Claire Josserand-Schmidt, la discrète et insatiable avocate du procès des attentats du 13-Novembre
Par Charlotte Piret
Elle est l’avocate de 37 parties civiles au procès des attentats du 13 novembre 2015. Elle est aussi “celle qui a réussi à faire parler Salah Abdeslam”. Claire Josserand-Schmidt s’apprête à prendre la parole pour le dernier jour des plaidoiries de parties civiles.
S’il n’y avait pas eu, cet après-midi de la fin mars, ce dialogue incroyable avec Salah Abdeslam, principal accusé du procès des attentats du 13 novembre 2015, certains ne l’auraient peut-être pas remarquée, perdue comme tant d’autres dans la nuée d’avocats de parties civiles constitués à ce procès. Car Claire Josserand-Schmidt est du genre discrète. “Je suis pas très intéressante”, s’excuse-t-elle d’ailleurs, en préambule de notre rencontre. Si seulement.
Me Josserand-Schmidt est l’une des robes noires les plus capées de ce procès dans les dossiers de terrorisme islamiste. Expérience audiences, tout d’abord. Dès la fin 2015, elle devient l’avocate de victimes du Bataclan. Puis, très vite, l’une des représentantes dans les prétoires de l’association française des victimes de terrorisme (AFVT). A ce titre, elle a multiplié les procès de filières terroristes. Celui dit de “Cannes-Torcy”, en 2017. Ceux des filières djihadistes de Nîmes, de Lunel. Au fil de ces audiences, elle a décortiqué, analysé, disséqué les ressorts du terrorisme islamiste.
Procès du cadre de l’Etat islamique, Tyler Vilus, procès de l’attentat des bonbonnes de gaz de Notre-Dame. Mais Claire Josserand-Schmidt ne se contente pas des bancs du palais de justice pour appréhender cette matière. “J’ai voulu blinder mon expertise.” Alors maman de deux jeunes enfants - ils ont aujourd’hui 8 et 10 ans - elle use aussi les bancs de la Sorbonne et suit, une année durant, une spécialisation en réparation des dommages corporels. “J’allais aux cours du soir, je me faisais des fiches au café, comme quand j’étais étudiante, j’ai passé mes examens écrits, mon grand oral. J’ai mené une quadruple vie.”
Une voie toute tracée
Car elle est comme ça, Claire Josserand-Schmidt. Du genre à vouloir que “tout soit complètement blindé, vérifié”. Procès de l’attentat des Champs-Elysées, procès de Reda Kriket. Du genre à dresser des listes aussi. Celles des mille choses qu’elle entend encore faire dans cette vie. Une vie que son père et son éducation “à la dure” avait au départ tracée pour elle et ses quatre autres enfants. “Il fallait exceller, quand on revenait à la maison avec un 18/20, il nous demandait où étaient passés les deux points manquants.” Il fallait jouer de la musique aussi. Huit ans de harpe. Elle aurait préféré le piano. Il fallait “décrocher une situation sociale”, encore. Ses aînés sont devenus "chirurgien-dentiste, médecin, directeur financier".
Elle, en bonne petite dernière, a d’abord tenté de “s’écarter de la route”, réussi la première étape d’admission à l’école Boulle. Mais “dans ma famille, faire de l’art n’était pas dans les tablettes”. Alors elle est revenue au droit. Et à ce métier d’avocat pénaliste qui la faisait rêver quand, petite, elle regardait la série "L’Homme de fer" et ses histoires de causes perdues. Ce serait donc le droit. Pénal. “Pendant mes études, on m’a fait comprendre que ça allait être compliqué de devenir pénaliste pour une femme, ça m’a fait redoubler de motivation.” Elle prête serment en février 2001 et s’impose dans ce monde très masculin, “malgré ma voix d’Anémone”, sourit-elle. “Peut-être que je me montrais simplement un peu plus cow-boy que je ne le suis profondément.” De fait, longs cheveux grisonnants, petite taille et sourire apaisant, l’avocate n’a pas vraiment des allures de gros dur.
