Comment Hitler s'est emparé du pouvoir en Allemagne ?

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Comment Hitler s'est emparé du pouvoir en Allemagne ?

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Le chancelier de l’Allemagne Adolf Hitler et le Président de l’Allemagne Paul von Hindenburg côte à côte, août 1933
Le chancelier de l’Allemagne Adolf Hitler et le Président de l’Allemagne Paul von Hindenburg côte à côte, août 1933
© Getty - Hulton Archive / Intermittent

Il y a 90 ans, le 30 janvier 1933, Hitler était nommé chancelier. Les nazis exploitèrent une Allemagne défaite, plongée dans une crise totale depuis la fin de la Grande guerre, en réinvestissant la brutalisation sociale et le sombre héritage des vieilles traditions réactionnaires du pays.

L'humiliation de la défaite de 1918 et la contre-révolution d'après-guerre

Si la crise économique des années 1930 reste encore très souvent l'événement historique majeur auquel on se réfère pour expliquer le contexte global qui favorise, sur le très court terme, la prise du pouvoir d'Hitler, elle ne saurait expliquer à elle seule, les origines de l'avènement du nazisme. En effet, Hitler est l'aboutissement d'un héritage politique ultra conservateur en gestation en Allemagne depuis au moins la fin de la Première Guerre mondiale, et qui a contribué à faire le lit du développement de l'idéologie nazie. C'est tout un mouvement contre-révolutionnaire et populiste de droite, qui cultive un esprit d'action directe et de revanche qui prépare la mise au pas de l'Allemagne par les nazis.

L'exploitation de la défaite et de la révolution de 1918 : le "coup de poignard dans le dos"

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Comme nous l'apprend l'historien Nicolas Offenstadt, spécialiste de l'histoire de la Grande guerre, au micro d'Ali Baddou, dans un podcast consacré à l'histoire des révolutions de 1918, il s'agit d'une "Allemagne défaite, écrasée par la paix, en pleine révolution, parcourue de mouvements et d'aspirations fondamentalement antagonistes. Et si l'Allemagne découvre la République à l'issue de la révolution en 1918, elle est aussi celle qui, par ses multiples faiblesses, fait le lit de l'arrivée d'Hitler au pouvoir en 1933 puisque la République de Weimar échoue et conduit inéluctablement à cette tragédie de l'histoire qu'est l'avènement du nazisme". En effet, après l'échec des dernières grandes offensives militaires allemandes en 1918, le pays s'effondre et sombre dans une très grande désillusion, que les mouvements conservateurs s'empressent de récupérer.

Une fois vaincue, l'Allemagne vit dans un état de crise, d'agitation sociale et de désordre politique permanent qui met en péril la survie de la toute jeune République de Weimar, consacrée par le mouvement révolutionnaire de novembre 1918, qui a mis fin à l'Empire allemand. Les forces réactionnaires du pays se liguent aussitôt contre elle et en font la responsable de tous les maux de la société. Les ambitions d'Hitler s'inscrivent dans la continuation de cette contre-révolution qui réagit violemment face à la révolution démocratique. Celle-ci est exploitée par une gauche radicale et des ouvriers qui s'organisent en Conseils d'action directe dans le sillage des idéaux soviétiques.

De nombreux soldats allemands déroutés et de retour du front adhèrent à cette contre-révolution. Ils s'opposent pour beaucoup à la défaite et au changement de régime. Une contre-révolution entretenue par les responsables militaires qui masquent l'étendue du désastre et refusent d'admettre que l'Allemagne est vaincue. Le chef d'état-major allemand fait retomber les responsabilités de la défaite sur le gouvernement de la République de Weimar. Ils alimentent la fausse légende du "coup de poignard dans le dos" relayée par l'ensemble des composantes conservatrices du pays qui se refusent à la défaite. Lesquelles normalisent une culture de stigmatisation politique et sociale en faisant retomber la culpabilité sur les sociaux-démocrates au pouvoir (SPD), jugés responsables d'avoir mené une politique complaisante vis-à-vis de la gauche radicale dite "spartakiste".

Parmi les mouvements d'opposition principaux à avoir cristallisé cette mouvance contre-révolutionnaire qui préfigure le nazisme, on trouve le Parti populaire national allemand fondé en novembre 1918. Avec le Parti ouvrier allemand (DAP), ils forment les deux principaux partis d'opposition d'extrême droite. Ils réinvestissent tous les facteurs idéologiques issus de l'ancien parti conservateur impérial. Une grande partie de leurs adhérents est bientôt amenée à rejoindre le Parti national-socialiste des travailleurs allemands (NSDAP). Dès sa fondation en février 1920, le parti nazi a l'habilité d'attirer toute une jeunesse conservatrice, d'allier nationaux et révolutionnaires, nationaux et bolcheviques, en conciliant des valeurs propres au conservatisme et à la révolution socialiste.

