Comment le compteur des féminicides instauré par des militantes est devenu une référence

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Comment le compteur des féminicides instauré par des militantes est devenu une référence

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À Paris, place de la Bastille, des affiches pour interpeller sur les féminicides.
À Paris, place de la Bastille, des affiches pour interpeller sur les féminicides.
© AFP - Riccardo Milani/Hans Lucas

Sur les réseaux sociaux, quatre femmes qui ne se sont jamais rencontrées physiquement livrent le décompte régulier des meurtres de femmes commis par leurs conjoints et ex-conjoints. Longtemps ignoré, leur compteur de féminicides est maintenant régulièrement cité dans les médias.

D’emblée, Julia prévient : elle ne veut voir apparaître dans cet article ni la ville où elle réside, ni sa profession exacte. "On reçoit suffisamment de message haineux comme ça", souffle celle dont on précisera seulement qu'elle exerce comme travailleuse sociale dans le sud de la France. L'anonymat est le revers de la médaille pour ce petit collectif de militantes féministes, récemment projeté sous les feux des projecteurs. 

Âgées de 27 à 60 ans, elles sont quatre aujourd’hui à tenir la page Facebook "Féminicides par compagnon ou ex" et le compte Twitter portant le même intitulé, qui décomptent, jour après jour, les meurtres de femmes par leur conjoint

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Toutes les quatre ne se sont jamais rencontrées physiquement. C'est sur les réseaux sociaux qu'elles ont fait connaissance, via un groupe qui réclamait la pénalisation des clients de prostituées. "De façon générale, nous refusons qu’un homme puisse disposer du corps et de la vie d’une femme", résume Julia.

Revue de presse quotidienne

Jusqu’en 2016, un blog s’attachait à dresser la liste, au hasard des articles de presse, "des femmes ayant succombé à la violence conjugale". Quand sa contributrice déménage en Inde et se voit contrainte d’arrêter, Julia et d’autres militantes décident de reprendre le flambeau. Elle créent leur page Facebook en juillet 2016.

S’installe alors une éprouvante routine quotidienne, qui consiste à éplucher les publications de la presse régionale et nationale. "Je faisais ma revue de presse le matin, devant mon café. Autant vous dire qu’avec tout ça, je ne déjeunais pas beaucoup", raconte Julia. Grâce à quelque 70 mots clés, Google leur fait remonter les articles et leur lot de "drames conjugaux" et "crimes passionnels", des expressions que les militantes rejettent, leur reprochant de minimiser la réalité des meurtres de femmes.

Compteur en temps réel 

C'est ainsi que se constitue une chronologie en temps réel des féminicides. Une façon de rendre le phénomène bien plus concret que les chiffres publiés par le ministère de la Justice "avec un an et demi de retard", estime Julia. Pour des résultats quasi-identiques : en 2018, les militantes ont recensé 120 meurtres de femmes par leurs conjoints ou ex-conjoints, soit un de moins que les chiffres officiels dévoilés en juillet par le gouvernement.

La notoriété du collectif a fait un bond en mars dernier quand, à l’occasion de la journée internationale pour les droits des femmes, un autre collectif, Nous Toutes (18 000 abonnés), s'est mis à relayer ses publications. Depuis, nombre de médias, comme l'AFP ou France Inter, s’appuient sur ce décompte, dans une actualité marquée par le Grenelle des violences conjugales, qui se tient jusqu'au 25 novembre.

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"Ça nous met une certaine pression", reconnaît Julia. "À présent on fait beaucoup plus gaffe".

On a par exemple dû voter pour savoir si on devait parler de la mort d’une femme qui avait sauté de son balcon pour échapper à son mari violent. Certes, il ne l’avait pas poussée. Mais s’il ne l’avait pas enfermée sur ce balcon…

Un décompte sur lequel certains refusent néanmoins de s'appuyer. "Seule la justice donne des chiffres, pas un compte twitter", déclarait, un brin agacé, le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner, le 17 septembre sur le plateau de BFM TV.

Cette visibilité nouvelle a induit d'autres changements, pour les quatre militantes. Plus besoin de passer la presse au peigne fin, ce sont les internautes qui leur envoient eux-mêmes les articles au collectif. Celui-ci est aussi régulièrement contacté par des femmes victimes de violences, désorientées. Et puis il y a les insultes, les menaces. "On reçoit souvent des messages des proches du tueur qui nous accusent de diffamation. Mais on ne fait que relayer les articles des journalistes !" souligne Julia.

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Depuis janvier 2017, à l'initiative de la journaliste Titiou Lecoq, le journal Libération égrène également mois après mois les meurtres conjugaux, selon la même méthode.