Comment l'archéologie raconte-t-elle l'histoire de l'humanité ?

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Comment l'archéologie raconte-t-elle l'histoire de l'humanité ?

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Une photo extraite du film "Indiana Jones et les aventuriers de l'arche perdue" (1981) avec le célèbre archéologue de fiction de Steven Spielberg, interprété par Harrison Ford
Une photo extraite du film "Indiana Jones et les aventuriers de l'arche perdue" (1981) avec le célèbre archéologue de fiction de Steven Spielberg, interprété par Harrison Ford
© Getty - Sunset Boulevard / Contributeur

L’archéologue s’intéresse aux données matérielles, aux trésors du sol et permet aux livres d’histoire d’exister. Le travail de l'historien est inhérent au sien dans la mesure où les historiens rapportent souvent un savoir d'abord enfoui. Sans l'archéologie, la recherche de la compréhension du passé serait impossible.

Dans l'émission "La Terre au carré", au micro de Mathieu Vidard et de Camille Crosnier, l'historien et archéologue, Alain Schnaps, revient sur les raisons pour lesquelles les ruines architecturales, trésors des temps passés, fascinent toujours autant les sociétés. Si elles représentent les derniers grands vestiges des civilisations à travers les âges et alimentent notre mémoire, c'est d'abord grâce à l'archéologie. L'occasion de retracer l'histoire de cette science à part entière, la manière dont elle s'est inventée et professionnalisée, et comment celle-ci a rendu possible l'écriture de l'histoire. 

L'archéologue redonne toute son histoire à l'humanité

L’archéologue retrouve tout ce qui se réfère à l’histoire, les traces du passé, il débusque, exhume et collecte l’histoire pour qu’elle soit ensuite interprétée et déchiffrée par l'historien. Par la collecte des traces matérielles passées, les archéologues perpétuent ainsi le souvenir des actions passées des humains. 

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L'ancien directeur de l'Institut national d'histoire de l'art précise que "l'archéologue est au centre d'un processus de pensée qui consiste à porter un héritage, une chaîne qui nous relie au passé sans laquelle nous n'existerions pas. Il n'y aurait pas de société, ni d'hommes sans mémoire. La ruine est un objet matériel qui nous évoque, par sa présence même, la présence d'autres hommes, témoignant au passage de toute une pluralité de civilisations et de sociétés qui ont eu leur propre rapport au monde, que cela soit grâce aux fragments, aux décombres de temples monumentaux, de châteaux ou d'inscriptions". 

Il y a, derrière l'exhumation des vestiges, une fascination qui mobilise la compréhension historique de notre humanité.

L'archéologue reflète toute la fragilité du lien que les hommes ressentent avec le passé, un souci du passé qui fascine l'humanité et confère paradoxalement à l'archéologie, comme à l'histoire, toute sa force. La conception que l'on se fait de la ruine relève d'une vision du monde qui s'arrête subitement à l'idée d'effondrement, de la violence de la nature, de la violence des hommes, etc".

L’archéologie dans l’histoire 

Déjà à l'époque antique, les Egyptiens s'intéressaient aux ruines. Des prêtres et des scribes étaient capables d'identifier (de restaurer même) les contours de monuments enfouis et réutilisaient toute la symbolique de ces ruines, de ces fragments de constructions anciennes, d'inscriptions anciennes. Mais l'objectif jusqu'à la fin du Moyen-âge était surtout de consolider le pouvoir politique et religieux

D'après l'historien, "les scribes mettaient en relation les dynasties, les empires avec le temps passé, citant au passage Lucrèce, un poète latin du Ier siècle av J.-C qui faisait comprendre que, déjà, chez les Latins et les Grecs, existait cette idée des vestiges qui deviendraient un jour des ruines.

Le monde un jour périra, le ciel s'effondrera, la terre s'effondrera et, à la fin, il ne restera du monde qu'une ruine confuse. 

- Lucrèce

L'archéologue nous apprend que "c'est à partir de la Renaissance qu'un vrai changement s'opère dans le rapport aux vestiges du passé. L'heure est à la redécouverte de la pensée classique. Les humanistes procèdent à une révolution culturelle sur les vestiges de la connaissance antique : "Les auteurs, les peintres, les érudits découvrent que la transmission des œuvres gréco-romaines, et plus tard orientales, n'a pas été opérée et qu'il est temps de s'y mettre. Certains bâtiments ont survécu, mais on n'a pas encore suffisamment de moyens pour les reconnaître authentiquement. Alors pour compenser ce manque, l'époque des XVe-XVIe siècles invente quelque chose d'extraordinaire qui, aujourd'hui paraît banal : les architectes se mettent d'accord avec les philologues pour dessiner et reproduire les Antiquités".