En plus de la défaite, ces mouvances d'opposition alimentent les haines en imputant à la République de Weimar l'entière responsabilité d'un traité de Versailles apparenté à un véritable diktat. La République devient le parfait bouc émissaire de ce spectre réactionnaire qui s'installe très progressivement dans l'Allemagne de l'entre-deux-guerres et qui structure les toutes premières bases de l'idéologie fascisante.

La thèse du "coup de poignard dans le dos" aura représenté un instrument de propagande de premier ordre pour l'extrême droite allemande qui ne se résume plus désormais qu'au Parti nazi, afin de lutter contre la République, les démocrates, les socialistes, les communistes et les Juifs. Elle s'impose à la faveur de la crise comme une formation de masse reprenant à son compte les vieilles traditions du nationalisme germanique, ce qu'on appelait jusque-là l'esprit nationaliste Völkisch.

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Le produit de la brutalisation politique allemande issue de la guerre

L'historien Nicolas Offenstadt explique aussi que "la République de Weimar n'a pas su se séparer de la violence de la guerre et engage une continuité de la brutalisation dans la sphère sociale et politique". L'historien renvoie ainsi au concept de "Brutalisation" avancé par l'historien George L. Mosse, dans son ouvrage de référence "De la grande guerre au totalitarisme" (1990) pour signifier la banalisation sinon l'intériorisation de la violence subie de la Première Guerre mondiale, qui a favorisé la mise en place des totalitarismes du XXe siècle. Le fascisme tire profit de ce goût pour la violence qu'a développé au sein de la société allemande la culture de guerre.

En effet cette crise politique issue de la défaite est immédiatement récupérée par toute une multitude de corps-francs (Freikorps), des unités de volontaires démobilisés du front sur lesquels s'appuie le nouveau régime républicain pour restaurer l'ordre face aux soulèvements de la gauche radicale qu'elle craint davantage. Ces corps francs deviennent des groupes paramilitaires à tendance nationales et conservatrices au sein desquels de nombreux soldats éprouvés par l'idée de la défaite, se réfugient pour continuer le combat. Ils mènent une lutte contre-révolutionnaire armée et violente aux frontières orientales du pays et livrent aussi le pays à une véritable guerre civile en interne pour mater toute tentative d'insurrection bolchevique. Ces troupes n'étaient plus tenues par les règlements conventionnels de la guerre et sévissaient très arbitrairement en brouillant délibérément les distinctions entre militaires et civils. Ce corps d'armée finit par compter près de 100 000 hommes et devient le creuset des forces paramilitaires d'extrême droite des années 1920, dont la Section d'Assaut (SA) du parti nazi.

Ces corps francs rejoignent des groupuscules terroristes illégaux d'extrême droite comme l'organisation Consul menée par l'officier de marine Hermann Ehrhardt, dont certains membres ont éliminé impunément des figures importantes liées à l'Armistice et à la révolution de 1918. En mars 1920, c'est encore la brigade des corps francs d'Ehrhardt qui soutient le coup de force que tente d'opérer le politicien conservateur Wolfgang Kapp, dans un putsch censé renverser, en vain, le gouvernement républicain. De nombreuses organisations secrètes se forment dans les années 1920 et recrutent de nombreux contre-révolutionnaires parmi les soldats et les civils éperdus. Elles n'hésitent pas à fomenter des attentats politiques pour déstabiliser le régime républicain.

Dans cet esprit-là, Hitler expérimente ses pouvoirs d'orateurs au sein du Parti ouvrier Allemand, ce qui lui vaut d'en devenir assez rapidement le principal leader.  rebaptiser dans l'intervalle "Parti national-socialiste allemand des travailleurs Allemands" (NSDAP). Il côtoie déjà tout un monde politique de droite et d'extrême droite nébuleux qui rêve d'une alliance entre conservateurs et nationaux-socialistes. Le parti nazi dispose lui aussi de sa section d'assaut. Ils sont 400 000 à l'été 1932 et 3 millions au printemps 1933. Le parti devient suffisamment puissant pour qu'Hitler tente à son tour de s'emparer du pouvoir localement en Bavière. C'est le putsch manqué de la brasserie à Munich en novembre 1923, qui vaut au leader du parti nazi d'être emprisonné pendant quelques mois, durant lesquels il rédige son manifeste politique Mein Kampf, publié en 1925. Une fois sorti de prison, Hitler s'entoure de nombreux fidèles pour réorganiser le Parti, affiner sa propagande et créer sa propre milice, les SS, ses brigades de protection aux dépens des SA, qui lui permettent d'éliminer à sa guise ses adversaires et de préparer sa marche vers la dictature.

Comme le souligne l'historien Johann Chapoutot, spécialiste de la Seconde Guerre mondiale "le nazisme est à son tour l'héritier d'une culture politique radicalisée par la Grande guerre et l'expérience anthropologique de la violence de masse. Il y a depuis 1918, une brutalisation du discours et des pratiques dont les nazis sont les plus grands représentants".

