Covid - "Préserver la biodiversité est la solution pour lutter contre les pandémies" selon Marie-Monique Robin
Comment nos activités en réduisant la biodiversité ont-elles créé les conditions de la pandémie ? Pourquoi des pays comme la Thaïlande ou des continents comme l’Afrique comptent-ils peu de morts de la covid-19 ? Comment agir concrètement pour maintenir de la place pour la nature ? Réponses dans "La Terre au carré".
La journaliste et réalisatrice Marie-Monique Robin publie, avec l’écologue Serge Morant, "La Fabrique des pandémies, Préserver la biodiversité, un impératif pour la santé (Ed La Découverte)". Un ouvrage à partir d’entretiens avec plus d’une soixantaine de scientifiques. Les deux co-auteurs étaient les invités de l’émission La Terre au carré, pour répondre aux questions sur les liens entre nature préservée et santé humaine.
Une pandémie pas surprenante pour les scientifiques
A l’origine du livre La Fabrique des pandémies, la lecture par Marie-Monique Robin de l’article de David Quammen dans le New York times il y a un an. Marie-Monique Robin a ensuite enquêté auprès de 62 scientifiques qui lui ont expliqué comment éviter une pandémie d’épidémies, une ère de confinement chronique. Unanimes, ils ont tous dit que cela passait par la préservation de la biodiversité.
Et tous alertent sur l’urgence d’adopter de véritables pratiques écologiques pour éviter d’entrée dans l’ère du confinement chronique.
Serge Morant : "La pandémie que nous vivons en ce moment est tout sauf une surprise. Si on regarde les 40 dernières années on assiste à une augmentation des épidémies de maladies zoonotiques (liées aux animaux sauvages et aux animaux domestiques). Dans un monde globalisé, elles deviennent elles aussi plus généralisées. Des changements à une petite échelle provoquent de petites épidémies. Mais si cela arrive dans un centre comme Wuhan, cela se diffuse dans le monde entier. Ce qui était totalement prévu."
Marie-Monique Robin ajoute : "J’ai lu les textes récents de scientifiques issus des cinq continents, de toutes les spécialités : des zoologues, parasitologues, médecins, vétérinaires… Ils évoquaient l’arrivée de ces épidémies liées à l’effondrement de la biodiversité."
L'origine du coronavirus
Marie-Monique Robin : "D’après les scientifiques, on ne peut pas connaître l'origine précise de ce coronavirus. On sait qu’il provient d'une chauve-souris : mais on ne sait pas quel était l'animal intermédiaire.
Au début, on parlait du pangolin. C'est apparemment exclu.
Une chercheuse a fait des prélèvements sur 400 d’entre eux qui avaient été arrachés aux mains des trafiquants en Malaisie. Aucun n’était porteur de ce coronavirus-là. Si un pangolin a été contaminé, c'est en bout de chaîne.
Dans le livre, des chercheurs évoquent une autre hypothèse.
Ce virus pourrait être originaire des élevages intensifs de porcs de la région de Wuhan. Il y a eu une grippe porcine. Ce qui aurait pu laisser passer sous le radar les cas d'infection par un coronavirus.
Il y a aussi la piste de l’erreur de manipulation dans le laboratoire P4 qu’on ne peut pas exclure pour l’instant. L’enquête de l’OMS devrait nous en apprendre un peu plus. Mais si un laboratoire P4 existe c'est parce qu'il y a des agents pathogènes chez les animaux sauvages. Et que l’homme créé ce que le spécialiste des changements environnementaux Jean-François Guégan appelle "des territoires d'émergence".
Le lien entre biodiversité et maladies
Les scientifiques ont mis au jour les mécanismes qui expliquent comment la biodiversité protège des maladies. Serge Morant évoque l’immuno-écologie. "Testée sur les rongeurs, elle pose comme postulat que l’écologie fait partie de l’homéostasie (phénomène par lequel un facteur clé est maintenu autour d'une valeur bénéfique pour le système considéré, grâce à un processus de régulation) de l’individu.
L’apprentissage de l’immunologie passe par la rencontre avec des virus pas forcément mortels qui entrainent le système immunitaire.
En Thaïlande, où je vis, nous sommes dans des endroits où beaucoup de coronavirus circulent. Et la crise de la COVID-19 est moins mortelle. A population semblable à la France, ils ont eu 79 morts contre 65 000."
Marie-Monique Robin confirme. "C’est la même chose en Afrique à qui on avait prédit une hécatombe avec des millions de morts du coronavirus. Or ce n’est pas le cas, en particulier dans les zones rurales.
On a constaté que les villageois africains ne parquent pas leurs animaux.
Un virologue gabonais explique que le bétail, ou les animaux domestiques, vont se rendre à la lisière des forêts. Ils vont croiser là des chauves-souris qui ont des coronavirus pas exactement les même que le SARS-CoV-2. Mais ces virus rencontrés sont suffisamment proches pour protéger en partie les populations lorsqu’elles sont contaminées.