Les hommes de la Renaissance se mettent véritablement à regarder le sol. Comme le marchand et humaniste italien, Cyriaque d’Ancône (1391-1452) qui est encore, aujourd'hui, considéré comme l'un des premiers archéologues. C'est à l’instigation des humanistes auxquels ce dernier fait partie que les vestiges commencent à devenir des objets porteurs de signification, qu’ils sont collectionnés et décryptés pour tenter de rendre compréhensibles des textes anciens. Les ruines accumulées suscitent autant d'intérêt qu'elles font l’objet de nombreuses publications grâce au développement de l’imprimerie. 

Les premières fouilles (primitives si l'on peut dire) sont effectuées par ceux que l'on appelle "les antiquaires modernes". Avec François Roger de Gaignières (1642-1715), alors généalogiste et collectionneur de son état, on s’intéresse à la découverte des tombeaux et des trésors antiques. 

Mais "la notion de 'ruines' devient universelle à partir des Lumières, au XVIIIe siècle, poursuit l'archéologue, à un moment où les penseurs comme Denis Diderot et quelques autres, réfléchissent à la variété des civilisations humaines dans une vision certes européo-centrée". C'est à ce moment-là que la publication sur la connaissance des vestiges s'intensifie et marque la transition qui conduit à l’archéologie contemporaine. Des hommes passionnés par toutes les sciences réunies comme le médecin Jacob Spon (1647-1685) qui s’appuient sur des corporations savantes, le moine Bernard de Montfaucon (1655-1741) ou encore l'antiquaire Anne Claude de Caylus (1692-1765) qui est à l'origine de "l'archéologie comparative".

Les sites de Herculanum et de Pompéi sont respectivement fouillés pour la première fois en 1738 et 1748 et c'est depuis ces grandes exhumations que l’archéologie a commencé à s'ériger en une science méthodique et rigoureuse. 

L'archéologie devient scientifique

Avec le XIXe siècle et la période romantique, c’est le début du développement de l'archéologie scientifique via la naissance des institutions scientifiques, d'une société savante qui entend rendre compte de la collecte via la publication des vestiges et l'application de méthodes précises de description. Ce sont des personnalités comme Oscar Montelius ou encore Christian Jürgensen Thomsen qui élaborent respectivement un système de classement des outils préhistoriques et de classement des artefacts

D'autres comme Sir Arthur John Evans (1851-1941), Arcisse de Caumont (1801-1873) perfectionnent le caractère démonstratif de l’archéologie et donnent naissance à "l’archéologie expérimentale". Augustus Pitt Rivers (1827-1900), collectionneur d’objet archéologique met au point l’idée de la méthode stratigraphique qui consiste en une étude des différentes couches du sol (géologiques). Ce sont ces chercheurs éminents qui contribuent à professionnaliser l'archéologie. 

Quant à l'institutionnalisation de l’archéologie, il faut attendre le XXe siècle et les années 1970'. L'archéologie devient alors préventive. La première loi de protection réglementation des sites archéologiques intervient en 1941, c'est la loi Carcopino. Le soucis de la destruction des vestiges du passé au profit de la construction de structures nouvelles conduit à encadrer les fouilles grâce, en 1986, à la loi sur l’archéologie préventive qui conduit à évaluer un site avant de construire ; s'ensuit la loi de 2001 qui lui confère son caractère public et scientifique : trouver des traces de prédécesseurs devient une vocation à part entière. Puis, en 2002, la création de l’INRAP permet de financer les fouilles et de conduire à une véritable spécialisation des archéologues selon leur domaine de prédilection. 

À noter qu'aujourd'hui, l'archéologie se diversifie tellement que l'archéologue s'initie à des techniques d'analyse moléculaires dans le cadre de la paléontologie et de l'archéologie génétique. Celle-ci repose sur l'étude de l'ADN fossile. Le métier de l'archéologue est nécessairement devenu pluridisciplinaire. 

Aller plus loin

🎧 RÉÉCOUTER - La Terre au carré : Une histoire universelle des ruines

📖 LIRE - Alain Schnaps : Histoire universelle des ruines des origines aux lumières (Éditions du Seuil).