L'avènement du nazisme au pouvoir

D'une crise à l'autre : l'instrumentalisation de la crise financière de 1929

La République allemande confirme son glissement à droite avec l'élection du maréchal von Hindenburg à la présidence du Reich en avril 1925. Jusqu'en 1928, la République de Weimar retrouve une certaine stabilité  budgétaire et politique, mais de très courte durée. C'est avec la crise économique de 1929 que le parti nazi sort de sa marginalité et finit par incarner progressivement une force politique de premier ordre en exploitant ce marasme économique inédit. D'autant qu'au même moment le plan Young, qui vise à rééchelonner le paiement par l'Allemagne du restant des frais de réparation de guerre et de ses remboursements liés à sa dette publique, cristallise un peu plus les sentiments extrémistes et rapproche sensiblement la droite et l'extrême droite.

L'Allemagne est touchée de plein fouet par cette nouvelle crise économique alors qu'elle n'est toujours pas sortie de la première issue de 1918. Le pays voit sa production industrielle s'effondrer entre 1929 et 1932. En janvier 1929, l'Allemagne recense 3 millions de chômeurs. Les usines ferment les unes après les autres. Les investisseurs désertent et l'endettement extérieur du pays est faramineux. En réaction, le gouvernement de Weimar, successivement dirigé par Heinrich Brüning et Franz Von Papen, exerce une politique de déflation qui s'abat principalement sur les classes sociales les plus fragiles, dont le désarroi moral est exploité par Hitler et ses chemises brunes qui sentent que le vent tourne. Le Parti Nazi en profite pour multiplier les attaques contre l'ensemble des partis politiques qu'il accuse, une fois n'est pas coutume, d'avoir conduit le pays à la ruine, quand lui nourrit les espoirs vains et promet la protection.

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La conquête politique : vers la dictature légale

L'historien Johann Chapouteau rappelle que "les nazis connaissent leur premier grand succès électoral durant les élections de septembre 1930 qui leur donnent 6,5 millions d'électeurs et un peu plus de 100 sièges au Parlement. Le mouvement d'Hitler devient la deuxième force du pays, devant les communistes et derrière les sociaux-démocrates. Il attire de plus en plus l'attention de la presse internationale qui, en médiatisant ses interventions politiques, lui apporte une plus grande popularité".

Pour gagner en notoriété, les nazis ont besoin d'argent pour financer leur propagande. Hitler séduit le grand patronat, les grands magnats de la finance, de l'industrie, les grands acteurs économiques en niant l'influence socialiste et révolutionnaire du programme nazi initial. Le parti nazi représente pour eux le seul garant pour faire barrage à une potentielle révolution communiste. Grâce à eux, Hitler peut sillonner toute l'Allemagne, multiplier les campagnes de presse, les meetings et se porter candidat aux élections présidentielles de mars-avril 1932 face au vieux maréchal Hidenburg, réélu à la présidence du Reich.

Hitler multiplie les attaques contre le gouvernement et les actions directes afin d'obtenir une dissolution du Reichtag (Parlement allemand) et provoquer de nouvelles élections législatives en mars 1933. Une campagne qui permet de faire du Parti national-socialiste la première formation politique du pays avec l'entrée de 230 députés. Mais le président Hindenburg refuse de donner le pouvoir au chef nazi.

La République de Weimar est dans l'impasse, Hitler en a bien conscience et sait qu'il suffit de peu de choses pour que le Parti nazi accède au pouvoir par la voie démocratique. C'est alors que l'ancien chancelier, Franz Von Papen, habitué des cercles de pouvoir, joue les intermédiaires auprès de Hindenburg pour nommer le chef du parti nazi à la Chancellerie grâce à l'appui des forces de l'argent. Le 30 janvier 1933, Hindenburg se laisse convaincre et nomme Hitler chancelier. Papen se persuade naïvement qu'en tant que vice-chancelier, il va pouvoir maîtriser Hitler. C'est tout le contraire qui se produit puisqu'en quelques mois, Hitler opère sa révolution nationale-socialiste, il déroule un programme d'élimination totale de la démocratie allemande.

Les pleins pouvoirs lui sont conférés à la suite de l'incendie du Reichstag (février 1933), puisqu'il dicte un décret d'urgence qui lui permet de restreindre les libertés les plus fondamentales. Il ne lui reste plus qu'à proclamer le NSDAP parti unique le 14 juillet 1933, de mettre fin au pluralisme politique et d'éliminer tous les opposants pour avoir les mains pleinement libres. C'est ainsi qu'il instaure le Troisième Reich fondé sur une dictature totalitaire, antisémite, raciste, impérialiste, en toute légalité et prépare la Seconde guerre mondiale.

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