Climat : le patron émirati d’une grosse compagnie pétrolière va-t-il présider la COP28 ?

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Climat : le patron émirati d’une grosse compagnie pétrolière va-t-il présider la COP28 ?

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Sultan Al-Jaber, le 28 novembre 2022, à Abou Dabi.
Sultan Al-Jaber, le 28 novembre 2022, à Abou Dabi.
© AFP - Rashed AL-MANSOORI / UAE's Ministry of Presidential Affairs

Des tweets de journalistes français annoncent la désignation de Sultan Al Jaber au poste de président de la Cop28, qui se tiendra fin 2023 aux Émirats arabes unis. Ce ministre est également à la tête d'une grande compagnie pétrolière. Mais sa nomination n'est pas officielle.

Après l’Écosse en 2021, l’Egypte en 2022, le prochain sommet pour le climat se tiendra en décembre 2023 aux Émirats arabes unis, l’un des plus grands exportateurs de pétrole au monde. Des milliers d'experts du climat, ainsi que 140 chefs d’Etat et de gouvernement seront attendus. Cette Cop sera très importante car elle sera l'occasion du premier bilan mondial et de l’évolution et la mise en œuvre de l’Accord de Paris.

Un homme aurait été choisi pour présider le sommet entre le 30 novembre et le 12 décembre 2023, et orchestrer les négociations : Sultan Al Jaber, ministre de l’Industrie et de la Technologie avancée des Émirats arabes unis. Et... PDG de la compagnie pétrolière Abu Dhabi National Oil Company, l'une des plus grosses au monde. L'information a de quoi faire tousser. Qu'en est-il vraiment ?

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D’où vient l’information ?

Mercredi soir, deux journalistes spécialisés dans l’environnement ont annoncé sur twitter que Sultan Al Jaber serait le président de la Cop 28 : "Je vous présente le président de la Cop28 sur le climat, qui se tiendra l'an prochain à Dubaï : Sultan Al Jaber, ministre de l'Industrie des Émirats arabes unis et... PDG de la compagnie pétrolière Abu Dhabi National Oil Company. Ceci est réel", écrit Loup Espargilière, fondateur du média Vert. Quelques minutes après, la même info se retrouvait dans le tweet d'un journaliste de Mediapart spécialisé dans les questions environnementales :

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Contacté, le journaliste Mickaël Correia nous précise que cette information se trouve dans la dernière newsletter du diplomate spécialisé dans le climat Ed King. "Choisir le PDG d'Abu Dhabi Oil Corporation en tant que chef du climat semblera un choix curieux pour beaucoup", peut-on lire dans cette infolettre parue mercredi. En tout, quatre comptes français ont partagé cette information, vue près d'un million de fois sur le réseau social. Nous avons contacté le secrétariat des Nations Unis, organisateur de la Cop, qui ne nous avait pas répondu au moment de la publication de cet article.

Le Sultan Al Jaber a-t-il été nommé ?

Pas encore, visiblement. Nous n’avons trouvé nulle part la trace d'une annonce officielle. Selon un militant français habitué à participer à des Cop, contacté par France Inter, Sultan Al Jaber pourrait être nommé officiellement lors de la Semaine de la durabilité d'Abou Dhabi (Abu Dhabi Sustainability Week), qui démarre le 14 janvier à Dubaï.

Sa nomination ne serait pas si surprenante que ça. Le Sultan Al Jaber est devenu l’un des porte-voix de la cause environnementale des Émirats arabes unis ces dernières années, avec son rôle depuis plus de deux ans d’envoyé spécial de son pays pour le changement climatique. En novembre 2021, lors de la Cop26, il avait d’ailleurs rencontré la ministre de l’Environnement du gouvernement Castex, Barbara Pompili, pour évoquer l’organisation de cette Cop28.

Lors de la Cop, Sultan Al-Jaber, s'il est élu à la tête de la Conférence des parties, aura un rôle de chef d'orchestre : il place dans l'agenda les négociations et donne le ton. En revanche, le pays organisateur n'a pas plus de responsabilités dans les sessions de négociations.

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Pourquoi cette possible nomination dérange ?

En plus de ses fonctions de ministres et d’envoyé spécial pour changement climatique, Sultan Al Jaber est le PDG du groupe Adnoc (Abu Dhabi National Oil Company), la principale compagnie pétrolière émiratie et l’une des plus grosses du monde, selon GlobalData. Le petit pays du Golfe tire au moins 30 % de son PIB directement du pétrole et du gaz, selon le Guardian. Il est l'un des cinq pays les plus émetteurs de C02 par an et par habitant, avec 20,4 tonnes en 2022 selon le Global Carbon Budget. Un classement dominé par le Qatar, avec 32,6 tonnes par habitant.

En décembre 2021, comme le témoigne cette dépêche de l’AFP, le ministre de l’Industrie considérait que le monde restait "fortement dépendant du pétrole et du gaz". "L’industrie pétrolière et gazière devra investir plus de 600 milliards de dollars […] chaque année jusqu’en 2030, ne serait-ce que pour répondre à la demande prévue". En septembre 2022, Bloomberg donnait les nouveaux objectifs du groupe Adnoc, avec le pompage de cinq millions de barils par jours d’ici 2025 (contre 3,4 millions en août 2022).

Patron d’une compagnie pétrolière et promoteur des énergies renouvelables

Les deux casquettes du Sultan Al Jaber interpellent : à la tête d’une puissante compagnie pétrolière d’un côté, prometteur des énergies vertes de l’autre. Il est également le président de l'entreprise Masdar, qui se présente sur son site comme "un leader mondial des énergies renouvelables et du développement durable". Dans ses prises de position, Sultan Al Jaber s’engage contre le changement climatique et promet de grands investissements pour produire des énergies propres.

Comme le note le Wall Street Journal dans un article, "l'investisseur le plus en vogue dans les énergies renouvelables est un grand producteur de pétrole". D’ailleurs, le siège de l’Agence internationale des énergies renouvelables se situe aux UAE. Le pays a pour ambition d'atteindre zéro émission.  Dans une dépêche écrite le 22 novembre 2022 par l’Emirates News Agency, l'agence de presse officielle, plusieurs investissements sont relayés. "Dr. Al Jaber a déclaré que les EAU ont investi plus de 50 milliards de dollars dans des projets d'énergie propre dans 70 pays, dont 40 nations en développement", peut-on lire. Un partenariat signé début novembre 2022 entre les Etats-Unis et EAU promet 100 milliards d’investissement et la production de 100 gigawatts d’énergie verte d’ici 2025. Mardi, le groupe Adnoc dévoilait dans un communiqué le montant des investissements destinés à des projets de décarbonisation : 15 milliards d’euros.

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Ses annonces en grande pompe ont aussi pour objectif de faire oublier le médiocre bilan environnemental de la riche nation du Golfe, avant l'organisation de la Cop28. Cet automne, le Guardian a d'ailleurs enquêté sur les activités de lobbying climatique du petit Etat pétrolier. Des agences de relations publiques ont été embauchées pour promouvoir l'action du pays dans les énergies vertes.