Ensuite, lorsque les habitants de ce continent sont exposés petits à une grande biodiversité, ils renforcent leur système immunitaire, entre autre par l'intermédiaire du microbiote, la flore intestinale.
L'autre explication est aussi surprenante : le fait qu'ils soient exposés enfants à des vers intestinaux renforce le système immunitaire des Africains et les met à l'abri d’orages inflammatoires qui caractérisent notamment les facteurs de comorbidité de la Covid.
A contrario, on peut ajouter que la domestication a joué un rôle très important dans l'émergence de nouveaux virus. Un agent pathogène zoonotique ne passe jamais directement à l'homme. Le meilleur intermédiaire est le cochon qui partage avec tout 95 % de nos gènes.
D’après les scientifiques, le meilleur moyen d'humaniser un virus qui vient d'une chauve-souris, c’est un élevage de cochons !
Les virus émergents, une notion pourtant déjà ancienne, mais oubliée
Ce sont les infections nouvelles, causées par l'évolution ou la modification d'un agent pathogène ou d'un parasite existant. L’expression est utilisée en 1989 lors de la conférence de Washington. Marie-Monique Robin raconte : "Les meilleurs scientifiques du monde donnent alors les principales causes de l'émergence des maladies qui sont à l'époque : Ebola, le sida, la légionellose et toute une série de maladies infectieuses**. Ils s’accordent pour leur donner une origine : les activités entropiques, les activités humaines comme la déforestation.** Le monde oublie les causes des maladies nouvelles à la faveur de la chute du Mur de Berlin. Marie-Monique Robin poursuit : "C’est incroyable ! Tout est dit il y a trente ans déjà. Mais à cause de la chute de l'Union soviétique, le monde va passer sous la houlette des Etats-Unis."
Eux prônent la doctrine de la "preparendes". Ils préfèrent se préparer à des épidémies, ou des catastrophes, plutôt que d’agir pour qu’elles ne surviennent pas.
On oublie de travailler sur ce qui mérite véritablement d'être affronté : les causes entropiques de l'émergence de ces virus. C'est un échec total.
La solution ? Une stratégie globale
Serge Morant ajoute : "Cette stratégie n’a pas fonctionné. On n’est pas préparé à l’arrivée de nouveaux virus que nous ne connaissons encore pas. Il faut revenir au traitement des causes des arrivées des maladies que l’on connait."
La solution évoquée par les scientifiques serait de se mettre autour d’une table pour aller vers "le One else" une seule santé planétaire avec une vision globale. Marie-Monique Robin : "La plupart des scientifiques dans ce livre disent avoir besoin d'excellence : de bons virologues, d'excellents infectiologues etc…
Mais étant donné les défis de l'anthropocène (l'homme qui est la plus grosse force géologique de la planète) comme l'extinction de la biodiversité, le dérèglement climatique... Il faut changer les logiciels.
Il faut regrouper toutes les forces de la science pour qu'elles convergent vers une science des solutions où toutes les meilleures compétences se réunissent pour se dire : "que fait-on ensemble pour résoudre ces problèmes planétaires ?" Et si on prenait les bonnes mesures pour le climat, ça serait également bon pour la biodiversité et la santé. C’est le gagnant gagnant.
Lutter contre les inégalités aiderait à préserver notre santé planétaire
Marie Monique Robin : "Le chercheur Safa Motesharreia publié une étude en 2014 pour expliquer la disparition totale de civilisations antérieures comme l'île de Pâques ou les Mayas. Pour lui, il y deux raisons : la surexploitation des ressources naturelles couplées à une distribution inégalitaire des richesses produites.
Je rappelle qu'aujourd'hui, il y a 28 milliardaires sur cette planète qui possèdent autant que 3,5 milliards d'habitants ; que nous avons 7 milliardaires français qui possèdent autant que 30 % des Français. Cette élite vit dans sa bulle. Elle ne peut continuer à accroître sa richesse qu'en exploitant les écosystèmes."
Quelques gestes concrets
Marie-Monique Robin : "Il faut commencer par manger moins de viande. On déforeste en Argentine ou au Brésil pour produire du soja transgénique pour nourrir nos poules, nos vaches et cochons d'élevages industriels.
Mais si vous en mangez : prenez de la viande bio locale.
Il faut aussi ne pas accepter l'huile de palme. Et pour préserver la biodiversité où l'on vit, il faut demander à nos villes, à nos maires, de remettre des arbres, d'arrêter d'arracher des arbres pour faire des parkings, d'arrêter de bétonner des terres agricoles. Et jardiner si on peut."
ALLER PLUS LOIN
La Fabrique des pandémies, Préserver la biodiversité, un impératif pour la santé Marie-Monique Robin et Serge Morant (Ed La Découverte)