Comment les femmes ont été exclues peu à peu du monde numérique
Par Christine SiméoneLa Gaieté Lyrique à Paris propose à partir du 14 mars l'exposition Computer GRRRLS qui sonne comme un grognement de colère face à l'oubli de l'apport des femmes dans l'histoire du numérique. 23 artistes ou collectifs exposent leurs regards sur un monde colonisé par les mâles blancs dans les années 80.
Les principales innovations de l'informatiques sont nées entre les mains de femmes. On a mis en avant quelques figures de femmes hors normes, comme Ada Lovelace qui dès _d_écembre 1815 à Londres, a conçu ce que l'on considère comme le premier programme informatique, ou Hedy Lamarr, actrice à Hollywood et conceptrice du système qui sécurise encore aujourd'hui les liaisons wifi et bluetooth.
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Exposition "Computer Grrrls"
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Les femmes au cœur des inventions informatiques
Pour le reste la multitude de femmes qui ont fait émerger l'informatique, sont en général désignées sous des termes génériques tels que telephone girls, rocket girls (pour celles qui travaillaient pour la NASA). On avait même inventé une unité de mesure, le kilo girl, pour parler d'un millier de calcul par femmes.
Car les calculatrices avant d'être des machines, ont été des femmes. Une multitude de femmes employées à la saisie de données sur papier et aux calculs.
Ce qui a motivé Marie Lechner, commissaire de l'exposition Computer Grrrls à la Gaieté Lyrique : "Je m'intéresse aux femmes qui intervenaient à tous les niveaux de l'informatique, sur les photos on voit des salles remplies de femmes en train de saisir des données et calculer. Les hommes ont fabriqué les machines et les femmes ont mis en place les interfaces. Pour Colossus, qui a déchiffré Enigma, ou l'Eniac, le premier ordinateur complètement électronique, ce sont les femmes qui ont fait comprendre les équations aux machines. C’était très difficile, et ce sont souvent les anciennes human computers, les calculatrices, qui ont réussi ce travail."
Dans les années 70, la donne va changer pour les femmes.
En français, ordinateur plutôt qu'ordinatrice, c'est le choix d'IBM
Saviez-vous que les ordinateurs auraient pu être des ordinatrices. Si l'on dit ordinateur c'est à cause d'IBM.
En 1955, la firme américaine a consulté le philologue français Jacques Perret pour traduire le terme anglais « computer ». Celui-ci a proposé 'ordinateur' en pensant à Dieu qui met de l’ordre dans le monde. Mais il a conseillé l'adoption du mot 'ordinatrice', pour échapper à la connotation religieuse. IBM n'a pas écouté ce conseil, et nous avons eu des ordinateurs.
Et le nerd naquit
A un moment on va se rendre compte que cette profession très peu payée, mal reconnue, est un secteur stratégique. "Et là se passe quelque chose d'inédit", explique Marie Lechner, "c'est la construction de cette mythologie du nerd, cet homme asocial, qui aime les échecs et sa machine. C'est sur cette image que l'on va recruter des jeunes hommes. Les femmes se font exclure peu à peu du domaine, surtout dans les années 80 avec l'arrivée de l'ordinateur personnel; tout le marketing et les publicité sont faits pour les hommes et leurs fils, les femmes deviennent passives quand on montre leur image dans les publicités. Ainsi peu à peu les femmes ne sont plus senties attirées par ce domaine".
Cette mise sur la touche des femmes a pour conséquence les résultats que l'on observe aujourd'hui, en plus de l'oubli du rôle historique des femmes : il n'y a pas plus de 15% de femmes dans les professions techniques, recul énorme par rapport à il y a 30 ans.
Le cyberféminisme et les artistes
Dès les années 90 des mouvements cyber féministes très actifs ont alerté sur le fait que le web était colonisé par les hommes. Les artistes et militantes de ces mouvements ont alors appelé les femmes investir la toile, à s'approprier les outils, et de casser cette logique masculine.
Les 23 artistes et collectifs venus de divers pays qui sont présentés à la Gaieté Lyrique, sont des artistes nées avec le numérique. Elles redécouvrent cette histoire, et interroge le monde d'aujourd'hui.
Designeuses, makeuses, hackeuses, cher- cheuses contemporaines réinventent l’alliance entre les femmes et les machines en utilisant des outils de création divers : impression 3D, tutoriels YouTube, réalité virtuelle, installations vidéo, algorithmes, gonflables, films publicitaires.
Elles permettront de réaliser les biais de genre, les biais racistes des algorithmes et de se projeter dans l'avenir. Elles montrent la nécessité pour les femmes et les minorités en général d'agir, de fabriquer l'internet elle-mêmes, pour ne pas en être exclues.