CRITIQUE - "La femme de Tchaïkovski" de Kirill Serebrennikov, magistral ou misogyne, le Masque est divisé
Par Le pôle Édition de France Inter
Un film magnifique et magistral porté par une sidérante actrice, ou une œuvre à la limite de la misogynie ? Qu'ont pensé les critiques de l'émission dominicale de cinéma de France Inter du film du réalisateur dissident russe ?
La présentation de "La femme de Tchaïkovski" par Jérôme Garcin
"La femme de Tchaïkovsky est un film signé du Russe dissident, exilé à Berlin, Kirill Serebrennikov. Un film qui était en compétition à Cannes et joué par Alyona Mikhailova dans le rôle-titre, et Odin Lund Biron dans celui du compositeur. Le film retrace l'histoire d'amour impossible entre l'homosexuel Tchaïkovski et sa femme, Antonina, qu'il épouse pour étouffer les rumeurs à son sujet. Elle brûle de désir pour lui, et lui l'humilie, et la repousse. Il tente même dans une scène de l'étrangler et la pousse finalement à divorcer. La femme de Tchaïkovski est morte en 1917 dans un asile. L'Œuvre au noir, est le titre d'un roman de Marguerite Yourcenar, mais il pourrait être celui de ce film où les rues de cette Russie du XIXe siècle ressemblent à une vraie cour des miracles. Le film dure 2 h 23. D'ailleurs, pourquoi est-ce que tous les films maintenant font deux heures et demie ?"
Eric Neuhoff : " La femme de Tchaïkovsky, un film magnifique porté par une actrice sidérante"
Selon le journaliste au Figaro, "La femme de Tchaïkovsky est un film magnifique. D'ailleurs Alyona Mikhailova aurait dû avoir le prix d'interprétation à Cannes. Elle est sidérante. C'est un ouragan, un incendie, cette fille ! On connaissait l'histoire grâce à Ken Russell. Comme quoi Tchaikovski a le don de booster les réalisateurs !
La femme de Tchaïkovsky est un peu l'histoire d'Adèle H, version samovar, qui aurait mis le doigt dans la prise. La caméra en bouche tout le temps. Il y a des scènes avec des mendiants. Dans les intérieurs aussi, il y a un côté Cris et chuchotements (Ingmar Bergman (1972)). Il y a une symphonie des linges, des draps, des chemises de nuit. Ce film a un souffle, une noirceur étonnante qui rattrape La fièvre de Petrov (2021), le précédent film du cinéaste Kirill Serebrennikov. Cela tient surtout à l'interprétation de l'actrice, à la force de la caméra qui bouge beaucoup et peut-être à cette espèce de folie russe dont on parle tout le temps et qui là, existe vraiment. Il y a sans doute des passages un peu ridicules comme ces marins nus à la Cocteau. Mais en même temps, c'est justifié puisque c'est cette femme qui ne voudra jamais divorcer, se voile un peu la face et imagine que son mari restera toujours pour elle. C'est l'histoire d'une passion folle."
Michel Ciment : "La femme de Tchaïkovsky, un film qui manie avec brio le plan-séquence et nous aide à comprendre le présent"
Pour le critique de Positif : "La fièvre de Petrov (2021) était un film un peu hermétique, mais le mot "fièvre" caractérise bien le cinéma de Kirill Serebrennikov. La femme de Tchaïkovsky est vraiment l'histoire d'un amour non réciproque. C'est une tragédie et c'est vrai, qu'Alyona Mikhailova méritait le prix d'interprétation féminine pour sa performance extraordinaire.
La façon dont Kirill Serebrennikov travaille le plan-séquence, un point commun aux gens qui viennent du théâtre comme Orson Welles, Max Ophuls… est passionnante. Le plan-séquence restitue l'ensemble de l'espace. Il englobe tout, et fait retrouver la fluidité de la scène. Tout se passe dans les mouvements de caméra qui ne sont jamais fragmentés. C'est la totalité. Là, c'est magistral. La femme de Tchaïkovsky est un film passionnant, qui résume bien l'esprit russe, son débordement et d'une certaine façon, ce film nous aide à comprendre le présent."
Xavier Leherpeur : "La femme de Tchaïkovsky, un film ambigu qui ne raconte pas grand-chose"
Le critique à 7eme Obsession, et chroniqueur série à France Inter n'a pas apprécié ce film : "C'est le deuxième film de France Inter que je vais éreinter ce soir. D'abord, il est totalement contre productif. Serebrennikov prétend vouloir prendre la défense de la femme de Tchaïkovski et il le fait à partir des mémoires du musicien. On est dans le contre-exemple un peu ambigu où il reprend la parole de l'homme qui se plaint d'avoir été harcelé par cette femme. Elle, elle fait une fixation érotomane. Elle est plus psychiatriquement atteinte, que véritablement amoureuse. Mais pourquoi pas ! Il n'est jamais du côté de cette femme et ça me gêne énormément.
Ensuite, il nous fait le coup : "Mais moi aussi, je suis harcelé par des femmes". J'en ai marre de ce genre de jeu de carte véhicule prioritaire du 1000 bornes qui donnerait le droit de taper sur les femmes parce qu'un jour, elles vous ont emmerdé pendant une soirée, alors qu'on n'est pas fait pour les femmes. Pardon, mais je trouve ça débile !
Serebrennikov prouve une chose : le Steadicam a inventé une nouvelle forme d'académisme du cinéma. Parce qu'il n'y a pas que le plan-séquence, il y a le principe de suivre des gens avec une caméra pendant la durée du mouvement. Alors la caméra remonte avec un piano, et puis elle court dans les escaliers derrière. Mais on dirait du Stéphane Plaza pour une visite d'appartement !
Enfin, on ne voit rien. Il n'y a jamais un point de vue. Le réalisateur est là dans une espèce de doute. C'est tout le temps dans le mouvement de poussière un peu inutile. C'est quelqu'un qui n'a aucune modestie. Ce qui fait qu'à chaque scène, même la plus intime, il y a à peu près 50 figurants dans le cadre ! Alors, il a des moyens. Tout le monde est bien habillé comme à l'époque, mais ça ne raconte rien. Le réalisateur est constamment en train de perdre sa dramaturgie. Dans la mise en scène, ça ne raconte pas grand-chose. Je suis désolé, j'ai revu le film et je trouve que ce sont beaucoup de bruit et de fureur pour pas grand-chose. Et ça tombe bien parce qu'en plus, le message est limite misogyne. Donc je préfère qu'effectivement, il soit mis à distance."
ECOUTER | Le Masque et la plume avec La femme de Tchaïkovsky
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