Comment #MeToo nous a amenés à repenser les normes de la sexualité ?

Retour sur ces normes sociales qui empêchent les hommes et les femmes de jouir d'une sexualité consentie, plus apaisée, plus joyeuse, plus créative, plus libératrice où tout le monde serait gagnant. Comment MeToo aide à mieux comprendre les représentations que l'on se fait du consentement, du corps et du désir ?
Dans Pas son genre, au micro de Giulia Foïs, la journaliste et réalisatrice, Ovidie, et l’écrivain, Martin Page, pointent les nombreux codes culturels et sociaux encore solidement ancrés et inconsciemment intériorisés chez les hommes comme chez les femmes.
Ces "vieilles normes sociales" continuent d'empêcher le plein épanouissement d'une vie sexuelle digne de ce nom. Certes depuis Metoo, de plus en plus d'hommes et de femmes prennent conscience que perdurent encore de mauvaises représentations de la vie sexuelle, du rapport au corps, essentiellement du point de vue du consentement et du désir mutuels :
Après MeToo : repenser toutes ces normes préconçues de la vie sexuelle
Ovidie interroge la révolution qu'a représenté Metoo dans la prise de conscience des mauvaises représentations : "Le mouvement a considérablement rebattu les cartes des rapports hommes/femmes et ce, à tous les niveaux, que ce soit du point de vue de la charge mentale, dans notre façon de baiser, dans notre intimité. Tout cela nous a amené.e.s à nous interroger sur le niveau du consentement, à réfléchir nécessairement sur la provenance de nos fantasmes.
Ce qu'il y a de révolutionnaire, c'est le simple fait d'interroger enfin la sexualité qui nous a toujours été donnée pour acquise. Il s'agit désormais d'apprendre à poser des mots, et de prendre conscience de l'effet performatif du langage dans la vie sexuelle. On a commencé à poser des mots sur des situations qui ne nous semblaient pas normales à un moment (du point de vue de la pénétration lorsqu'une personne est endormie, de la sodomie imposée pendant un rapport sexuel), en somme, toutes les situations d'entourloupes qui concernent les viols en premier lieu".
Martin Page ajoute "qu'il est notamment question de domination de la sexualité. On en parle beaucoup plus aujourd'hui".
C'était difficile, il y a quelques années, de critiquer la norme sociale.
La base : le consentement sexuel
On aimerait se dire que la sexualité est un lieu de partage, d'échange, d'harmonie et d'équilibre mais Giulia Foïs rappelle que, malheureusement, ce n'est pas toujours la réalité. S'il y a bien un principe de base qui conditionne tout le reste, c'est-à-dire un rapport sexuel ouvert et épanoui, c'est le consentement mutuel :
Ovidie :
Le monde s'est réveillé en se demandant ce qu'était le consentement. On a découvert de nouveaux termes, de nouveaux concepts comme cette fameuse « zone grise » .
La journaliste souligne en particulier cette dangereuse interprétation que font les hommes quand ils pensent à tort ou à raison que leur partenaire est consentante ou pas. Plutôt que de poser les mots une bonne fois pour toutes et de se demander mutuellement dès le départ, ou pendant, si son partenaire est consentant, les deux se laissent dépasser par une zone grise qui peut s'avérer bien plus redoutable pour la suite :
Par zone grise, on entend toute cette zone où finalement on vivrait un rapport sexuel sans s'y opposer fermement, sans y consentir réellement.
Une zone grise dont sont essentiellement victimes les femmes qui en parlent enfin, elles osent dire les choses. L'enquête Nous Toutes sur la question du consentement nous apprenait que 100 000 personnes dont 96 000 femmes s'étaient jeté.e.s sur ce questionnaire posté sur les réseaux sociaux, comme s'il y avait une urgence à dire les choses.
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Giulia Foïs nous apprend que c'est plus d'une femme sur deux qui a déjà vécu un rapport non consenti. Quand pour 16 % des femmes, c'est l'entrée dans la vie sexuelle qui se fait sous la contrainte. Et quand on tente de refuser la contrainte, une fois sur deux, ce sont des propos dévalorisants qui viennent compenser la frustration du partenaire déçu par des "t'es moche" ; "t'es frigide, "t'es coincée"…
- Quand le sexe est vécu comme un dû par de nombreux hommes (et des femmes qui l'ont intériorisé…)
Ovidie : "Il peut être vécu comme un dû à partir du moment où on est en relation hétérosexuelle. Il y a une attente conçue culturellement par l'homme par rapport à la femme. C'est ce que l'on a appelé pendant très longtemps "le devoir conjugal". C'est de là que ça vient. Très souvent, il peut y avoir une attente de "remboursement en nature".
Cette idée que les hommes ont des besoins persiste encore. Qu'il faille les satisfaire à tous prix. À partir du moment où on donne de l'amour, il faut recevoir du sexe.
