieu. Il régurgite le passe. Il filme très bien la géographie et l’histoire en même temps. Il est fort pour ça, c’est un peintre du paysage. En revanche, l’épilogue n’est pas très réussi, il est un peu attendu.

Tout cela me semble trop déterminé par une vérité des chiffres, et jamais par une singularité de personnes.

Jean-Marc Lalanne :

Je crois que c’est une équation insoluble et difficile à résoudre. Le film est captivant parce qu’il parle du présent le plus vif, et on est tout le temps intéressé par ce qui se passe. C’est une gageure assez audacieuse. Mais en même temps, il n’a pas trouvé les bonnes solutions de représentations pour s’en sortir. Là où le filme pèche vraiment c’est sur le personnage modelé sur Marine Le Pen. Catherine Jacob ne réussit absolument pas à l’incarner. La scène de meeting est totalement ratée. Le film échoue à montrer quels sont les mécanismes de fascination, l’énergie presque de rock star que la leader du Front National est capable de susciter dans ses prestations orales. Mais Catherine Jacob n’arrive pas du tout à figurer ça.

Je suis gêné par la façon dont tout est représentatif d’une vérité qui ne serait qu’une vérité des statistiques sur les grands courants électoraux en France avec le passage de l’électorat communiste à l’extrême droite. Tout cela me semble trop déterminé par une vérité des chiffres, et jamais par une singularité de personnes. Les personnages me semblent trop fléchés par ce qu’ils sont censés représenter. En même temps, Lucas Belvaux est un bon cinéaste et il y a des scènes qui sont très bien construites. Guillaume Gouix joue très bien, mais ça vire presque trop au vaudeville : Emilie Dequenne doit choisir entre sa vie amoureuse et ses nouvelles convictions idéologiques.

C’est un film de territoire, c’est un western, un polar

Xavier Leherpeur :

Je suis plutôt du côté de Sophie, il y a un problème avec l’épilogue. Si on a un problème avec Catherine Jacob/Marine Le Pen, c’est que l’on a un problème, un calque que l’on rejette et c’est normal. C’est le seul personnage qui appartient à la réalité. Le reste du casting dramaturgique ce sont des personnages de fiction qui ont une force romanesque. Guillaume Gouix en apporte beaucoup, de romanesque à cette histoire qui est sombre, délétère, mortifère, menaçante. Il est troublant parce que c’est un acteur très beau. Le film est très cohérent avec son propos qui n’est pas si idéologique que ça. A priori les gens qui vont voter Marine Le Pen n’iront pas voir le film.

Ce qui est intéressant aussi c’est que c’est un cinéaste belge qui s’attaque à un vrai problème de politique française dans une région qu’il connaît bien : le Nord frontalier avec la Belgique. C’est un film de territoire, c’est un western, un polar. Il décrit très bien la manière dont le Front National s’est ancré dans les territoires jouant de la répartition territoriale. La scène où elle est agressée dans une cité est impressionnante. Là, c’est vraiment une scène de western avec les zones enclavées.

Et à côté de ça, il y a le personnage de Dussollier qui connait très bien ce territoire, sa diversité, sa complexité, ses rivalités et qui en joue magnifiquement. L’intérêt du film n’est pas dans sa manière de démonter le Front National mais dans le fait de dire au contraire : comment ce parti a réussi par ce jeux de connaissance locale (le local d’ailleurs souvent délaissé par les autres partis) a trouvé sa marque, l’a imposé et à réussi à retourner les personnages. C’est un personnage de fiction celui d’Emilie Dequenne à un moment elle passe de la gauche héritée de son père à cette extrême droite. En même temps, elle n’en épouse pas les idées. Elle épouse le dynamisme de ce parti parce qu’elle pense que c’est une solution pour s’en sortir. Et elle est au plus près de ces problématiques-là en tant qu’infirmière. Le film de Lucas Belvaux est d’une grande force d’une grande subtilité et d’une grande intelligence.

L’extrait du Masque et la plume sur "Chez Nous" de Lucas Belvaux :

Chez nous, l'avis du Masque et la plume sur le film de Lucas Belvaux

10 min

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D'autres émissions évoquent le film Chez nous de Lucas Belvaux :

Les autres films évoqués dans l'émission

  • Patients, de Grand Corps Malade et Mehdi Idir
  • Rock’Roll de Guillaume Canet
  • Split de N. Shyamalan
  • Loving de J. Nichols
  • Les derniers Parisiens d’Hamé et Ekoué