Critique de "Le Cafard" : "Le Masque & la Plume" toujours autant bluffé par le style d'Ian McEwan

Six mois après "Une machine comme moi" dont les critiques avaient dit du grand bien, le britannique Ian McEwan signe un texte bref de 150 pages dans lequel il dénonce le chauvinisme des Anglais avec, toujours en toile de fond, le Brexit. Un texte appuyé d'un style qui fascine toujours autant "Le Masque & la Plume".
Le livre présenté par Jérôme Garcin
Le cafard : traduit par France Camus-Pichon en référence, Ian McEwan le dit dès le début, au cancrelat de La métamorphose de Kafka.
Le cafard Jim Sams prend possession du corps du Premier ministre britannique avec une mission : porter la voix du peuple. Boris Johnson n'a pas été, vous l'avez compris, piqué par une mouche, mais manipulé par un cafard. McEwan, très hostile au Brexit, dénonce dans la préface de cette fable le chauvinisme des Anglais, leur hostilité envers les étrangers et les politiciens cyniques qui les dirigent.
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Michel Crépu a aimé l'impertinence de McEwan
MC : "Ça fait longtemps que McEwan montre son talent extrêmement fin, drôle, ironique, etc. Là, il le montre encore une fois dans ce livre. Ce n'est pas très drôle, mais il y a toujours cette espèce de petite impertinence en écume sur les phrases qui m'a tout à fait plu.
Simplement, et c'est bien la première fois que je me dis une chose pareille d'ailleurs : j'ai l'impression que ce livre a dû être plus facilement et immédiatement lu par un public anglais qu'ici en France. Et je ne sais pas très bien pourquoi mais c'est l'impression que j'ai eue tout au long de la lecture. Ça ne m'a pas gêné dans ma lecture, mais ça a donné une espèce de décalage à la lecture qui m'a un peu troublé.
Sinon, évidemment, la bonne idée était de penser à La métamorphose et les mésaventures de Gregor Samsa par Franz Kafka, et de faire la même chose que Kafka mais dans l'autre sens. Je trouve qu'il en a tiré un très bon parti pour un livre par ailleurs assez sérieux, assez grave".
Patricia Martin est surprise que McEwan reste aussi "sage" cette fois
PM : "On se perd un peu dans un dédale de détails qu'on ne connaît pas forcément. Moi, ça me fait beaucoup de peine parce que ce que j'ai préféré, c'est précisément la préface. Parce que, sur le principe, on se dit c'est un livre qui va être très intelligent et très drôle, un peu excessif mais on est quand même face à une réalité imparable et il le dit très bien !
Après Une machine comme moi (son avant-dernier livre), je trouve celui-ci assez vite bancal.
Il n'y a pas d'altération de la réalité par ce cafard au sens propre du terme.
Ce n'est pas sidérant, ni déstabilisant, il reste très sage.
Pour Arnaud Viviant, McEwan livre un nouveau chef d'œuvre sous un style surprenant
AV : "Toute la question chez Kafka reposait sur un travail de traduction. Et, justement, en réalité, la traduction qui a généralement été choisie en France, c'est le cloporte et non le cafard ! On ne va pas divulgacher la fin, mais il ne finit pas exactement de la même manière que le cloporte de La métamorphose de Kafka.
On a l'impression parfois de lire un livre codé à la manière d'une fable.
C'est moins à Kafka qu'il faut penser qu'à Graham Swift, notamment lorsqu'il y avait la famine en Irlande : ce dernier avait écrit un petit livre pour dire que les Irlandais n'avaient qu'à manger leurs enfants, ce qui était évidemment parfaitement ironique de la part de Swift. On retrouve cet esprit-là ici, chez McEwan.
L'idée géniale, c'est qu'il ne parle pas du tout du Brexit mais "des renversistes", un courant de pensée dont quelqu'un a dit que c'était l'idée la plus démente du monde et que les Anglais ont décidé d'adopter : renverser le cours de l'argent.
Au lieu que l'argent serve à acheter, il sert à donner. On paye pour travailler et, en échange, les magasins vous donnent des choses !
Un moment, il dit que c'est une idée de génie parce que toute la société va être transformée quand les autres disent que c'est une idée démente.
Un autre passage, hilarant celui-là, où ils disent qu'il y aura peut-être un problème avec les Allemands parce que ce n'est pas sûr qu'ils renvoient en Angleterre des voitures bourrées de billets, car il ne s'agit pas simplement de vendre des voitures, c'est quand même une idée magnifique !
Il fait des pages sublimes sur cette idée-là, farfelue, sur comment elle est née, son histoire. C'est une métaphore du Brexit, c'est juste incroyable !
Le meilleur livre que j'ai lu depuis le début de cette année, c'est vraiment Une machine comme moi, qui est un chef d'œuvre absolu sur le sujet de l'intelligence artificielle. Un livre d'une grande puissance philosophique qui est extrêmement drôle, par ailleurs.
Là, c'est moins réussi, c'est un pamphlet, mais rien que cette idée de renverser le cours de l'argent, c'est un chef d'œuvre.
Si elle le juge quelque peu sinistre, Olivia de Lamberterie a beaucoup ri
OL : "L'avertissement est très drôle parce que ça commence par "toute ressemblance" et on se dit "toute ressemblance avec Boris Johnson", mais ce qu'il veut dire c'est en réalité "toute ressemblance avec des cafards vivants ou morts est une pure coïncidence". Ça m'a fait rire !
Mais, après, je trouve que c'est un livre qui donne beaucoup le cafard, si je puis me permettre, parce que c'est un livre qui représente quand même la classe politique d'une manière absolument terrible.
J'ai été fascinée par l'inversion du cours de l'argent, avec cette idée de se retrouver dans un grand magasin où vous achetez tout ce que vous voulez et on vous donne en retour de l'argent !
Après, c'est quand même assez sinistre : il y a un ministre qui est très embêté de ce système de l'argent parce qu'il dit "mais moi, je travaille tellement que je n'ai pas le temps d'aller faire les boutiques". On lui dit mais "va sur Amazon", ce qui est assez drôle !
Je me demande comment ce livre a-t-il été accueilli en Grande-Bretagne ?"
Aller plus loin
Écoutez l'intégralité des critiques échangées sur le livre :
"Le Cafard" de Ian McEwan
7 min
📖 LIRE - "Le Cafard" d'Ian McEwan (Gallimard)
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