- Quand dire "non" sur le moment ne va pas encore de soi chez toutes et tous
Dans les lettres anonymes qu'elle a reçues, Ovidie essaie de pointer du doigt des situations qui sont devenues pour beaucoup de femmes extrêmement banales et qui font qu'elles ont toujours beaucoup de mal à exprimer cet état de fait :
Ovidie : "Toutes les lettres que je reçois, finalement, parlent de situations que la plupart des femmes hétérosexuelles ont vécues. Des situations qui sont extrêmement classiques où il n'y a pas forcément de clash extrêmement spectaculaire, où l'on n'est pas dans une situation où la femme en question va se débattre, hurler ou même être traumatisée par son non-consentement non exprimé.
Ce sont des situations qui sont tellement intériorisées comme banales que, finalement, la plupart du temps, nombreuses sont celles qui s'en remettent sans trop grande difficulté
Ça dépend bien sûr de la personne car tout le monde ne se remet pas forcément de ça de la même façon, et au même rythme".
- 22% des hommes admettent avoir commis au moins un type d’agression sexuelle sur une femme (IFOP)
Ce qui est frappant dans le phénomène MeToo, est de se rendre compte de la passivité du phénomène. Du côté des hommes, un chiffre édifiant a été publié par l'Ifop l'an dernier : 22 % des hommes admettent avoir eu des gestes, des caresses, des pratiques sexuelles avec une partenaire qui, clairement, n'en voulait pas.
Martin Page :
L'agression sexuelle est une norme sociale et cela est directement issu d'un problème dans l'éducation des garçons.
- Faut-il accuser une totale ignorance de la question du consentement ou les codes culturels hérités de l'enfance ?
Les deux invités mettent en question les anciens modèles d'éducation qui ont été transmis dès l’enfance, dont le manque de sensibilisation à la compréhension de l'autre, l'égalité, le dialogue entre hommes et femmes, et la vision intériorisée d'une domination masculine qui conditionnerait tout le reste. Tout cela finissant par sacrifier, par le futur, l'épanouissement d'une relation sexuelle basée sur le consentement et le désir mutuels. Tout un phénomène culturel générationnel qui est en voie d'être repensé grâce à MeToo.
Martin Page : "Parfois rien ne nous a été dit, mais on est aussi des êtres mûrs, des êtres d'intellect, et on devrait pouvoir se poser des questions (en toute conscience, sans tiers). Cela répond à un environnement culturel qui fait qu'au départ on éduque mal les petits garçons en devenir. On les coupe de leurs émotions, de leurs sentiments. On les fabrique pour que ça se passe mal (...)
Les adultes ont du mal à parler de sexualité aux jeunes gens aussi, parce qu'eux-mêmes sont embourbés dans leurs codes de sexualité. C'est pourquoi il est formidable qu'il y ait des gens formés pour parler de sexualité avec les plus jeunes.
Ovidie : "C'est quelque chose de générationnel. Durant mon enfance, on ne m'a pas parlé de consentement non plus. On ne nous a pas parlé, à nous les filles, non plus. Il y a encore dans beaucoup d'esprits cette idée que s'assurer du consentement de l'autre c'est forcément quelque chose qui est tue-l'amour… Non, dites-vous simplement que le consentement, c'est juste de s'assurer, au cours du rapport, si tout se passe bien".
C'est quand même sexy et excitant quand ça se passe bien !
Quand il s'agit encore de contenter le seul plaisir de son partenaire au détriment du sien…
Dans le sondage Ifop publié l'année dernière (2019), une femme sur quatre n'a pas joui lors de son dernier rapport. Deux femmes sur trois simulent souvent ou parfois principalement. Ovidie explique quelles peuvent en être les raisons :
Ovidie : "U_ne femme, dans le cadre d'un rapport hétérosexuel, a souvent un rapport en échange de quelque chose. C'est-à-dire que la finalité du rapport ce n'est pas nécessairement son propre plaisir. La finalité va consister à satisfaire l'autre en premier lieu car certaines estimeront que c'est par là qu'elles maintiendront leur couple, qu'elles obtiendront quelque chose en échange. Le sexe serait aussi un moyen pour se revaloriser à travers le regard masculin. _
Quand je parle à des filles de tous les âges, je me rends compte que le plaisir, ce n'est pas leur but numéro 1. Elles sont d'abord dans la représentation avant d'être vraiment dans leur corps.
Aller plus loin
🎧 RÉÉCOUTER - Pas son genre : Baiser après MeToo avec Ovidie et Martin Page
📖 LIRE - Ovidie (co-écrit avec Diglee) : Baiser après Metoo : Lettres à nos amants foireux (Marabulles)
📖 LIRE - Martin Page : Au-delà de la pénétration (Nouvel Attila)