Il y eut d'ailleurs beaucoup de douceur dans sa voix, ce mercredi 30 mars. Depuis des heures, Salah Abdeslam refusait de répondre aux questions et même de regarder celui ou celle qui les lui posait. Et puis ce fut son tour, à elle. “Monsieur Abdeslam, on a un petit problème quand même. Parce que vous m’aviez promis une réponse la dernière fois.” La tentative fait mouche. Derrière son masque, on devine le sourire du principal accusé. Le contact est établi. Salah Abdeslam abandonne son mutisme. Et acceptera, jusqu’à la fin du procès, de livrer ses explications sur les faits. “Pourquoi il me répond ce jour-là ? Pas parce qu’on est copains. Mais parce qu’il a compris que je vais l’écouter.” Et puis, ajoute-t-elle, “Salah Abdeslam fait partie des accusés qui me saluent depuis le début du procès”. Sur les bancs des avocats, certains la félicitent, quand d’autres lui reprochent d’avoir plié devant le djihadiste. “Quand je me suis rassise, j’ai commencé à recevoir plein de messages. J’avais juste envie de me planquer sous le banc. Et quand j’ai compris que j’allais avoir mon nom dans le journal, j’ai eu envie de disparaître.”
Mille cordes à sa harpe
Elle est restée, tout compte fait. Et a continué à apporter sa contribution particulière à ce procès. Procès des attentats de janvier 2015. Procès de la filière de Villejuif. Si ces dernières années ont logiquement mené à ce procès historique des attentats du 13 novembre 2015, les précédentes ont été beaucoup moins linéaires. Voire même totalement extravagantes. Un drame, tout d’abord. La maladie de sa mère : un cancer contre lequel elle va se battre, six années durant. Et qui finira par l’emporter, trop jeune. Claire Josserand-Schmidt, elle, commence à dresser ses listes “car on n’a décidément qu’une seule vie”. Tout en haut, est écrit “cours de mosaïque byzantine". Son rêve.
Alors elle lâche tout, se met en disponibilité du barreau, rejoint l’Italie et l’atelier d’une des plus grandes artistes de la discipline. Désormais l'une de ses meilleures amies. "Voyages" figurant aussi en bonne position sur la liste, Claire Josserand-Schmidt devient hôtesse de l'air et relie, pour Air France, deux années durant, toutes les capitales d’Europe en moyens puis en longs courriers. Un ténor du barreau, croisé un jour au détour d’une escale exotique, ne la reconnaîtra pas. "A moins qu’il ait fait mine de ne pas ?", sourit malicieusement l’avocate. Viendra ensuite la fabrication de bijoux. Et puis, “à un moment donné, j’ai ressenti que j’avais assouvi mon besoin de me heurter aux aspérités de la vie".
Claire Josserand-Schmidt renfile la robe, reprend du “Maître” et le chemin des assises. Sans pour autant renoncer aux listes de ses envies. Elle s’est mise au piano, tout compte fait. Joue quotidiennement “pour déconnecter”. Court régulièrement, nage occasionnellement. “Et je fais de la plongée sous-marine dès que je peux”, une autre de ses passions. Dévorante au point “d’avoir dépensé des fortunes pour elle”, reconnaît l’avocate pénaliste. “Si je ne suis pas propriétaire de mon logement aujourd’hui, c’est à cause de la plongée sous-marine.”
Bref, Claire Josserand-Schmidt n'a finalement qu'un seul regret : elle approche les cinquante ans et ses journées ne font toujours que 24 heures. D’autant qu’en plus du reste, elle aimerait “être une super épouse, une super maman, l’amie du siècle, la sœur géniale, la boss que tout le monde adore, l’avocate que tous les clients apprécient”. Mais pour tout cela, elle n’a pas encore trouvé la formule magique. "Abracadabra", chantent les Eagles of Death Metal dans un de leurs titres. Claire Josserand-Schmidt est aussi leur avocate.